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OPINION : Point de vue d’un agronome pour une gestion durable des sols en Afrique de l’Ouest.
Chercheur au CIRAD, M. Dugué nous propose une analyse historique des approches de gestion durable des terres en Afrique de l’Ouest. Cet article présente le point de vue d’un agronome sur ce que pourrait être la gestion durable des sols sous cultures pluviales dans la région.
La baisse de la fertilité des sols cultivés et les effets du renforcement des aléas pluviométriques sont les principales causes de la faible productivité des exploitations agricoles familiales d’Afrique de l’ouest. De plus ces agriculteurs disposent de peu de moyens pour inverser ces évolutions hormis leurs savoir faire et leur investissement en travail (souvent manuel). Les États et la communauté internationale ont du mal à dégager les financements pour aider efficacement ces agriculteurs à produire mieux et plus, qu’il s’agisse de cultures pluviales ou irriguées. La dégradation des terres agricoles est un phénomène complexe qui associe la baisse de la quantité de nutriments et de matières organiques dans les sols, leur dégradation physique (compaction, érosion) mais aussi biologique (peu de vers de terres et de macrofaune mais une forte quantité de semences de mauvaises herbes nuisibles aux cultures). Pourtant la recherche agricole et les structures de développement ont engagé des études et apporté des appuis aux agriculteurs depuis plus d’un demi-siècle sans que des solutions concrètes aient pu être mises en œuvre à grande échelle par les agriculteurs.
Avant cela, un retour rapide dans le passé est nécessaire. La dégradation des sols est en effet un phénomène assez ancien dans certaines régions ouest africaines (à la fin du XIX° siècle au centre sud du Bénin, dans les années 1930 au centre du Sénégal et à partir des années 1950 sur le plateau central au Burkina Faso) qui a pour origine l’accroissement de la population rurale. Lorsque la densité dépasse 50 ou 70 habitants par km² les agriculteurs ne sont plus en mesure d’entretenir la fertilité du sol par la jachère de moyenne ou longue durée faute de terres disponibles. De plus ces populations en plus grand nombre prélèvent plus de bois et de résidus de culture dans les champs pour les besoins des familles. La densité de bovins et de petits ruminants augmentant aussi, cela entraine un accroissement des prélèvements de biomasse fourragère (pailles, branches d’arbres).
Toutefois, à ces époques, les paysans Serrer au Sénégal, Tupuri des plaines au nord du Cameroun et ceux des Monts Mandara du Cameroun et du Plateau Akposso du Togo, ont pu, sans l’appui d’agronomes, de forestiers ou de projets de développement, mettre en place des techniques qui ont efficacement contribuer à préserver la fertilité de leurs sols. Il s’agit entre autres des terrasses en pierres, de la jachère pâturée en rotation avec les céréales et l’arachide, des associations sorgho-niébé et des parcs arborés à Faidherbia Albida (balanzan, kadd ou gao en langues vernaculaires), Vitellaria paradoxa (karité) ou Proposopis africana.
Ces techniques et savoir faire paysans sont difficiles à mettre en pratique sur de grandes superficies du fait du manque de terre (pour les jachères courtes) et de travailleurs pour des travaux pénibles comme le transport des pierres. Pourquoi les agriculteurs d’aujourd’hui ont du mal à entretenir la fertilité de leurs terres ? Les techniques proposées sont elles inefficaces ou difficiles à mettre en œuvre ? Les mesures d’accompagnement des structures de développement sont elles à améliorer ? Les efforts des Etats, des collectivités locales (communes, régions) et de la communauté internationale sont-ils insuffisants ?
