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Editorial

Des sols sains et durables pour des exploitations familiales résilientes.

L’année 2015 a été déclarée par la 68ième Assemblée générale des Nations Unies, Année Internationale des Sols. L’objectif est de sensibiliser pleinement sur les rôles fondamentaux des sols pour la vie humaine et promouvoir des politiques et des pratiques efficaces afin d’assurer une gestion et une protection durables des ressources en sols. Il s’agit donc d’un moment idéal pour nous de porter un regard particulier sur cette ressource, tant essentielle à l’agro-écologie et à l’agriculture familiale de manière générale.

Selon la Convention des Nations Unies pour la Lutte contre la Désertification (UNCCD), les terres agricoles représentent un dixième de la surface terrestre de notre planète. Cette ressource assure de manière directe la survie de plus de trois milliards de personnes vivant en zone rurale dans les pays en développement.

Actuellement, avec l’accroissement démographique dans les différentes régions du monde, notamment dans les zones semi-arides, plus particulièrement dans les pays du Sahel, mais aussi avec les effets du changement climatique, on assiste à une surexploitation et une forte dégradation des terres agricoles. Ceci, a conduit à une baisse de la productivité des exploitations agricoles familiales et précipité l’abandon d’un grand nombre de pratiques préservatrices des sols.

Quelles sont les causes réelles de la dégradation des terres agricoles ? Quelles innovations et stratégies sont mises en œuvre par les agriculteurs familiaux pour gérer la matière organique et améliorer la vie des sols ? Quels sont les problèmes qu’ils rencontrent et quels avantages en tirent-ils ? Quelles sont les solutions proposées par les chercheurs et les décideurs politiques pour favoriser une transition vers des sols sains et durables ? Quelles leçons peut-on tirer des succès et des échecs de ces différents processus ? Diverses interrogations que l’on se pose en cette AIS2015 pour alimenter la réflexion sur la santé de nos sols.

Questionner l’histoire !

Depuis toujours, les agriculteurs ont disposé d’un savoir faire et de connaissances endogènes pour maintenir leurs sols fertiles. En effet, des pratiques telles que la jachère pour laisser reposer leurs terres, la rotation des cultures sans oublier les approches de conservation des sols et des eaux, ainsi que l’agroforesterie et l’agro-écologie, ont longtemps existé.

Dans ce numéro, Roland Bunch, nous invite à revisiter l’histoire pour comprendre que ces approches ont depuis longtemps existé et qu’aujourd’hui, l’histoire des sols a aidé à discréditer trois mythes qui stipulaient que les sols productifs vont inévitablement se détériorer au fil du temps, que les sols doivent être labourés pour rester friables et productifs et que les agriculteurs modernes doivent se consacrer à la monoculture.

Il explique comment l’Agriculture de Conservation (AC), en 35 ans, a transformé l’agriculture pour 3 millions d’agriculteurs sur 30 millions d’hectares au Brésil et au Paraguay et s’est qui ensuite propagée à 30 autres pays.
Dans le même sens, Patrick Dugué partage son point de vue d’agronome sur la gestion durable des terres en faisant l’historique des pratique de la GDT en Afrique de l’Ouest, jusqu’à l’émergence du mouvement en faveur de l’agro-écologie. Il a revisité d’anciennes pratiques comme les terrasses en pierres, la jachère pâturée en rotation avec les céréales et l’arachide, les associations sorgho-niébé et les parcs arborés à Faidherbia Albida (balanzan, kadd ou gao en langues vernaculaires), Vitellaria paradoxa (karité) ou Proposopis africana.
Il considère qu’il n’y a pas une technique « passe-partout » et idéale et qu’il faudrait une combinaison de techniques de gestion de la fertilité des terres en fonction du type de sol, de leurs contraintes majeures et aussi en fonction des objectifs et des producteurs. La complémentarité entre les techniques de GDT est évidente que l’on raisonne à l’échelle d’une parcelle ou de l’exploitation. Il plaide pour une transition agro-écologique par la mise à l’échelle de ces pratiques qui jusque là reste difficile avec la pression foncière et l’inadéquation des textes qui ne prennent pas en comptes ces approches.

