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Un système de recherche-vulgarisation intégré : exemple du projet cobayes au Cameroun

Le cobaye est un petit animal facile à manipuler et dont l’alimentation de base est constituée de plantes fourragères à portée de main. Ce sont des graminées locales (herbes à éléphant par exemple), les feuilles de bananier, patate, et autres refus de cuisine. Ces atouts rendent cet élevage accessible aux femmes et aux enfants qui constituent le gros des producteurs. Plusieurs bassins de production existaient, mais n’étaient pas identifiés d’où une sous estimation de l’effectif des producteurs et de la taille globale du cheptel. Un programme de recherche-action basé à l’Université de Dschang, sous financement du CSIRO-AusAID et le soutien du BecA-ILRI Hub, a mené des travaux pour établir l’état des lieux dans un premier temps. Depuis plus d’un an, ce projet contribue au développement d’une filière d’un petit animal aux potentiels énormes.

Au début, une chaine des valeurs inconnue

La mise en œuvre d’une action de valorisation du secteur caviacole serait caduque si la chaine de valeurs n’est pas clairement schématisée. Comment vulgariser sans un minimum de données précises ? Comment vulgariser sans rassurer ? Le dernier programme officiel de recherche pour cette spéculation date d’au moins 20 ans, sans suite. Un programme pilote de vulgarisation des élevages non conventionnels, dont le cobaye, démontrait déjà un intérêt tardif pour cet animal dont la chair serait parmi les plus hygiéniques et les plus riches. Les inconnues nombreuses n’ont pas facilité le développement de cet élevage toujours prometteur pour les populations aux ressources limitées, rurales ou périurbaines de la région méridionale du Cameroun.

Interaction limitée entre acteurs et matériel génétique mal exploité

Le secteur est caractérisé par une sous information de la part des acteurs sur les questions des débouchés. La majorité des producteurs n’échange que du matériel génétique et, accessoirement, des connaissances. Les techniques biomoléculaires de pointe ont permis d’établir l’incidence de la consanguinité et la prévalence des mauvaises pratiques engendrant pas moins de 40% de mortalités pré sevrage chez les plus de 200.000 producteurs en activité. Des restaurants urbains sont demandeurs de cette viande fine, mais reste ignorants des circuits d’approvisionnement. La consommation urbaine tend à faire de la viande de cobaye un substitut profitable pour des petits producteurs moyennant des améliorations adéquates et cohérentes.

Fondements de notre intervention : la plateforme d’innovation

Le Forum Africain pour la Recherche Agricole (FARA) soutenu par d’autres initiatives continentales a proposé un modèle de recherche intégré qui sied avec le contexte agricole africain et sa ruralité. Par le passé, la diffusion de la connaissance et le transfert de technologie se faisait selon l’approche top-down. Cette approche, encore utilisée aujourd’hui, était caractérisée par un cloisonnement entre les parties impliquées dans le processus. D’une part, le chercheur, unique détenteur du savoir et donc des solutions, d’autre part, le paysan, ignorant qui attend, sagement, que des solutions lui soient proposées. Nombre de projets ont échoué sous ce modèle. Le dialogue véritable, il faut le dire, commence quand chacune des parties est consciente qu’elle peut recevoir et apprendre de l’autre. Ici, il s’agit d’un dialogue d’égal à égal. Le concept de Recherche Agricole Intégrée pour le Développement permet, par une approche multi acteurs, de créer un système d’échange et de dialogue entre le chercheur et le producteur et, d’une manière générale, entre tous les maillons d’une chaine des valeurs.

Le processus est dynamique et intégré comme le montre la figure 1. Tout ceci se passe en quelques heures ou en plusieurs semaines. La recherche, est naturellement et de manière automatique, orientée vers les problèmes techniques des producteurs.


Figure 1 : Théorie de changement mis en application dans le projet

La plateforme est le lieu où, les problèmes techniques des producteurs et d’autres acteurs clés sont formulés en thématiques. Toute la chaîne est concernée. Une fois les résultats obtenus, ils sont, soit validés soit rejetés au sein de la plateforme d’innovation.

Processus de vulgarisation dynamique initié par l’Université de Dschang


Un caviaculteur agissant en vulgarisateur lors d’une réunion rurale

Proposer des solutions suppose que les problèmes ont étés, au préalable, identifiés. Le processus d’identification des problèmes du secteur s’est effectué par la mise en place d’un système de communication direct entre les chercheurs et les acteurs du secteur. C’est au sein de la plateforme d’innovation que les producteurs s’expriment sur leurs problèmes et les actions prioritaires à mener. D’autres acteurs tels que les pouvoirs publics et le secteur privé, dotés d’une expérience capitalisable, participent au processus et font parties intégrante du système. Le processus est illustré par la figure 2.