Des engrais minéraux à l’agriculture de conservation…
Comme en Europe au début du XX° siècle, la fertilisation minérale avec les engrais est apparue en Afrique de l’Ouest dès les années 1970 comme la technique qui permettrait de maintenir la fertilité des sols. Il suffisait de donner aux sols la quantité de nutriments (sous la forme d’engrais NPK par exemple) nécessaire aux cultures et équivalent aux nutriments exportés par les récoltes de grains et de paille et la vaine pâture. Ce ne fut pas une solution idéale à 3 points de vue :
Le coût des engrais minéraux était élevé du fait de leur importation, du transport sur de mauvaises pistes et des taxes non officielles. Une majorité des agriculteurs ne pouvait pas les acheter ou alors en petite quantité ;
Les sécheresses en cours de campagne agricole ont limité fortement la rentabilité des engrais surtout dans les sols sableux et les régions à pluviométrie inférieure à 700 mm/an ;
Enfin l’engrais minéral n’a aucun effet sur le taux de matière organique du sol qui va baisser chaque année si on n’apporte pas assez et assez souvent de la fumure organique ou si on ne peut pas pratiquer la jachère pendant 10 ou 20 ans. Lorsque le taux de matière organique du sol (l’humus) est trop faible le sol « fonctionne mal » : il se compacte limitant le développement des racines, la macrofaune (les vers de terres, les termites utiles, ..) tend à disparaitre, les engrais sont plus rapidement lessivés par les grosses pluies.
Sur la base de ce constat les agronomes ont proposé aux agriculteurs de mettre l’accent sur la production de la fumure organique. Dans un premier temps avec leurs animaux d’élevage (fosse et étable fumière, parc à bovins amélioré, …..) puis en valorisant les résidus de culture et les ordures ménagères (fosses compostières, comme au Burkina Faso à la fin des années 1980’). D’un point de vue agronomique nous devons continuer à recommander la production des ces fumures organiques dont les techniques ces techniques ont progressivement été améliorées, par exemple par l’enrichissement par des phosphates naturels produit dans la région (Burkina Faso, mali, Togo, Sénégal,..). Malgré un bon taux d’adoption de ces innovations, leurs impacts sur la production agricole et le maintien de la fertilité des sols restent limités :
Le nombre de bovins par exploitation est souvent faible (une paire de bœufs de trait, 3 ou 4 bovins d’élevage). Le nombre de bovins par hectare cultivé est ainsi limité. Par exemple un agriculteur malien peut cultiver 10 ha avec 4 bœufs de trait et la production de fumier de ces animaux ne peut pas suffire pour maintenir la fertilité de cette surface (1 bœuf pour 2,5 ha de terre cultivée). Souvent les agriculteurs n’ont qu’un âne ou quelques petits ruminants qui produisent peu de fumier ;
Pour produire beaucoup de fumier et de compost il faut collecter beaucoup de résidus de culture (paille, tiges de cotonnier etc.) ou de paille de brousse alors que ces biomasses ont bien d’autres usages, d’abord alimenter le bétail, faire du feu, construire des hangars, ...
A la même période les forestiers ont promu l’agroforesterie, l’association des arbres aux cultures, pour entre autres, entretenir la fertilité des sols. Mais les jachères améliorées par plantation d’arbres ont peu de succès du fait du manque de terres cultivables et de la durée de jachère - de 5 à 10 - pour obtenir un effet significatif sur le sol. De plus la plantation est couteuse à réaliser et constitue un marquage du foncier qui peut entrainer des conflits entres producteurs. Par contre les parcs arborés surtout ceux à base de Faidherbia albida se sont étendues ces 15 dernières années sur de grandes surfaces dans les régions où ils étaient déjà présents sur sols sableux et/ou profonds - Extrême Nord au Cameroun, région de Dosso au Niger, centre du Sénégal et plus localement au Mali et au Burkina Faso. Tous les agriculteurs et les agronomes de ces pays connaissent les effets spectaculaires de cet arbre sur la fertilité du sol et le développement des céréales sans compter son apport fourrager en saison sèche. La technique de régénération naturelle assistée (RNA) de ces parcs est peu couteuse et très efficace car les agriculteurs ont fait des efforts (parfois soutenus par les projets) pour repérer et protéger les jeunes pousses de Faidherbia. Cela a pu être facilité par la baisse des effectifs d’animaux d’élevage dans certaines régions en crise ou par un meilleur gardiennage des troupeaux. Mais de grandes régions ne peuvent pas bénéficier de cette technique pour des raisons pédologiques ou du fait d’une mécanisation poussée de l’agriculture en traction animale et maintenant avec des tracteurs. Cette mécanisation qui est peu compatible avec une dispersion des arbres dans les parcelles, il faudrait qu’ils soient positionner sur des lignes ce qui n’est pas facile à obtenir avec la régénération naturelles assistée.
