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Editorial

Les petites exploitations familiales jouent un rôle considérable dans les systèmes de production des pays en développement.

Présentes et très actives dans des secteurs aussi variés que l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’artisanat, le commerce, etc., ces petites exploitations familiales reposent généralement sur des systèmes économiques combinant une production destinée à l’autoconsommation et une production orientée vers les marchés. La croissance de la demande en produits divers, induite par la croissance démographique, l’explosion urbaine et la hausse du pouvoir d’achat, a contribué à renforcer la part de la production destinée aux marchés locaux, régionaux, nationaux, voire internationaux. L’implication croissante dans le fonctionnement des marchés a considérablement renforcé le rôle des petits producteurs agricoles dans les chaines de valeurs.

Il est important de noter, cependant, que la part des avantages que ces acteurs tirent de leur participation aux chaînes de valeur dépend largement de leur compréhension du fonctionnement général de la chaîne de valeur, de la transparence de l’information et de la communication le long de la chaîne, et de leur pouvoir de négociation. Malheureusement, dans bien des cas, l’isolement dans lequel sont confinés les petits producteurs milite rarement en faveur d’une bonne compréhension de la structure et du fonctionnement des marchés. Le déficit organisationnel et le manque d’information sur les prix constituent de lourds handicaps pouvant compromettre leurs chances de tirer un meilleur parti de leur participation aux marchés.

Dans le contexte de la mondialisation où l’intégration des marchés met les agriculteurs familiaux en contact avec des acteurs internationaux rompus aux techniques de négociation, mieux organisés et financièrement plus assis, les déséquilibres et inégalités se sont davantage creusés. S’élever dans cette chaîne de valeur mondiale comporte des coûts importants que les petits producteurs peuvent difficilement supporter. Pour être compétitifs, ils sont astreints au respect d’une batterie de normes que leur niveau d’organisation et le caractère informel de leurs activités ne permettent pas.

Dès lors, comment améliorer la sécurité de la chaîne pour les petits producteurs et s’assurer qu’ils obtiennent une grande partie de la valeur ajoutée générée dans la chaîne de commercialisation et une partie équitable du prix final ?
La gestion des disparités dans les chaines de valeurs est un défi qui se pose avec acuité et qui interpelle tout un chacun.

Ce numéro 29.2 d’AGRIDAPE en se penchant sur la problématique des chaines de valeurs dans le contexte des nouveaux marchés agricoles émergents, cherche à attirer l’attention sur les déséquilibres qui empêchent les petits producteurs de tirer plus de valeurs ajoutées de la commercialisation de leurs produits. Ce numéro cherche, par ailleurs, à capitaliser et à partager les expériences, innovations et stratégies mises en œuvre pour relever les nouveaux défis posés par la domination des marchés agricoles par les maillons supérieurs des chaines de valeurs (entreprises, gros commerçants, etc.).

S’organiser pour gagner de la valeur ajoutée

Les petits producteurs sont confrontés à des handicaps majeurs qui limitent, à des niveaux très bas, la valeur ajoutée tirée des chaînes de valeur. Parmi ces handicaps, figure, au premier rang, le déficit organisationnel qui oblige certains acteurs à agir seul dans un marché où les lois sont dictées par les plus forts.
Leurs chances d’accroitre leurs revenus pourraient être démultipliées si ces acteurs se regroupaient dans le cadre de coopératives ou d’OP. Ces coopératives et OP peuvent aider à concentrer l’offre, faciliter la mise en relation avec d’autres acteurs et leur formalisation (contractualisation entre producteurs et acheteurs) pour assurer un débouché à la production et récupérer une partie de la valeur ajoutée des opérations de collecte.

Ce rôle important des organisations paysannes a été compris par une structure d’appui au développement, en Guinée, le PNAAFA qui a expérimenté une nouvelle approche dans l’encadrement et l’appui au monde paysan, à travers un appui organisationnel, pour leur permettre de participer à l’ensemble du processus de mise en œuvre de leurs activités. La démarche innovante du PNAAFA, a permis de renforcer la professionnalisation et l’autonomie des organisations paysannes afin d’en faire de vraies acteurs de filières agricoles, capables d’améliorer les services rendus à leurs membres et de mieux lutter contre la pauvreté. Grâce à une meilleure organisation, ces OP sont devenues de vrais artisans de la lutte contre la pauvreté en milieu rural. (PP.).

Au Sénégal, aussi, les organisations interprofessionnelles (OIP) jouent un rôle de premier plan dans la régulation du secteur laitier. Elles sont très impliquées dans la gestion de l’offre, la négociation sur les prix et la gestion de la qualité. Le lobbying et le plaidoyer occupent, par ailleurs, une place importante dans les actions des différentes organisations. Ces actions de plaidoyer sont relatives à l’application de la législation sanitaire et la réglementation sur la qualité du lait et des produits laitiers, la prise en compte de la spécificité des produits laitiers locaux, les incitations pour l’appui à l’investissement et au financement de la filière et la régulation des prix pour réduire la forte concurrence par les produits laitiers importés.

