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Éditorial - Agroécologie et statistiques agricoles
La course vers l’autosuffisance alimentaire a conduit les Etats à encourager un modèle agricole industriel et à négliger l’agroécologie. A une certaine époque, bien des décideurs inquiétés par la croissance démographique et la demande alimentaire la considéraient comme un déni du modernisme agricole. Parler de l’impact de l’agriculture « naturelle » n’avait de sens que pour les initiés, et dans une moindre mesure, les petits producteurs et les organisations de la société civile.
Mais le temps a montré les limites objectives de l’agriculture intensive. En effet, les crises alimentaires successives, l’insécurité alimentaire chronique dans des régions comme le Sahel, la dégradation des sols et la perte progressive de biodiversité ont contribué à une remise en cause du modèle industriel, à une réflexion sereine sur des systèmes de production plus respectueux des équilibres écologiques.
La prise de conscience sur les différents enjeux est réelle, mais les actions restent encore timides. L’obsession de produire en quantité résiste encore à la rationalité que requiert une gestion durable des ressources naturelles.
Néanmoins, certains continuent de porter le plaidoyer en capitalisant et en partageant les bonnes pratiques avec les décideurs. Mais l’argumentaire brandi n’est pas suffisamment lourd pour faire pencher la balance dans le sens souhaité car les impacts de l’agroécologie ne sont toujours pas faciles à percevoir. Ils sont vécus et considérés comme des évidences naturelles. La faute est imputée à un défaut de projets agroécologiques de dimension nationale, de vulgarisation des résultats de recherche et des succès probants obtenus ici ou là.
Agroécologie et production alimentaire
On n’a pas encore une idée de ce que représente la production alimentaire « bio » dans les statistiques agricoles nationales et sur ses capacités à contribuer à l’autosuffisance alimentaire.Pour le moment, les bons points d’un tel modèle de production ne sont pas susceptibles d’emballer un gouvernement qui fait face au défi de la sécurité alimentaire.
A titre d’exemple, le paysan peut pratiquer de l’agroforesterie sans en être conscient. Il n’est pas souvent outillé pour saisir les effets de la présence de l’arbre dans son activité de production.
Le Fonds Mondial pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) s’est approprié la question et a produit un rapport sur « l’agriculture biologique dans le monde », en 2007. Cette année déjà, l’organisation onusienne avait estimé le marché mondial des produits biologiques à 40 milliards de dollars. La conclusion majeure à laquelle avait abouti la FAO était que cette forme d’agriculture durable était capable de « nourrir le monde », à condition que les politiques publiques en fassent une priorité nationale.
Le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation du Conseil des Droits de l’Homme, Olivier De Schutter, a évoqué la nécessité du réinvestissement dans l’agriculture pour la réalisation concrète du droit à l’alimentation (rapport 2010). « Dans un contexte de crise écologique, alimentaire et énergétique, la question la plus urgente aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de réinvestir dans l’agriculture, n’est pas de savoir combien mais comment ». Dit-il.
Olivier De Schutter a étudié « la manière dont les Etats peuvent et doivent réorienter leurs systèmes agricoles vers des modes de production hautement productifs, hautement durables et qui contribuent à la réalisation progressive du droit fondamental à une alimentation suffisante ». En dépit des recommandations de la « communauté internationale » en direction des Etats, l’agroécologie peut-elle nourrir le monde, et l’Afrique en particulier ? Si cette question fait encore débat, c’est parce qu’on a toujours du mal à percevoir la place de l’agroécologie dans les rendements agricoles. Pourtant, elle peut bien satisfaire les besoins alimentaires des populations, si tout son potentiel est libéré.
Nouvelle donne
Il a fallu que le changement climatique bouleverse les systèmes de production pour que le discours des promoteurs d’une agriculture durable soit mieux entendu, pour que l’utilité de s’approprier des approches agricoles biologiques soit mieux perçue. Le risque climatique aidant, des actions de promotion de l’agroécologie ont abouti à cette période de transition agricole que nous semblons vivre. Les projets, les initiatives et les acteurs se multiplient. Les Etats intègrent la dimension durabilité dans certaines de leurs politiques de développement de l’agriculture. L’intérêt des consommateurs ne cesse de croître. Produire bio a commencé à faire recette ! Une tendance à consolider. Toutefois, la consommation de produits agricoles « sains » ne doit pas être une affaire de luxe réservée à une certaine classe sociale forte de son pouvoir d’achat au-dessus de la moyenne.
Au-delà de la santé humaine, la faune pâtit pour beaucoup des bouleversements des milieux naturels dans lesquels elle évolue. L’exploitation conventionnelle affecte négativement les espèces animales et les chasse de leurs habitats. Dans bien des régions, les populations animales se réduisent et des espèces disparaissent.
Dans les océans, la pêche industrielle impacte aussi négativement les ressources halieutiques, alors que les techniques traditionnelles avaient au moins le mérite d’assurer la reproductivité du poisson en mer. La mise sur pied d’aires de protection et le respect du cycle de reproduction animale, le repos biologique, la pisciculture sonnent comme un retour à une pêche durable. Les résultats obtenus par certains Etats semblent encourageants et une mise à l’échelle est amorcée. Cela peut susciter de nouvelles vocations et créer des emplois.
D’autres indicateurs peuvent aussi renseigner sur l’apport de l’agroécologie dans toutes ses formes. Les impacts sont différents d’un pays à un autre. Au Nigéria par exemple, l’agroécologie est perçue en milieu urbain comme une alternative à la crise du pétrole. Des expériences se développent, et du point de la sécurité alimentaire, les premiers résultats sont encourageants (page 6). Au Sénégal, l’ONG Enda Pronat, à travers plusieurs projets mis en oeuvre dans diverses zones écologiques, a encore une fois prouvé la nécessité de s’orienter vers l’agriculture biologique (page 8).
En Ouganda, Agroecology Fund est dans une dynamique de mise à l’échelle des pratiques agroécologiques dans ce pays (page 25). Cela peut également être le cas au Niger où un projet de régénération des sols grâce à des techniques endogènes a permis de revitaliser des zones de cultures (page 16). Au Mali, un médecin vétérinaire s’est distingué en se positionnant comme un pionnier de l’agroécologie (page 14).
Considéré comme l’une des premières expériences agroécologiques soutenue par la communauté internationale, le projet de Tigray, en Ethiopie, a permis de restaurer des milliers d’hectares et de reverdir de vastes zones arides (page 20). Toutefois, si d’aucuns considèrent l’agriculture durable comme une solution à l’insécurité alimentaire (page 33), le débat reste entier quant à la capacité de ce modèle agricole à nourrir de monde au regard de la poussée démographique et avec son corolaire l’augmentation des besoins alimentaires.
Dans ce numéro de la revue AGRIDAPE, des experts donnent leurs points de vue. Le débat est loin d’être tranché (page 31). Cela montre que les impacts multiformes de l’agroécologie méritent d’être mis en exergue par les acteurs qui militent pour une agriculture durable. Cela est d’autant plus possible que l’agroécologie est une filière académique qui suscite un réel intérêt dans les universités.