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Mali : Les vidéos pour inciter les agriculteurs à l’expérimentation dans la lutte contre les Strigas
En Afrique sub-saharienne, les sols fertiles sont doublement importants, car ils permettent de réduire l’infestation par Striga, ou « herbe des sorcières », qui peut gravement réduire les rendements céréaliers. Une série de vidéos sur des agriculteurs montrant leurs résultats obtenus avec le compost produit actuellement un grand impact. Les vidéos font plus que freiner Striga - elles aident les agriculteurs au Mali, au Ghana, au Niger et en Tanzanie à apprendre, à partager leurs idées et à améliorer la qualité de leur sol.
Striga est une herbe parasite nuisible qui vit sur les racines de sorgho, de mil, de maïs et de riz. Elle aspire la sève et les nutriments des plantes pour se nourrir et ne dépend pas du sol. On trouve l’espèce Striga à fleurs rouges en Afrique orientale et australe, tandis que celle à fleurs violettes pousse sur tout le continent. Cette plante préfère les sols pauvres où les cultures de céréales sont généralement peu résistantes. Lorsqu’elle attaque, Striga peut anéantir toute une plante. La lutte contre ce parasite nécessite une stratégie qui associe lutte contre les mauvaises herbes et gestion de la fertilité des sols. Cette lutte s’est avérée compliquée, en partie à cause de l’écologie inhabituelle de Striga, ce qui signifierait que de nouvelles idées et techniques pour constituer la matière organique et améliorer la qualité des sols seraient utiles.
C’est dans cette logique que les chercheurs de l’Institut international de recherches sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT) ont mis en place des champs-écoles au Mali, au Ghana, au Niger et en Tanzanie en 2007 afin d’apprendre et d’expérimenter différentes options de lutte contre Striga. Les agriculteurs ont constaté clairement que Striga est plus présente dans les sols pauvres que dans les sols fertiles. Ce constat a permis de comprendre que la fertilité des sols est décisive dans la lutte contre Striga, notamment par l’utilisation du compost. Le compost est plus efficace que le fumier ou l’engrais chimique, car il est rempli de micro-organismes sains qui attaquent les graines de Striga dans le sol.
Voir c’est croire
La vidéo est un moyen efficace pour les agriculteurs d’échanger des idées et de parvenir à des moyens innovants pour améliorer les sols. Quatre ans après l’initiative des champs-écoles, une série de dix vidéos a été produite avec comme thème « Lutte contre Striga et amélioration de la fertilité des sols » . Les vidéos présentent des agriculteurs diplômés expliquant les techniques efficaces apprises et comment ils les avaient adaptées à leurs propres situations. Les vidéos comprenaient également des animations impressionnantes et détaillées sur la biologie et l’écologie de Striga, c’est-à-dire comment la plante se développe sous terre et pourquoi elle réduit le rendement des cultures.
Un groupe d’agriculteurs du village de N’Tonasso avaient regardé les vidéos sur Striga en 2012 et continuent d’en parler encore aujourd’hui.
L’une des vidéos montre les agriculteurs dans le nord-est sec du Mali qui ont appris à faire du compost dans des fosses en mélangeant la paille et les tiges de céréales avec de la cendre, du fumier et de l’eau afin d’accélérer la décomposition de la matière végétale tenace. Ils ont appris d’eux-mêmes que l’incorporation du compost dans le sol permet de réduire les infestations dues à Striga et d’augmenter les rendements des cultures. Auparavant, ils n’avaient que du fumier composté, et ils étaient très heureux d’apprendre que l’ajout de matière végétale permet de produire beaucoup plus d’engrais organique. De plus, la solution de faire le compost dans des fosses aide à conserver plus d’humidité et à accélérer la décomposition.
Les dix vidéos ont été traduites dans plus de 20 langues et sont disponibles gratuitement sur le site de l’ONG Access Agriculture (http://www.accessagriculture.org/). Outre l’anglais, le français, le portugais et l’arabe, les vidéos sont aussi disponibles en kiswahili, haoussa, bambara, Bariba, Bomu, chichewa, Dagaari, Dagbani, Dendi, Frafra, Gonja, Kikuyu, Kusaal, Luo, Nago, Sisaala, wolof et Zarma. Plus de 50 000 DVD ont été distribués par l’ICRISAT et, avec l’aide des organisations paysannes et communautaires, les agriculteurs à travers l’Afrique ont été inspirés par ces champs-écoles en termes d’apprentissage.
Faire passer les messages
En 2013, nous avons visité le village de Souara au Mali et avons rencontré les agriculteurs qui avaient participé à un champ-école et qui étaient apparus plus tard sur la vidéo du compost. Deux ans après le tournage, chaque ménage a mis en place une fosse à compost pleine, recouverte d’une couche de terre pour maintenir l’humidité. Nous avons également vu de nouvelles fosses à compost dans d’autres villages où les gens n’avaient regardé que les vidéos, preuve de l’impact de ces dernières.
Idées innovantes
Les vidéos ont porté leurs fruits, car elles ne favorisent pas une seule façon de faire - elles montrent les méthodes possibles et pourquoi elles fonctionnent. Après les avoir regardées, les agriculteurs saisissent les principes qui sous-tendent les pratiques telles que le compostage et sont plus motivés et confiants pour passer à l’expérimentation.
Lewa Kamaté, un jeune homme du village de Togo, au Mali, a regardé les vidéos et nous a invités à venir voir sa fosse à compost. Mais il a utilisé le compost pour les légumes et non dans ces champs de sorgho pour lutter contre Striga. C’était la première différence innovante de Lewa par rapport à la vidéo. Il a vu que les fosses à compost étaient couvertes de paille ou de terre, mais il a préféré couvrir les siennes d’une couche vive de plantes de patate douce. Il utilise ensuite les feuilles de patate douce pour nourrir des lapins et ajouter les excréments de ces derniers au compost. Une autre adaptation créative !
Un groupe d’agriculteurs du village de N’Tonasso avaient regardé les vidéos sur Striga en 2012 et continuent d’en parler encore aujourd’hui. Un agriculteur du nom d’Alou Goïta a déclaré qu’après avoir regardé les vidéos, il a créé une fosse à compost d’un mètre de large, de cinq mètres de long et de 1,5 mètre de profondeur. Il avait vidé la fosse à compost une fois et l’a remplie d’ordures ménagères, de cendre et d’enveloppes de maïs pour le compost de l’année prochaine. Les réactions de surprise des voisins, la fierté même d’Alou ont prouvé que la plupart d’entre eux n’avaient rien compris à son innovation. Certains d’entre eux envisagent maintenant de suivre son exemple.
L’expansion et le développement du compostage et l’amélioration de la santé des sols constituent des facteurs importants de la lutte contre Striga. Par ailleurs, lorsque des solutions créatives sont plus que nécessaires, les vidéos peuvent se révéler un excellent moyen de partager des informations et de stimuler l’innovation au sein des communautés.
Jeffery Bentley
Anthropologue agricole vivant en Bolivie et travaillant sur des réponses créatives des agriculteurs face à de nouveaux défis.
Email : jeff@agroinsight.com
Paul Van Mele
Agronome et co-fondateur de l’ONG Access Agriculture.
Email : paul@agroinsight.com