Accueil / Publications / AGRIDAPE / Agriculture familiale et Nutrition / Bénin : Initiative des Ecoles Amies de la Nutrition pour lutter contre la (...)
Bénin : Initiative des Ecoles Amies de la Nutrition pour lutter contre la malnutrition
Le Bénin se retrouve parmi les pays présentant des carences sévères en micronutriments chez les enfants en âge préscolaire et scolaire notamment en Fer, en iode et en vit A. Ainsi, l’Initiative des Écoles Amies de la Nutrition (IEAN) a été proposée comme stratégie de réponse aux problèmes nutritionnels chez les enfants et les adolescents. Cette initiative née lors des réunions des experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), du 20 au 24 juin 2005 favorise aujourd’hui dans le pays une véritable éducation nutritionnelle chez les plus jeunes.
Au Bénin, selon les enquêtes réalisées de 1996 à 2014 à l’échelle nationale et départementale, il a été observé que 16%, des enfants de moins de 5 ans souffrent d’émaciation, 21,3% souffrent d’insuffisance pondérale, 44,6% sont atteints de retard de croissance et 58% d’anémie (EDS 2011).
Il est important ici de souligner que l’IEAN a été mise en œuvre pour la première fois en Afrique francophone à titre pilote au Bénin et au Burkina-Faso dans le cadre du projet Double Fardeau Nutritionnel (DFN) [1] , dont le principal objectif était de faire face à ce double défi nutritionnel que représente la coexistence au sein des mêmes populations des troubles de carence et de surcharge.
Les 5 composantes clés de l’IEAN
L’IEAN comprend cinq (5) composantes, lesquelles représentent les critères devant être pris en compte pour conférer à une école le label « Ecole Amie de la nutrition ». Il s’agit de :
• La mise en place d’une politique IEAN au sein de l’école : C’est l’engagement formel de l’école à mettre en œuvre les cinq composantes de l’IEAN. Elle décrit les modalités de développement, de mise en œuvre et d’évaluation des plans d’actions (annuels) de l’école en lien avec la nutrition.
• La sensibilisation et le renforcement des capacités de la communauté scolaire notamment les parents, les enseignants, les inspecteurs, les vendeuses d’aliments à l’intérieur et autour des écoles, etc.
• Le développement de curricula en matière de nutrition qui comprend aussi bien des cours théoriques et des activités pratiques sur l’alimentation et la nutrition, sans oublier l’activité physique et les autres éléments d’un mode de vie sain
• La promotion d’un environnement scolaire qui favorise la santé et la nutrition des écoliers : On se réfère entre autres à l’hygiène et aux mesures d’assainissement à l’école, à l’offre alimentaire par les cantines ou les vendeuses, de même qu’aux espaces pour l’activité physique.
• La dispensation de services de nutrition et de santé scolaire : Il s’agit par exemple de la surveillance de la nutrition et de la santé des élèves, des rapports aux parents sur ces aspects, de soins de santé offerts à l’école ou dans un centre de santé proche, de distribution de suppléments de nutriments au besoin (fer, vitamines), de déparasitage, etc., selon bien sûr les problèmes locaux mais aussi les possibilités.
Axes d’intervention de l’IEAN
Une démarche inclusive axée sur le renforcement de capacités
Dans les écoles cibles de l’IEAN, trois catégories d’acteurs sont au cœur de la démarche. Il s’agit notamment (i) des comités locaux ; (ii) des enseignants ; (iii) du personnel des cantines et (iv) des élèves.
• La démarche de l’IEAN consiste d’abord à organiser un premier atelier pour les comités locaux sur l’élaboration du plan d’action participatif. Par la suite, des ateliers annuels de bilan-programmation sont organisés pour évaluer le degré de réalisation des actions planifiées en matière d’alimentation, de nutrition et d’hygiène. Par la suite, un plan d’action pour la nouvelle année en cours est élaboré. Les ateliers sont aussi l’occasion d’un partage d’expérience entre comité des différentes écoles impliquées dans le processus.