Renforcer la participation des femmes aux marchés

Les productrices sont indéniablement les couches qui pâtissent le plus des déséquilibres et inégalités dans les chaines de valeur. Beaucoup plus touchées par le manque d’information sur les marchés, elles constituent des proies faciles pour les commerçants et autres intermédiaires qui n’hésitent pas à profiter de leur méconnaissance du marché pour fixer les prix à leur avantage. Les manques à gagner sont énormes pour ces femmes qui, pour mettre un terme à ces abus, se regroupent, de plus en plus, au sein de grandes organisations et coopératives.
Au Mali, dans la région de Ségou l’association Faso Jigi mène de nombreuses activités de plaidoyer afin d’accroître l’accès aux services de crédit, la fourniture de conseils techniques et de faciliter l’achat en gros d’engrais à des tarifs négociés pour les groupements de femmes. Elle compte actuellement 4 200 membres dont 960 sont des femmes spécialisées dans la production et la commercialisation de l’échalote. Les coopératives sont représentées au sein de Faso Jigi par une femme responsable de la commercialisation collective de leur production d’oignons et d’échalotes. Cette représentante veille à ce que les préoccupations des femmes et leurs besoins soient intégrés aux stratégies élaborées par la Faso Jigi. (PP)

Quant à l’Association féminine pour le développement Buayaba (AFDB), une ONG nationale burkinabé qui rassemble 3 200 femmes issues de 42 organisations paysannes, elle mise sur la promotion de la formation pour l’autonomisation économique et sociale des femmes.

Elle a aidé une de ses membres, une organisation de productrices de beurre karité, à mettre sur pied une compagnie de commerce, à développer un plan d’entreprise et à mettre en place une stratégie de développement. Cet appui donne la possibilité aux femmes de cette organisation de concentrer leurs efforts sur des chaînes d’approvisionnement courtes, sur lesquelles elles exercent un contrôle et permet de réduire ou d’éliminer les intermédiaires et d’obtenir de plus grandes marges de bénéfices. (PP).

Miser sur la qualité des produits pour être plus compétitif

Dans un marché mondialisé, les critères de qualité prennent une importance grandissante auprès des consommateurs.

Les acteurs de la chaine de valeur qui voudraient tirer leur épingle du jeu commerciale international, doivent dès lors, s’assurer que les produits qu’ils mettent sur le marché sont de bonne qualité et respectent les standards mis en place par la communauté internationale. L’adhésion des petits producteurs à la chaine de valeur mondiale est fortement subordonnée à leur capacité à respecter les standards internationaux et les normes de qualité des produits. Ces normes exigent un respect strict de certaines règles sanitaires et de sécurité dans les processus de production. Ces exigences dépassent souvent leurs capacités, ce qui entraîne leur exclusion de marchés plus intéressants (Abonyi, 2007).
Mais certains producteurs parviennent, tant bien que mal, à satisfaire ces exigences de qualité, ouvrant ainsi leurs produits à un marché plus large et plus diversifié. C’est le cas des producteurs de miel blanc du Mont Oku, au Cameroun. Ce produit au goût, à la couleur et à la texture, uniques s’est vu décerner en 2012 le label IGP (Indications géographiques protégées).

Ce label, en ouvrant au miel blanc les chemins de la reconnaissance internationale, a créé une dynamique nouvelle autour de l’apiculture dans la zone d’Oku. L’activité mobilise désormais presque toutes les communautés villageoises vivant autour du mont Oku. Elles sont attirées par les revenus importants générés par la commercialisation du miel et de ses produits dérivés. (PP).

Améliorer l’environnement des chaines de valeurs à travers des politiques adaptées

Au regard de ce qui précède, il apparait clairement que pendant que la mondialisation favorise l’intégration des économies des pays en développement au système économique mondial et apporte la croissance dans certaines régions, elle est aussi porteuse d’inégalités. L’efficacité des chaînes de valeur, quelles soient mondiales, nationales, régionales ou locales, profite rarement aux agriculteurs familiaux et aux autres petits producteurs qui subissent la loi du marché.

Un assainissement de l’environnement des chaines de valeur, à travers des politiques adaptées, s’avère dès lors impératif pour corriger les déséquilibres et donner plus de chances aux maillons les plus faibles de tirer plus d’avantages et de revenus de leurs activités.

« Une intervention sur les chaine de valeur profitable aux populations pauvres consiste en des approches les intégrant dans ces chaines avec comme objectif d’augmenter leurs revenus, d’abord par l’amélioration des prix au producteur (politique de prix) et la prise en compte de manière coordonnée des contraintes ». (FIDA).

Les politiques devant permettre de corriger les imperfections et déséquilibres liés à la structure des marchés, doivent être basées sur l’approche chaine de valeur et doivent nécessairement tenir compte des relations de pouvoir entre les acteurs du marché, identifier les activités servant à uniformiser les règles du jeu entre les acteurs les plus riches et donc ayant plus de pouvoir et les populations rurales pauvres qui sont faibles sur le marché.

L’interventionnisme des pouvoirs publics à travers des politiques adaptées et une régulation du marché pourraient aider à assurer la responsabilité sociale permettant une distribution équitable de la valeur ajoutée dégagée dans les chaines de valeur.