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« Les premiers pas décisifs des pratiques agroécologiques… »
Le potentiel qu’offre l’agroécologie est large mais reste sous-exploité. Elle peut contribuer à la sécurité alimentaire en rendant durable les exploitations familiales et en protégeant les écosystèmes. C’est le point de vue du chercheur d’origine camerounaise, Félix Meutchièye. Selon ce spécialiste, « les premiers pas décisifs des pratiques agroécologiques ont eu lieu essentiellement dans le cadre de l’agriculture familiale » et « la première visée est la sécurité alimentaire du ménage ».
Entretien avec le Dr. Félix Meutchièye, enseignant-chercheur à l’Université de Dschang, au Cameroun.
Peut-on parler d’impact de l’agroécologie au Cameroun et en Afrique ?
Si on regarde attentivement l’évolution des systèmes de production agricole en Afrique de manière générale, on ne ferait l’agroécologie que manière très disparate, avec des saillies ici et là. La démarche agroécologique qui est plus exigeante et complète n’attire pas forcément le gros des producteurs. Cependant, on peut nuancer en remarquant que c’est en Afrique qu’il me semble inventorier le plus d’expériences, d’initiatives et d’inventivité en matière d’agroécologie. L’impact se mesurerait donc aisément au niveau des médias et surtout du fait des ONG, qui, conscientes des limites des approches conventionnelles veulent expérimenter des alternatives. Au Cameroun notamment, on observe des regroupements, des associations de promotion de l’agroécologie. On ne saurait promouvoir ce dont on n’est pas convaincu et qui n’est pas facile d’appréhender, à moins de manquer complètement de sérieux. Ce que je ne crois pas du tout !
Quels sont les indicateurs qui permettraient de mesurer cet impact ?
Il ne serait pas superflu de rappeler que les principaux « théoriciens-praticiens » des approches agroécologiques sont africains connus comme Pierre Rabhi (Algérie-France), Allan Savory (Zimbabwe), ou paysans discrets comme Webougri (Burkina Faso) et certainement un plus grand nombre, plus discret. L’agroécologie ne se mesure pas seulement sous l’angle productiviste, mais dans un enchaînement justement plus global en tenant compte de la durabilité des systèmes.
Et parlant de systèmes, je ne voudrais citer que quelques indicateurs importants selon leur poids relatif. En premier l’abondance des pratiques intégrées dans les systèmes de production en Afrique, maintenant une diversité biologique de qualité. Le clivage cultures de rente-subsistance ne tient pas toujours. La ségrégation traditionnelle éleveurs-agriculteurs perd souvent sa force. Et plus encore, la monoculture reste strictement commerciale. Les agricultures urbaines, même si elles sont des réponses aux crises alimentaires ambiantes, sont finalement des éléments à prendre en compte quand on s’intéresse à l’impact recherché.
Malgré l’arrivée de produits « bio » et la naissance de restaurants agroécologiques,la production alimentaire agroécologique n’a pas encore atteint une masse critique dans les différents pays africains. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Une fois de plus, on ne saurait comparer deux approches en invoquant les critères essentiellement fondateurs d’une seule. En clair, le productivisme est le propre de la production intensive qui mise sur les récoltes et considère moins ou pas du tout les incidences négatives. Ces discours biaisés des multinationales, notamment celles du palmier à huile, de l’hévéa, du thé, du café, de la banane est une insulte aux communautés qui crient, depuis des lustres, aux atteintes à leurs moyens de subsistance. Autrement dit, de l’autre côté, l’opinion populaire manquerait de lucidité pour se remettre en question et questionner les déterminants de production alimentaire en Afrique.
Les pratiques agroécologiques peuvent-elles contribuer à une sécurité alimentaire portée par l’agriculture familiale ?
A bien regarder, les premiers pas décisifs des pratiques agroécologiques ont eu lieu essentiellement dans le cadre de l’agriculture familiale. Et la première visée est la sécurité alimentaire du ménage. Maintenant, si on considère la population non-agricole au sens strict, c’est-à-dire dépendante de la masse de production des actifs agricoles. On est vite tenté de froncer les sourcils et dire que ces pratiques agroécologiques ne riment pas avec sécurité alimentaire au sens large. Pour ma part, ce serait faire une fois de plus fausse route, non par idéologie, mais en raisonnant en toute logique. La sécurité alimentaire a indubitablement une dimension durabilité que les politiques feront bien de considérer au-delà des discours. L’agriculture familiale a pour pilier majeur la diversité et la réutilisation. Des analyses crédibles démontrent aujourd’hui que l’humanité fonde sa sécurité alimentaire sur un faisceau bien maigre d’espèces végétales et animales. Pire, aussi bien en champ que dans les lieux de grande consommation, le niveau de pertes et gaspillage cumulé avoisine plus de 60% dans certains contextes. C’est simplement du délire. En gros, des dimensions de l’agroécologie questionnent nos approches actuelles d’entendement, puis de mesures contre l’insécurité alimentaire.
Quels sont les impacts de l’agroécologie sur la santé des populations, les sols et l’environnement d’une manière générale ?
L’agroécologie prend en compte la gestion des composantes du système de manière globale et en soutient la durabilité. Il est apparu évident aujourd’hui que la restauration des sols, des végétaux et de l’environnement biophysique a un grand impact sur la santé des populations. On serait dans la tentation de faire une comparaison, entre les impacts de l’agroecologie et des autres démarches. Il y a encore des choses à approfondir en termes d’indicateurs ; cependant les indicateurs actuels situent l’agroécologie sur ce plan santé comme très appréciable.
Aujourd’hui, beaucoup de chercheurs, d’étudiants et de techniciens s’intéressent à la science agroécologique. Est-ce un effet de mode ou une orientation naturelle due au phénomène du changement climatique ?
Globalement, la science est un questionnement. Devant des phénomènes nouveaux ou quand il y a des zones d’ombre. L’humanité traverse un couloir assez étroit. Notamment sur le plan biologique et de la gestion de ses ressources. J’en veux pour preuve l’abondance des institutions et plateformes sur la question. L’agroécologie vient s’insérer donc comme une piste de plus, une piste alternative, une voix qui questionne en apportant une partie de la réponse. Quand les données scientifiques affirment qu’en 20 ans, la terre a perdu 10% de son espace sauvage, riche de biodiversité unique, aucun chercheur, étudiant ou technicien ne sauraient garder son métier en demeurant indifférent. Parlera-t-on de l’effet de mode ? Peut-être en reconnaissant qu’il y a toujours des « suiveurs » sans toutefois généraliser. Nous l’avons déjà dit plus haut : l’agroécologie avant d’être une réponse à une crise est aussi une disposition pour anticiper sur des crises majeures. Les choses s’imbriquent, et il serait imprudent de continuer à cheminer sans en tenir compte, pas seulement dans les discours, mais dans les principes et les pratiques.
Entretien réalisé par Birame Faye