• Des sessions de formation sur les mesures anthropométriques au profit des enseignants sont aussi organisées pour leur permettre de peser et mesurer les enfants selon la méthodologie adéquate, de savoir calculer l’Indice de Masse Corporelle (IMC) et interpréter ses valeurs reportées sur les courbes de l’OMS pour les enfants âgés de 5 à 19 ans. Les enseignants sont également sensibilisés et formés à l’éducation nutritionnelle en vue d’augmenter leurs connaissances sur l’alimentation saine ainsi que sur les aspects clés pour favoriser le changement de comportement.
• En plus des enseignants, le personnel des cantines scolaires sont également formés sur la définition et la classification des aliments, la composition de menus équilibrés, sur l’hygiène alimentaire, la malnutrition et les maladies à transmission hydrique et alimentaire telles que le choléra et les maladies diarrhéiques, ainsi que les mesures préventives. Ils bénéficient également de cours de cuisine pour la préparation de mets sains et équilibrés à partir d’aliments locaux.
• Pour leur part, les élèves sont initiés au micro-jardinage à l’école. Ce qui leur permet d’avoir une connaissance des pratiques de maraîchage qu’ils peuvent reproduire chez eux s’ils disposent d’un espace. Des Ateliers de démonstration culinaire à partir des légumes du jardin scolaire sont aussi organisés.
Mise en application de l’IEAN au Benin
L’Institut Régional de santé Publique (IRSP) pionnière de l’IEAN au Bénin
Au Benin, l’IEAN a été expérimentée pour la première fois par l’Institut Régional de Santé Publique (IRSP) et a concerné 24 écoles réparties dans six (6) complexes scolaires de Cotonou. Au total, c’est près de 6 049 écoliers dont 2986 garçons contre 3063 filles qui ont été touchés par le projet.
L’expérience de Cotonou a démarré en octobre 2009 et a couvert quatre (4) complexes scolaires publics (École Primaire Publique (EPP) Gbégamey-Sud, EPP Gbéto-Sud, EPP Akpakpa-Centre et EPP Vèdoko) et deux (2) complexes privés dont un confessionnel (Complexe Scolaire "les Neems") et l’autre non confessionnel (Complexe Scolaire "Ronsard").
Il s’agissait principalement pour l’IRSP d’accompagner les écoles à identifier eux-mêmes les problèmes nutritionnels des écoliers et à rechercher les solutions appropriées à travers l’élaboration des plans d’actions. Les actions contenues dans les plans d’actions ont concerné entre autres la surveillance de la croissance de l’enfant, la lutte contre la sous-alimentation en famille et à l’école, la surveillance de la qualité des aliments vendus à l’école, la promotion de jardins scolaires et la consommation des fruits et légumes, la lutte contre l’obésité et la carie dentaire, etc.
Le ministère de la santé s’engage dans le processus
Cette deuxième phase de la mise en application de l’IEAN au Benin répond à la mise en application de l’une des recommandations des Fora de Nutrition de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur le "Double Fardeau de la Malnutrition". Cette recommandation demande aux pays membres « d’encourager les communautés et les écoles, y compris le préscolaire à être des amis actifs de la nutrition et de l’exercice physique afin de promouvoir la santé et le bien être tout au long de la vie ».
Face à cela, le Service Nutrition (SN) de la Direction de la Santé de la Mère et de l’Enfant (DSME) du Ministère de la Santé (MS) a inscrit dans son plan d’actions de 2008, validé en 2009, l’IEAN comme une de ses activités à expérimenter au Bénin. L’IEAN a été mise en œuvre à titre expérimental dans dix (10) écoles publiques rurales du département du Zou et a touché 1902 écoliers dont 1044 garçons contre 858 filles. Il s’agit des écoles de Codji-Adjaho et Wo-Tangandji dans la commune d’Abomey, Ganhoua et Sohounta dans la commune de Za-Kpota, Gomè et Hlagba-Lonmè dans Zogbodomey, Sinwé-Zoungoudo et Zoungbo-Kpatinmè dans Agbangnizoun, Kaodji-Gbatèzounmè (Zagnanado) et Toué (Covè).