Au cours des années 1990’ l’agriculture de conservation, appelée aussi système de culture sous couvert végétal(SCV), est alors apparue pour les agronomes comme une solution appropriée et pour certains, adaptée à toutes les situations d’Afrique sub-saharienne. Ce type de système de culture combine 3 principes : travailler au minimum le sol (si possible en faisant un semis direct sans labour), couvrir le sol le plus longtemps possible surtout en début de saison des pluies, pratiquer la rotation ou l’association des cultures (en particulier en augmentant la place occupée par les légumineuses comme le niébé, l’arachide ainsi le stylosanthes, le mucuna et la dolique, 3 cultures fourragères). D’un point de vue agro-pédologique les SCV sont très intéressants car les résidus de culture laissés au sol le protège des pluies et du vent, et apporte progressivement de la matière organique à la couche superficielle de sol car ces résidus sont décomposés par les microorganismes et la macrofaune. Mais cette technologie tarde à se diffuser dans les régions où elle a été vulgarisée comme les zones cotonnières du Mali, Burkina Faso, Cameroun. Certes les moyens mobilisés pour cette vulgarisation ont été beaucoup plus limités qu’en Afrique de l’Est et Australe. Mais là-bas aussi les agriculteurs ayant commencé à adopter cette technique se heurtent à plusieurs difficultés :
La concurrence entre les différentes utilisations des résidus de culture est très forte (alimentation du bétail, feux et construction, production de compost, couverture du sol) au niveau de l’exploitation mais aussi entre les éleveurs, agro-éleveurs et agriculteurs sans élevage. Bien souvent il est difficile de protéger les mulch de couverture de la dent du bétail et parfois des feux intentionnels ou accidentels ;
Si au moment du semis direct le sol est couvert partiellement par les résidus de culture, il devient difficile ensuite de désherber les champs sans avoir recours aux herbicides. Cet intrant n’est pas toujours disponible sur les marchés locaux et l’on connait mal ses effets sur l’environnement et la santé du bétail et des paysans. Le sarclage manuel est gêné par les résidus et le sarclage ainsi que le buttage mécaniques ne sont plus possibles. Les SCV sont fonctionnels, productifs et peu couteux en travail lorsque le mulch de couverture du sol est épais, ce qui empêche les mauvaises herbes de pousser et limite les pertes d’eau du sol par évaporation ;
Enfin le semis direct dans le mulch demande de la technicité et plus de temps de travail ou de disposer d’un semoir (manuel, attelé) spécifique au semis direct dans le mulch qui est assez couteux.
Toutes ces innovations techniques sont-elles inutiles ? Tous les projets qui les ont mises au point et vulgarisées ont-ils toujours échoué ? Non et heureusement pour les agriculteurs ouest africains. Il y a eu de leur part une prise de conscience et beaucoup d’apprentissage. Les résidus de culture sont de moins en moins brulés aux champs (ce qui limite les pertes de matière organique), la protection des jeunes arbres est plus fréquente, la production de fumure organique animale et végétale augmente surtout dans les exploitations bien équipées en charrette et disposant de beaucoup de main d’œuvre (Sud du Mali, par exemple). Enfin des techniques de conservation de l’eau et du sol sont largement adoptées quand le ruissellement et l’érosion compromettent la production agricole.
Limiter les pertes en eaux et une gestion concertée de l’eau
En effet, il y’a la nécessité de raisonner en même temps les besoins en eau des cultures et leur fertilisation en combinant fumures minérale et organique dans la mesure du possible. Une culture qui ne souffre pas d’un manque d’eau se développera dans de bonnes conditions si elle peut trouver dans le sol les nutriments dont elle a besoin. Dans certaines régions semi-arides (300 – 700 mm/an) ouest-africaines les agriculteurs ont beaucoup progressé dans ce domaine avec des techniques comme le zaï, les cordons pierreux et plus localement le paillage des sols compactés. En Afrique de l’Est la technique des micro-bassins est en voie d’adoption. Lorsque la pluviométrie annuelle est plus élevée (700 à 1200 mm) il faut aussi gérer des poches de sécheresse mais aussi des épisodes très pluvieux qui peuvent compromettre les récoltes.
