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L’avenir de l’élevage au Sénégal : le salut par la chaîne de valeur

Jusqu’à présent, les politiques de modernisation
de l’élevage au Sénégal se sont
focalisées sur les soins à apporter au bétail.
Des spécialistes estiment qu’il faut
maintenant prendre en compte toute la
chaîne de valeur et, surtout, stabiliser le
bétail dans sa zone de prédilection.

Jusqu’à présent, les politiques de modernisation de l’élevage au Sénégal se sont focalisées sur les soins à apporter au bétail. Des spécialistes estiment qu’il faut maintenant prendre en compte toute la chaîne de valeur et, surtout, stabiliser le bétail dans sa zone de prédilection.

Parole d’expert : « Qualitativement et quantitativement, au Sénégal, nous mangeons de la mauvaise viande, de la vieille carne. » L’homme qui fait cette forte affirmation semble savoir de quoi il parle, car il est le président du Conseil de l’ordre des vétérinaires. En plus, le Dr Abou Mamadou Touré, qui possède un cabinet de consultation à Dakar et dans la zone sylvo-pastorale, à l’intérieur du pays, a un long passé de praticien dans plusieurs localités et hameaux du Nord et du centre du pays. Il indique que si la situation est telle qu’il la décrit, c’est parce que le système de production et de commercialisation ne permet pas de fournir de la viande de qualité à la consommation. Pour en finir avec cette situation, le vétérinaire indique qu’il faut que le Sénégal modernise le secteur, en assurant que cela passe par un élevage intensif, ainsi que par la pratique de l’embouche bovine.

Et si ses confrères de la Fonction publique sont d’accord avec lui concernant ce diagnostic, les deux parties ne se retrouvent pas toujours sur la démarche à suivre.

Préserver l’agropastoralisme

Ainsi, le directeur de l’Élevage au ministère de l’Agriculture, le docteur Sakho, vétérinaire comme son collègue, pense que la modernisation de l’agriculture ne doit pas nécessairement en finir avec le pastoralisme, en particulier l’agropastoralisme. Le D Sakho estime que l’agropastoralisme est l’un des éléments qui fondent le dynamisme de l’élevage et de l’agriculture, et que l’on ne peut se permettre de passer l’éponge dessus, à moins de vouloir en finir avec l’élevage au Sénégal, ce qui est impensable. Le directeur de l’Élevage fait remarquer que, même dans la phase actuelle de son développement, l’agriculture sénégalaise ne peut aller loin sans l’élevage. Il indique que quasiment chaque famille, chaque concession agricole, dans le pays, comprend au moins un animal d’élevage, mouton, cheval, âne ou vache. Et la culture attelée a besoin de chevaux, d’ânes et de bœufs. « Mais vouloir faire de l’élevage intensif, c’est, d’une certaine manière, priver l’agriculture sénégalaise de ces appoints indispensables », estime-t-il.

Production de viande en baisse

À ces arguments, le docteur Touré rétorque que la production de lait et de viande a fortement baissé au Sénégal depuis les premières années de l’indépendance, signe d’une très mauvaise exploitation du secteur. Ainsi, indique t-il, « la production de viande est passée, dans notre pays, de 21kg par tête d’habitant en 1960, à 13kg en 2008 ».

Le docteur Abou Mamadou Touré a voulu organiser des États généraux de l’élevage, au mois de septembre, dans la ville de Thiès, à 75 km de la capitale Dakar. Cette rencontre, qui devait mobiliser tous les acteurs du secteur de l’élevage, pour lancer une réflexion sur son développement futur, avait été boudée par les instances officielles, qui ont même monté une partie des éleveurs contre ses promoteurs. Cela, sous prétexte que la manifestation avait des motivations politiques. Néanmoins, d’autres acteurs et éleveurs, considèrent que plusieurs points soulevés lors de ces États généraux méritent d’être pris en considération. L’élevage au Sénégal, c’est 3,5 millions de bovins, pour 10 millions de petits ruminants, et environ un demi-million d’ânes et de chevaux. Le secteur produit également, bon an mal an, 25 millions de volailles diverses, ainsi que 6.000 chameaux et dromadaires. Et surtout, les statistiques officielles indiquent qu’il polarise 3,5 millions d’individus, pour 35 % du Pib du secteur primaire, et 7 % du Pib national.

Le secteur pèse globalement, 600 milliards de francs Cfa (environ 916 millions d’euros). Pourtant, tout le monde convient que le secteur pourrait rapporter plus à l’économie nationale, et jouer un rôle plus important dans la sécurité alimentaire, s’il était mieux structuré...

C’est là qu’entre en jeu la modernisation intensive. Le docteur Touré fait remarquer : « Actuellement, l’État subventionne à coup de milliards de francs Cfa. L’État paie les semences, subventionne les produit jusqu’à 80 %. Vu l’enclavement de certaines zones d’élevage, c’est l’État qui emmène les inséminateurs jusque dans les coins les plus reculés. En retour, on a vu que certains troupeaux ont déjà commencé à produire des génisses, dont certaines ont même déjà commencé à donner du lait. Mais à quoi sert ce lait produit dans des zones reculées ? » Il ajoute que s’il n’y a pas de route, le paysan ne peut pas écouler son lait. De plus, s’il n’a pas de ressources suffisantes, pour nourrir son bétail, et si ce dernier est confronté à des problèmes d’eau, les vaches laitières finiront par réduire, pas arrêter, leur production de lait.

Donc, à quoi bon se lancer dans de l’insémination avant d’avoir pu régler les contraintes en amont ?