Innover pour exister

L’innovation constitue un important facteur de l’adaptation et du développement de l’agriculture familiale dans les pays du Sahel. Maintenir les sols fertiles et productifs a toujours était donc un défi pour les agriculteurs familiaux. A ce titre, ils n’ont jamais manqué d’ingéniosité pour faire face à dégradation des sols. Ce numéro d’AGRIDAPE a tenté de partage quelques innovations mis en œuvre pas les communautés paysannes mais aussi par la recherches et les ONG.

De génération à génération, des réponses innovantes ont été mises en place. C’est le cas au Cameroun où le compostage des ordures ménagères a permis non seulement de générer de la matière organique essentielle aux cultures maraichères, mais aussi une meilleure gestion des ordures au sein des quartiers. D’autres approches de production de matière organique sont expérimentées à petite échelle dans ce pays, il s’agit des déjections de porc qui en plus de fournir de la matière organique, aide à lutter contre la gale dactyloforme du chou, ainsi que le potentiel du crottin de cobaye.

Au burkina Faso, du fait que les jachères deviennent de plus en plus courtes ou souvent même abandonnées, certains agriculteurs ont trouvé des moyens de restaurer leurs sols grâce à ce qu’ils appellent la « culture sur paillis » à l’aide de la régénération naturelle des jeunes pousses de Piliostigma reticulatum communément appelé « pieds de chameau ». Cet arbuste remplit ainsi plusieurs fonctions allant de la fertilisation à l’alimentation du bétail, sans oublier la limitation de l’évapotranspiration pour conserver l’eau du sol.
Cependant, force est de constater que la capitalisation et la diffusion de ces techniques font encore défaut. Pourtant les approches participatives peuvent faciliter le transfert de technologies. De plus des outils puissants de communication existent, on peut citer l’exemple de la vidéo pour inciter le changement de comportement en diffusant les bonnes pratiques. L’ICRISAT a utilisé cette approche à travers la production d’une série de dix vidéos sous le thème « Lutte contre Striga et amélioration de la fertilité des sols » pour encourager la pratique de certaines techniques de GDT telles que le compostage pour lutter contre la Striga et fertiliser les sols.

Des sources alternatives de fumure organique

Au Cameroun, la recherche sur des amendements de matière organique montre que le biochar, un charbon d’origine végétale obtenu par pyrolyse de biomasse des matières organiques d’origine diverse, donne des résultats intéressants sur la fertilité des sols tropicaux confrontés à une forte dégradation. De même au Burkina Faso où les déjections chenilles de Karité sont explorées pour la fertilisation des sols.

L’analyse de la performance des Systèmes Intégration Agriculture et Élevage (SIAE) endogènes entreprise au Bénin, a permis de voir le potentiel de l’association des cultures à l’élevage pour en tirer de la fumure organique et que les agriculteurs sont convaincus que les déjections animales renforcent la fertilité par l’apport des microorganismes qui créent un environnement plus adéquat au développement harmonieux des cultures.

Conclusion

Les sols jouent de multiples fonctions essentielles à la survie des peuples, ils constituent le socle de l’alimentation humaine et animale. Et de nos jours, les agriculteurs familiaux dont la survie dépend fortement, font face à une crise des sols arables.

Cette situation résulte de l’effet des mauvaises pratiques agricoles combinés à ceux du changement climatique et de la surexploitation des terres induites par l’accroissement de la population dans toutes les régions du monde.
Selon l’IFPRI, d’ici 2020, cette situation des sols pourrait constituer une grave menace mettant en danger la production alimentaire et les moyens d’existence des ménages ruraux, notamment dans les régions peuplées et pauvres densément peuplées.
Des approches de gestion durables des terres sont mises en œuvre par les petits exploitants de manière cloisonnée. Pourtant, elles ont donné des résultats intéressants. L’agroécolgie par exemple constitue une réponse pertinente à la perte des sols et à la réponse au défi de production agricole durable.
Il est donc nécessaire de favoriser l’expérimentation des savoirs paysans et la collaboration des chercheurs avec les communautés paysannes pour ainsi trouver des solutions inclusives.

Il n’existe pas de réponses toutes faites mais bien des combinaisons de pratiques et d’actions en faveur de la promotion de pratiques et d’approches de production conservatrices de la santé des sols.

Ce numéro 31.1 d’AGRIDAPE, en cette Année Internationale des Sols, présente des expériences innovantes de renforcement de la fertilité des sols, il partage aussi l’avis de professionnels sur les causes, mais aussi les solutions face à la dégradation des sols.