Globalement et quelle que soit la région, les apports de fumures restent trop limitées même si l’agroforesterie peut y contribuer par la chute des feuilles au sol. On a rappelé ci-dessus les contraintes de mise en œuvre de chaque technique proposée par la recherche ou les agriculteurs. Ceci nous amène à considérer qu’il n’y a pas une technique « passe-partout » et idéale mais qu’il faut amener les agriculteurs à raisonner une combinaison de techniques de gestion de la fertilité des terres en fonction du type de sol, de leurs contraintes majeures (manque d’eau et/ou de nutriments) et d’abord de leurs objectifs et stratégies (agriculture et/ou élevage, niveau d’intensification). La complémentarité entre les techniques est évidente que l’on raisonne à l’échelle d’une parcelle ou de l’exploitation. Par exemple l’usage raisonné de l’engrais minéral permet rapidement d’accroitre les rendements si l’alimentation en eau des cultures est assurée. Mais ce gain s’accompagne aussi d’une augmentation de la production de paille qui va améliorer la production de fumure organique et l’alimentation du bétail. De même si les sols sont suffisamment riches et l’eau des pluies bien gérée il sera plus facile de réussir une culture associée céréale - légumineuse dont les effets sur la fertilité du sol, la production de fourrage et de graine sont indéniables. L’utilisation d’engrais minéraux ne doit pas être considérée comme une source de nuisances pour les populations rurales ou de dégradation de l’environnement car les doses que les agriculteurs peuvent utiliser sont faibles et ne vont pas affecter la qualité de l’eau des nappes ni les caractéristiques physicochimiques des sols.
Inversement mettre l’accent uniquement sur la vulgarisation et l’accès aux engrais minéraux par la subvention comme cela a été fait après la crise alimentaire de 2008, serait une erreur pour les raisons évoquées ci-dessus. Cela pose la question du type de politiques publiques et des mesures d’accompagnement pour une gestion durable des sols agricoles d’Afrique de l’Ouest.
Amener les agriculteurs à être plus autonomes est un objectif louable mais pour cela il y lieu de renforcer les capacités des acteurs à différents niveaux de décision. Les agriculteurs tout d’abord afin qu’ils disposent des bases de connaissance pour apprécier les atouts et limites des technologies prometteuses. Leurs organisations doivent être renforcées et plus opérationnelles pour développer des systèmes de crédit /épargne combinant l’achat d’intrants, la commercialisation des surplus de récolte et des services sociaux de base (fonds locaux pour l’alphabétisation et la santé). Mais il s’agit aussi de faire évoluer les pratiques des chercheurs souvent focalisés sur une seule technique considérée comme « la bonne » et ne voulant pas considérer l’ensemble des ressources des exploitations agricoles et le besoin d’organisation collectives pour aménager les terroirs villageois. L’appui-conseil aux agriculteurs doit aussi être rénové, les conseillers agricoles être plus présents dans les champs avec les agriculteurs. Mais cela nécessite des politiques publiques qui aillent au-delà de la seule subvention des engrais minéraux. Quelles mesures incitatives pourraient faciliter l’important et pénible travail de production de fumure organique ? Comment faciliter les coordinations entre type de producteurs pour qu’il soit possible pour certains de planter des arbres ou de préserver le mulch de couverture du sol sur une partie de leurs champs sans que des troupeaux ou des animaux divagant viennent les détruire. Des lois et règlements existent dans certains domaines mais il s’agit surtout d’établir un contrat social entre catégories de producteurs et entre eux et les autorités locales et nationales pour aboutir à une gestion concertée de l’eau, de la biomasse et du sol dans ces régions.
Pour une intensification agro-écologique
Combiner innovations techniques et organisationnelles à différents niveaux – le champ cultivé, l’exploitation agricole, le terroir villageois et la petite région – dans un objectif de produire plus sans dégrader la fertilité du sol et l’environnement correspond à ce que certains ont appelée l’intensification agroécologique.
L’agroécologie développée dans les agricultures familiales d’Amérique du Sud a bien le souci de valoriser les ressources locales, le savoir-faire et les innovations paysannes, mais aussi s’inscrit dans un mouvement social pour l’autonomisation et la responsabilisation des agriculteurs. Dans tout cela le sol et sa gestion durable restent des éléments de base à transmettre aux futures générations.
Patrick Dugué,
Chercheur
CIRAD, UMR Innovation, Montpellier, France
Email : patrick.dugue@cirad.fr