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Le label IGP, un levier de valorisation économique du miel blanc d’Oku, produit de la région des hautes terres de l’Ouest Cameroun

Forêt classée de Près de 20 000 ha,
située entre 1 600 et 3 011 mètres au
dessus du niveau de la mer, la réserve
montagnarde de Kilum-Ijim, dans la région
administrative du Nord Ouest Cameroun,
se caractérise par l’exubérance de sa végétation
et sa diversité biologique.

Le Mont Oku, autour duquel gravitent plus de trente villages, s’inscrit dans cet ensemble qui représente l’un des plus importants « hot spots » du Cameroun.
Plus de 60% des populations de la zone sont rurales et dépendent des ressources naturelles disponibles pour vivre et s’épanouir. Réputées pour leur ingéniosité, les populations de cette zone d’accès difficile (routes peu carrossables) ont appris à tirer parti des produits naturels de la forêt.

L’agriculture et l’exploitation des produits forestiers ont été pendant longtemps les principales activités autour du mont Oku. Mais avec la déprise caféière, spéculation phare qui a jadis porté l’économie de la région, les populations rurales ont été obligées de se tourner vers l’agriculture de subsistance, malheureusement peu productive. Il fallait dès lors trouver des activités à haute valeur ajoutée pouvant permettre de diversifier et d’accroitre les revenus. L’apiculture, une pratique ancienne, est alors apparue comme une excellente alternative pour réduire la pauvreté rurale.

Autrefois basée, essentiellement sur la récolte de miel sauvage, la production de miel a pris aujourd’hui les formes d’une activité organisée et plus moderne. Les apiculteurs utilisent, de plus en plus, des ruches traditionnelles et, plus récemment, des ruches à cadres mobiles dites modernes.

La région produit principalement du miel blanc, appelé miel blanc d’Oku. Les estimations actuelles sur la base des données récoltées auprès des producteurs font état de 44.255kg de miel produits au cours de l’année 2012, soit plus de la moitié du miel produit dans l’ensemble de la région du nord Cameroun. Ces estimations ne tiennent pas compte de la consommation domestique, largement ignorée dans les décomptes faits par les producteurs. La production est principalement assurée par des coopératives et des associations. Des actions de formation sont mises en œuvre, depuis vingt ans par des structures d’appui au développement, y compris à l’endroit des femmes, pour renforcer les capacités des producteurs et améliorer les techniques de production.

Le miel blanc, un produit tributaire de la spécificité floristique du Mont Oku
Le miel d’Oku est un produit unique. Sa couleur blanche contraste fortement avec celle des autres miels africains aux couleurs variant de l’ambre au brun sombre. La texture remarquable et les arômes de fleurs qui se dégagent de ce miel en font un produit très apprécié. Sa haute qualité, le miel blanc d’Oku la doit à la forêt de Kilum-Ijim à l’intérieur de laquelle se développe le gros de l’activité de production.

Le travail de production débute dans les clairières herbeuses basses (en dessous de 800m dans la vallée) quand les apiculteurs posent, en saison sèche, des ruchettes ou des ruches cylindriques pour piéger les essaims d’abeilles (Apis mellifera andansonii). Ces abeilles sont attirées par des mélanges particuliers faits en proportions souvent « secrètes » (recettes individuelles) de cire, bananes sur-matures, miel et autres attractifs. Les ruches colonisées au bout de 3-5 mois sont alors transportées à tête d’homme pour être déposées dans les parcelles boisées situées plus en altitude dans la forêt de Kilum-Ijim.

Cette zone protégée, caractérisée par sa remarquable biodiversité, abrite des espèces végétales typiques des forêts tropicales d’altitude. La forêt présente une variété exceptionnelle d’essences d’arbre à fleurs que les essaims d’abeilles aiment à butiner. Mais la préférence des abeilles va surtout à deux espèces emblématiques de la forêt, le Schefflera abyssinica et le Nuxia congesta. Ce sont les fleurs de ces deux espèces qui donnent au miel d’Oku sa couleur blanche, sa consistance et son goût très recherchés.