Après l’identification des écoles, les comités locaux ont été mis en place dans chaque école. Les membres des comités locaux ont été formés sur l’IEAN. Au cours de la formation, les membres des comités ont appris à élaborer les plans d’actions qui ont été finalisés à leur retour. Les axes stratégiques contenus dans les plans d’actions élaborés et mis en œuvre portent entre autres sur : (i) Promotion de l’alimentation traditionnelle et de la consommation de sel iodé ; (ii) Promotion de jardins scolaires ; (iii) Promotion de la consommation des fruits et légumes ; (iv) Inspection des cantines scolaires ; (v) Déparasitage périodique ; et (vi) Surveillance de l’état nutritionnel des écoliers.
Le suivi a été réalisé par le comité départemental et les cadres des ministères impliqués au niveau central.
L’expérience du programme des Villages du millénaire
Cette troisième expérience a débuté en novembre 2013. Prévu à l’origine pour être mise en œuvre dans huit écoles, elle n’a finalement été réalisée que dans quatre (4) écoles primaires publiques à Banikoara (Kandérou-Yabadou, Kokèra, Nipouni et Wogobiga) avec l’appui technique et financier du PNUD et de l’OMS à travers le Programme des Villages du Millénaire.
Dans chacune de ces écoles, les cinq conditions de l’IEAN ont été appliquées avec une participation de tous les groupes acteurs. Les écoles ont également été dotées en denrées alimentaires, cela afin de compléter les efforts déjà entrepris par le Programmes Alimentaires Mondial (PAM) pour renforcer la nutrition au niveau des écoles. L’une des grandes innovations a été l’instauration des brigades de santé pour suivre l’application des principes de santé dans les écoles. Des infrastructures ont également été construites pour réduire les risques de maladies hydriques notamment des forages et des blocs de latrines. Enfin, des terrains de sports ont été aménagés pour assurer le développement d’activités sportives (tournois scolaires de football).
Les principales Leçons
L’IEAN a permis entre autres de maintenir d’améliorer la santé des enfants à l’école avec l’amélioration de l’offre nutritionnelle des cantines scolaires, dont le personnel et les vendeuses ont aujourd’hui pris conscience des enjeux liés au respect des mesures d’hygiène alimentaires et la qualité nutritionnelle des aliments servis aux élèves. De plus, l’implication des réseaux d’Associations de Parents d’Elèves dans la surveillance de l’hygiène corporelle et vestimentaires des enfants constitue un facteur clé de réussite de l’expérience. De même, le renforcement des capacités des acteurs et l’implication de l’ensemble des acteurs du monde scolaire a été un facteur clé dans l’appropriation de l’initiative par les écoles, ainsi que le suivi annuel de la croissance des écoliers.
Cependant, il faut signaler les principales faiblesses à la mise en œuvre de l’IEAN, notamment, la faible implication intersectorielle locale, l’absence de suivi de la mise en œuvre des plans d’action, l’insuffisance de suivi départemental de la mise en œuvre des activités et l’absence de comité national pour l’IEAN.
Malgré cela, l’IEAN a le mérite d’avoir apporté un changement qualitatif dans le mode de vie et les habitudes alimentaires et nutritionnelles non seulement au sein des écoles mais aussi des familles.
Sa durabilité dépend de l’engagement des acteurs à tous les niveaux et de toutes les structures parties prenantes. Cet engagement doit se traduire par des actes concrets comme l’appui technique et surtout le suivi régulier, notamment au niveau départemental et opérationnel. Il doit également se traduire par la recherche permanente d’alternatives pour faire face au manque de ressources financières. L’appui financier est donc nécessaire pour le renforcement de l’initiative en cours dans les écoles et le passage à l’échelle de cette dernière.
Enfin, la mise à l’échelle de l’IEAN constitue le principal défi à relever. La lutte contre la malnutrition chez les enfants doit être une préoccupation transversale. Il devient ainsi nécessaire d’assurer une coordination multisectorielle des initiatives, de mettre en place des mécanismes de communication pour un changement de comportement alimentaire dans la communauté et en milieu scolaire, de doter les écoles maternelles et primaires des cantines scolaires, de développer un partenariat solide pour l’alimentation en milieu scolaire avec l’ensemble des acteurs (Ecoles/Communauté, ONG, Gouvernement, Projets ou programmes, etc.).
ADOMAHOU David Géraud
Ingénieur Agro-Nutritionniste
01BP284 Cotonou, Bénin
Email : adomavid@yahoo.fr