Figure 2 : Processus d’identification des problèmes du secteur caviacole

L’un des constats issu des concertations était la méconnaissance du cobaye et des caractéristiques de sa viande. Il fallait créer un mouvement, aussi bien, pour susciter l’intérêt de production, de transformation et même de consommation. Les cibles et les moyens de vulgarisation étant variés, un plan media fut mis en œuvre.

Atteindre le plus grand nombre sur le plan géographique implique l’usage de moyens fiables et rapides. Des émissions radio et des documentaires TV ont été diffusées, dont certaines dans les langues nationales. Des entrepreneurs de différentes échelles se sont mis au jeu explorant d’autres possibilités d’investissement inattendues. Les messages de vulgarisation diffusés par les mass-media mettent en exergue les atouts de production et les possibilités de transformation et d’ouverture sur le marché. Des communicateurs travaillent avec l’équipe du projet pour assurer la meilleure continuation des actions en cours.

Sur plan local, les séances de vulgarisation combinent la projection des documentaires avec des commentaires, des données techniques (logement et fourrages), la distribution des dépliants contenant des messages simples et incitatifs, le recours à des manuels pratiques. La participation des producteurs au processus de vulgarisation en tant que vulgarisateurs est cruciale. A l’exemple de Jeremie Votio, caviaculteur et restaurateur de Batcham à l’Ouest Cameroun, des vulgarisateurs bénévoles participent activement à une large sensibilisation en partageant leur expérience dans le secteur caviacole et en promouvant localement des pratiques tirées de leurs savoirs.

La promotion du savoir et du savoir-faire local fait partie intégrante du processus de vulgarisation. Il permet d’installer la confiance et une meilleure appropriation de l’objet de la sensibilisation et facilite ainsi une meilleure implication des producteurs. Ces exercices de sensibilisation ont pour but de placer les producteurs dans des conditions favorables d’attitude pour l’adoption de l’innovation et les multiples dimensions du progrès et du développement.
Au-delà de cette sensibilisation, les producteurs sont formés aux méthodes d’entretien de leur élevage. Le modèle de formation dépend du module de formation. Dans le cas du logement, les formations engagées se font sur un site de production, en général, chez un caviaculteur. Une loge, financée parfois par le bénéficiaire, est construite devant un ensemble de producteurs et d’autres intéressés. Les séances sont gratuites et ouvertes au public. Le processus, va de l’identification des problèmes et des moyens et méthodes pouvant permettre d’exploiter tout le potentiel du secteur cobayes et le mettre aux services des populations.

Quelques contraintes

Les contraintes identifiées de manière collégiale avec les producteurs montrent clairement la nécessité de revoir les pratiques d’élevage. Quelques uns de ces problèmes sont la prédation (due à un système de logement inapproprié), les mortalités subites imputables au taux élevé de consanguinité (due aussi à un système de logement et de gestion du stock génétique inapproprié). L’objectif de la plateforme d’innovation est de promouvoir et d’encourager le changement. Le logement est un aspect crucial. Plusieurs caviaculteurs laissent leur cobaye se mouvoir librement dans la cuisine. Les animaux sont à la merci des prédateurs tels que les chats, les chiens, les serpents.

Conclusion

Intervenant dans 04 des 10 régions administratives du Cameroun, le Projet a mobilisé par contrat 04 ONG’s compétentes qui suivent les actions de formations, soutiennent les organisations de producteurs, identifient et communiquent les circuits alternatifs de commercialisation tout en identifiant avec les producteurs de nouveaux défis. De nouvelles organisations de producteurs se mettent en place. Des restaurateurs s’imprègnent des modes de préparation et de présentation (pour les nouveaux). L’intérêt des acteurs de la recherche va croissant. Une station de recherche vient de décider de mettre sur pied une unité spécialisée pour les cobayes, et la masse critique de jeunes chercheurs traitant des questions aussi bien biophysiques que socio-économiques se densifie. De nouvelles opportunités de financement, direct ou indirect de la production sont identifiées et certaines même déjà actives. La demande d’encadrement par les producteurs d’autres régions s’intensifient, et les premiers résultats de recherche sont appliquées, au grand bonheur des producteurs de petits animaux, mais au revenu qui s’améliore. Et l’histoire n’est pas encore finie…

Félix, Meutchieye,

Enseignant-Chercheur, Coordonnateur du Projet Cobayes Cameroun fmeutchieye@gmail.com

Idriss Gabriel, Nyebe Mvogo,

Ingénieur Agro Economiste, Manager de la Plateforme Cobayes