En dehors de ses propriétés physiques, le miel d’Oku ou « Oku Honey », présente des vertus nutritives et médicinales avérées qui ont décloisonné sa réputation.

Du fait de ses particularités uniques, le miel blanc est le produit qui incarne le mieux l’identité de la région d’Oku. Ce produit de terroir s’impose, petit à petit sur le marché national et cherche à s’ouvrir des parts de marché à l’international. Il constitue un véritable levier de développement pour la région.

L’IGP, un label garant de qualité et de valeur ajoutée pour le miel d’Oku
Le miel blanc d’Oku serait sans doute resté un produit quelconque sans réelle valeur sur le marché, si les structures d’appui au développement n’avaient pas entrepris des démarches pour faire reconnaitre sa spécificité et ses qualités et ensuite engager un processus pour sa labellisation.

C’est, en mai 2012, que le miel blanc d’Oku s’est vu décerner par l’OAPI le label Indication Géographique Protégée (IGP), ajoutant ainsi un crédit indéniable à la renommée montante de ce miel crémeux, aux arômes uniques, fruit d’une grande intelligence écologique des communautés locales.

Le label IGP ne se borne pas à assujettir la qualité du miel blanc d’Oku à son origine géographique. Il s’accompagne d’une formalisation des règles de production à travers la mise en place d’un cahier des charges. Pour maintenir la qualité du miel d’Oku, les liens entre le produit et son terroir doivent être consolidés afin de préserver sa spécificité et promouvoir sa valeur historique et patrimoniale.

Au-delà d’un simple label, il s’agit véritablement d’un brevet, protégeant des savoirs immenses, valorisant non seulement des individus, mais une démarche collective spécifique et localisée.

En apportant une garantie de qualité au miel blanc d’Oku, Le label IGP augmente sa valeur ajoutée. Le produit peut désormais être vendu plus cher sur le marché tandis que sa distribution et son exportation sont considérablement facilitées. Avec ce label, le miel d’Oku obtient un véritable « passeport » lui permettant de gagner facilement les marchés européens.

Un label porteur de changements et levier de développement

D’un produit de terroir qui passait presque inaperçu sur les marchés locaux, le miel blanc d’Oku est passé à un produit dont l’acquisition est synonyme de prestige. Il a acquis ses lettres de noblesse avec le label IGP.

Ce label, en ouvrant au miel blanc les chemins de la reconnaissance internationale, a créé une dynamique nouvelle autour de l’apiculture dans la zone d’Oku. L’activité mobilise désormais presque toutes les communautés villageoises vivant autour du mont Oku. Elles sont attirées par les revenus importants générés par la commercialisation du miel et de ses produits dérivés.

Avant de parachever le processus de labellisation du miel blanc d’Oku, l’OAPI, appuyée par l’Agence Française de Développement (AFD) et le CIRAD, a initié un programme de renforcement des capacités commerciales (PRCC), destiné aux acteurs de la filière miel blanc. Ce programme a permis d’étendre le réseau de commercialisation du miel blanc qui, petit à petit, est sorti de son cantonnement sur les petits marchés locaux pour gagner les rayons des grandes surfaces de ventes des villes. Deux supermarchés de la métropole de Yaoundé exposent déjà parmi leurs produits le miel d’Oku. Le réseau de commercialisation s’est aussi étendu à d’autres grandes villes camerounaises telles que Bamenda et Douala où on a identifié des boutiques qui assurent la collecte et la vente régulière du miel d’Oku. Les contacts avec l’ONG Guiding Hope permettent d’entrevoir des partenaires extérieurs pour investir le marché international.