Ces remarques permettent au spécialiste d’affirmer que « la modernisation de l’élevage ne doit plus nécessairement se focaliser sur les animaux, mais sur toute la chaîne ». Cette analyse met au même plan la formation des hommes et les soins à accorder aux animaux. Si l’on veut obtenir des produits animaux de qualité, il faut que les personnes chargées d’en prendre soin, à savoir les éleveurs, les vétérinaires et les commerçants, sachent comment s’occuper de ce bétail.

Une agence pour le Ferlo

Le président de l’Ordre des vétérinaires explique : « Quand un éleveur se trouve avec son troupeau dans le fin fond du Ferlo, dans la zone sylvo-pastorale, aux environs de Linguère, là où il n’y a quasiment pas de bonne route pour accéder aux grands centres urbains, comment fait-il pour écouler ses animaux ? Il ne faut pas oublier que là bas, les troupeaux sont importants, et il n’est pas rare de trouver un berger propriétaire de mille ou deux milles têtes de bétail, sinon plus »
Cet enclavement a par ailleurs, fait que le système financier traditionnel n’y a pas pris pied. On ne trouve pas de banque dans la zone sylvo-pastorale, et les institutions de micro finance y sont encore peu nombreuses.

Un commerçant qui s’aventure dans cette zone pour acquérir des animaux doit avoir de l’argent liquide. Mais la sécurité impose de ne pas non plus posséder des sommes trop importantes, pour ne pas attirer l’attention de malfaiteurs. Alors, s’est imposé un système, que le D Touré accuse d’être à la base de la stagnation de l’élevage au Sénégal. Il s’agit d’une sorte de vente à tempérament, ou de crédit au fournisseur. Le commerçant, qui cherche à rentabiliser son voyage, va prendre le maximum de bêtes qu’il peut, parfois même plus d’une centaine de têtes. Mais comme il n’a souvent pas les moyens financiers de les acquérir au comptant, il va avancer un certain montant au propriétaire, avec la promesse de lui remettre le solde une fois les bêtes vendues dans les grands centres urbains.
Mais comme l’éleveur ne peut jamais être certain à 100 % qu’il va être payé dans un délai raisonnable, il préfère se débarrasser des sujets les plus faibles de son troupeau, et les moins résistants, et garder ceux qui peuvent encore supporter les dures conditions de l’élevage pastoral.

Ainsi, se dit-il, même s’il n’est pas payé, au moins il n’aura pas complètement perdu dans l’opération.

Pour mettre fin à ce système, dans lequel, en fin de compte, personne ne trouve véritablement son compte, le D Touré ainsi que plusieurs autres acteurs demandent la mise en place d’une entité qui serait chargée du développement de la zone sylvo-pastorale, « et donc de la modernisation de l’élevage ».

Doly, base de la modernisation de l’élevage

Pour les intéressés, l’entité à mettre en place serait chargée de l’aménagement des terres et du développement des infrastructures.

Ils expliquent que le Ferlo a la chance d’abriter le ranch de Doly, une propriété de l’État composée de 88.000 ha de bonne terre et d’une végétation des plus variée.
« Une formidable réserve de biosphère, mais qui a été très mal exploitée depuis les indépendances », estime le D Touré.

Ses collègues de l’Ordre des vétérinaires estiment que cet endroit pourrait servir de base à la modernisation intensive de l’élevage. « En fait, la seule ressource qui ne soit pas disponible en abondance dans la réserve, comme dans tout le Ferlo en général, c’est l’eau.

Or, il suffit que l’État, par le biais de l’entité qu’il va mettre en place, en fasse l’une de ses priorités, pour que les choses se décantent », souligne Bocar Ly, enseignant-chercheur à l’École vétérinaire de Dakar.

Le manque de voie d’accès a toujours renvoyé de la zone sylvo-pastorale, l’image d’un lieu peu propice à la vie, avec des conditions d’existence précaires. Ce qui en fait une « terra incognita » au beau milieu de la carte du Sénégal. Une route qui passerait au beau milieu, comme on en parle depuis des années, servirait plus qu’à réunir le Nord du Sud du Sénégal. Elle relancerait fortement les activités économiques, tout en facilitant la vie des éleveurs. C’est l’existence d’une route qui permet d’envisager des investissements structurants, d’installer des unités de transformation laitière, ou des abattoirs.

Une entité qui serait composée, à part égale d’associations d’éleveurs, de fonctionnaires des services de développement rural, ainsi que de commerçants impliqués dans la commercialisation du bétail, serait la mieux à même de donner une impulsion au développement de la zone. Elle déciderait des lieux où installer les forages, des axes routiers principaux à établir, qui seraient à même de faciliter les mouvements économiques dans la zone.

Ces axes verraient le développement des lieux d’échanges entre éleveurs et commerçants. Et par-dessus tout, l’entité donnerait aux éleveurs et aux commerçants les cautions bancaires dont ils auraient besoin pour leurs transactions.

En plus, l’entité de gestion de la zone sylvo-pastorale devrait s’occuper de l’électrification, car « sans l’électricité, on ne peut parler de modernisation de l’élevage », affirme Bocar Ly. C’est l’électricité qui permet de stabiliser les populations. Car l’intensification ne peut se faire sans stabilisation des populations, assure Abou Touré. La zone sylvopastorale pourrait bénéficier des avancées technologiques modernes, en utilisant l’énergie solaire, tirant avantage de son fort ensoleillement.

Mohamed Gueye
Chef du « desk » économie au journal sénégalais « le Quotidien ».

Source : Défis sud n° 98 - décembre 2010, janvier 2011 (Dossier : L’avenir de l’élevage africain)