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La diversification de recettes à base de viande de cobayes domestiques au Sud du Cameroun

Face à l’accès souvent difficile aux ressources alimentaires, les populations rurales mettent en place des réponses novatrices à travers la diversification alimentaire. Aujourd’hui, dans le Sud du Cameroun, plusieurs ménages ruraux associent le cobaye domestique à leurs stratégies d’amélioration de leur statut nutritionnel. Une pratique qui s’est rapidement répandu dans les concessions en raison des multiples vertus de la viande de cobaye, mais aussi pour les crottins du cobaye qui sont utilisés pour la fertilisation des jardins domestiques.

L’accès aux ressources alimentaires, aussi paradoxal que cela puisse paraitre est encore un luxe pour la majorité des ruraux, pourtant majoritaires dans la production primaire des aliments. Ceci pourrait s’expliquer entre autres par, d’une part la faible diversité naturelle des produits alimentaires, et d’autre part par le faible enrichissement et amélioration des valeurs nutritives des aliments consommés.

Le déficit d’éducation alimentaire fera perdurer la prévalence des pathologies d’origine alimentaire, notamment dans les pays les moins avancés dans ce domaine. Sur un plan purement anthropologique, la nourriture renvoie à une multitude de considérations symboliques parfois plus que fonctionnelles dans beaucoup de communautés. Le conservatisme alimentaire en milieu rural et le copiage aveugle (facilité de cuisson ou de manipulation des recettes « passe partout ») en milieu urbain sont des sources potentielles de malnutrition, même quand les sources primaires pourraient être suffisamment riches.

Les populations du Cameroun méridional n’échappent pas aux tensions alimentaires, notamment dans les milieux ruraux. En effet, sous la pression des besoins grandissants pour être « à jour » en matière de confort matériel, l’alimentation ne semble pas occuper les meilleurs scores dans la répartition des petits budgets familiaux. Sur ce plan alimentaire justement, manger peut ne pas revêtir toutes les fonctions de construction et de maintien selon les normes moyennes qui entourent les préoccupations de sécurité nutritionnelle au regard de la FAO.

Des recettes novatrices : une composition nutritionnelle riche

Pour venir à bout des déficits nutritionnels suspectés dans leur alimentation, de nombreux ménages s’illustrent par un compromis intéressant avec le disponible alimentaire. Plusieurs études ont révélé la richesse de certaines sauces considérées d’emblée comme peu avenantes ou attirantes. En effet, une analyse chimique des constituants condimentaires a fait apparaitre une gamme considérable de nutriments, notamment minéraux ou des acides aminés parfois rares dans les recettes courantes. Il existe partout dans la région Sud du Cameroun des recettes qui « traditionnellement » correspondent à différents stades de croissance ou d’état physiologique. Dans les régions de l’Ouest Cameroun par exemple, la sauce jaune et la sauce gluante à base du mucilage de Trimphetta cordifolia sont servies aux femmes allaitantes pendant les premiers jours après la délivrance. Souvent peu pris en compte, certaines espèces animales sont restées longtemps « peu » visibles dans les programmes de développement des productions animales, malgré leurs preuves ailleurs. Il en va de même du cobaye domestique qui serait arrivé en Afrique centrale au début du 20e siècle et se serait établi à partir des années quarante comme une viande d’appoint.

Les autres vertus d’une viande peu connue

Le cobaye est un herbivore strict, en général craintif et vivant en groupe. Le cobaye est présent dans la majorité des ménages ruraux avec une taille moyenne de cheptel de 15 animaux. Le mode d’élevage dominant est en général du type extensif, avec peu d’encadrement, mais jouissant d’une rationalité dans les prélèvements. La gestion de la reproduction demeure cependant la contrainte majeure avec une large prévalence de la consanguinité du fait des accouplements incontrôlés. Les raisons de leur élevage par les paysans sont la consommation en premier, ensuite la vente et de plus en plus l’utilisation de leur crottin pour la production des légumes feuilles.

Il est ressorti de nos observations que dans certaines communautés du Nord Ouest Cameroun, les crottins de cobayes servent à la production des feuilles de la morelle noire, légume-feuille appréciée dans la contrée. L’application des fertilisants à base de crottins de cobayes améliorerait les qualités des légumes et ainsi leurs valeurs nutritives. Le cobaye adulte en lui-même constitue une source de protéines animales importante. Sa petite taille la rend facilement manipulable par toute la famille, surtout que sa consommation n’est pas sujet d’un tabou connu. Tous les groupes d’âges apprécient ainsi la viande souple et tendre du cobaye, viande « blanche », pauvre en cholestérol et facile à cuire.

Dans quatre régions administratives du sud Cameroun, nous avons identifié pas moins de 53 recettes « traditionnelles » confectionnées à base de la viande de cobayes. La diversité des épices, les modes de préparation et les menus qui vont avec constituent une option stratégique que les familles rurales adoptent pour faire face aux soucis de déficits nutritionnels prédominants. Parmi les modes les plus prisées et qui s’exportent déjà dans des restaurants huppés des grandes villes, la cuisson à l’étouffée sous feuilles connue sous le nom local de « ndomba » est tout un art culinaire. Certains ménages le confectionnent plus ou moins régulièrement pour les jeunes enfants en croissance et des personnes aux âges respectables.

Les plateformes d’innovation de la caviaculture co-facilitée par l’ensemble des acteurs a permis de déboucher sur des pistes inattendues, voire inédites pour ce secteur (voir AGRIDAPE Septembre 2013 - volume 29 n°3, pp : 31-33). Aujourd’hui, dans la seule ville de Yaounde, en quelques années, plus d’une dizaine de restaurants se sont spécialisés dans la préparation et la vente des menus à base de viande de cobayes. Evidemment, en Amérique centrale et du sud, le cobaye fait partie intégrante de la culture alimentaire. On était bien loin de s’imaginer une telle fertilité dans des ménages ruraux du Cameroun qui associent le cobaye domestique à leurs stratégies d’amélioration de leur statut nutritionnel. Des efforts des organisations d’appui, notamment les structures gouvernementales, les organisations non gouvernementales, le secteur privé, la formation et la recherche tertiaires devraient accompagner ces initiatives qui constituent une option durable de satisfaction des objectifs majeurs des OMD.

Cet article est rédigé dans le cadre du Projet N° CSI002-GUI (Université de Dschang-Cameroun) financé par le gouvernement australien (AusAID) et soutenu par ILRI-BecA Hub. Harnessing husbandry of domestic cavy for alternative and rapid access to food and income in Cameroon and the eastern Democratic Republic of the Congo. Pour en savoir plus, visiter : http://wikicavy.wikispaces.com/

Auteurs :

Félix Meutchieye, Enseignant-Chercheur (Amélioration Génétique et Systèmes des Productions) et Coordonateur du Projet, Université de Dschang, Cameroun
Idriss Gabriel Nyebe Mvogo, Ingénieur Agro Economiste, Université de Dschang,
Cameroun

Ursule Claire Mekongo Fombod, Ingénieur-Responsable ONG (AEAC), Yaoundé, Cameroun

Alain Fomekong Tamofo, Ingénieur Agronome Zootechnicien, MINEPIA-ACEFA, Cameroun