Les capacités organisationnelles des producteurs ont aussi été renforcées afin qu’ils puissent défendre au mieux leurs intérêts et tirer profit de leurs activités. Il faut relever que plus de 75% des apiculteurs de la zone appartiennent à, au moins, un groupe ou à une association permettant des échanges et le renforcement mutuel des capacités de production. L’ensemble de ces associations de producteurs de miel blanc a constitué le Kilum-Ijim White Honey Association (KIWHA) qui suit de très près les procédures de la valorisation commerciale du miel blanc d’Oku. La diversité des partenariats, plus ou moins structurée permet aujourd’hui aux apiculteurs d’Oku d’espérer un décollage des ventes directes de leur produits.

La manne financière apportée par le miel a déjà favorisé le développement d’une micro-finance locale (Manchok Credit Union Cooperative).

Cette nouvelle dynamique autour du miel blanc et les changements intervenus dans les systèmes de production et de commercialisation ont eu un impact socioéconomique non négligeable sur les communautés d’Oku. Le miel blanc est devenu un véritable levier sur lequel beaucoup de familles s’appuient pour sortir de la pauvreté.

Contraintes et défis de la valorisation des produits apicoles

Les contraintes majeures de la production et de la commercialisation du miel d’Oku sont d’ordre technique, communicationnel et environnemental.
Au plan Technique, les équipements utilisés dans la production sont souvent « rustiques » ; c’est le cas des enfumoirs à l’origine des feux de brousse accidentels, et souvent des accidents corporels (brûlures) en cas de manipulation inappropriée. Les types de ruches et les méthodes de récolte ne permettent pas d’avoir toujours un produit final de haute qualité exempt de débris ou corps étrangers pour un marché urbain de plus en plus exigeant. Les clarificateurs sont souvent hors de portée des apiculteurs ruraux. L’exploitation des sous-produits de la ruche, (produits à base de cire, de propolis et de déchets de filtration) reste encore peu développée. La fermentation du miel pour obtenir l’hydromel est également très peu maitrisée et se fait souvent dans des conditions d’hygiène à améliorer pour rendre ce produit plus sain et plus apte à la consommation. Le conditionnement, fait sans contrôle et avec les moyens du « bord », limite l’attractivité du produit. Le renforcement des capacités devrait être orienté vers la recherche de solutions à ces problèmes.

Ensuite, au plan communicationnel, la communauté des apiculteurs d’Oku et environs ne dispose pas encore de solides bases de marketing pour tirer partie de la particularité de leur produit spécifique. Les démarches actuelles sont certes prometteuses, mais nécessitent une meilleure appropriation de l’ensemble des opportunités liées à la labellisation. Aussi, sans une réelle connaissance du cadre juridique protégeant les producteurs contre les contrefaçons, les abus des trafiquants et l’anarchie du marché, les apiculteurs d’Oku auront du mal à asseoir les bases d’une confiance mutuelle et durable avec les consommateurs.
Enfin, les contraintes environnementales sont liées à la déforestation massive qui réduit sans cesse le vivier naturelle et l’écosystème particulier où se développent les espèces dont le nectar confère au miel d’Oku sa couleur et sa texture remarquables. L’absence de mesures incitatives et même coercitives, ou communautaires/participatives suivies, en direction de la protection de la forêt de montagne est décriée. Mais depuis quelques années, les activités de sensibilisation, menées par les structures d’appui au développement, ont aiguisé la conscience éco-citoyenne des communautés.

Elles semblent aujourd’hui moins ingrates à l’égard de la forêt nourricière qui est à la base de l’activité apicole. La régénération de la forêt est aujourd’hui une préoccupation majeure pour les populations.

Félix Meutchieye, Enseignant-Chercheur, Département des Productions Animales, FASA-Université de Dschang (Cameroun), B.P : 188 Dschang ; fmeutchieye@gmail.com

Mathilde Sanglier, Bachelor of Science, Larenstein University-WUR (Hollande)

Source : Cet article est tiré de la thèse de B.Sc en Marketing and Fair Trade (Larenstein University-WUR), thèse dont les travaux se sont déroulés de Septembre 2012 à Mai 2013 dans la région d’Oku. Nous sommes reconnaissants à l’ensemble de la communauté et des partenaires, ainsi que des collègues qui ont collaboré de manière exemplaire.