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Editorial : Idéal partagé, dynamiques contradictoires

Depuis plus d’une décennie, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a engagé ses membres dans des programmes de développement agricole. L’objectif était de bâtir une souveraineté alimentaire à l’échelle sous-régionale. Mais les résultats obtenus sont mitigés, les contradictions réelles.

L’heure est au bilan et à la prospective. Dans le rapport sur « l’agriculture et l’alimentation en Afrique de l’Ouest » publié en 2015, le président de la Commission de la CEDEAO a remis en exergue l’ambition d’arriver à une « souveraineté alimentaire » dans la sous-région. Selon Kadré Désiré Ouédraogo, l’alimentation est « un enjeu crucial pour les 320 millions de citoyens de la communauté ». Et en 2030, les Etats membres devront être en mesure de nourrir « 500 millions de personnes ».

La CEDEAO fait donc face à un défi majeur, celui de nourrir sa population croissante. Celui-ci restera entier si l’agriculture familiale, qui assure plus de 70% des besoins alimentaires dans la sous-région selon l’Institution sous régionale, n’est pas protégée contre les sérieuses menaces qui planent sur sa durabilité depuis plusieurs années.

En dépit de ses quelques résultats positifs, la Politique Agricole Commune (ECOWAP), adoptée depuis 2005, n’est pas encore parvenue à placer les pays ouest-africains dans une dynamique d’autonomie alimentaire durable. Or prétendre une souveraineté à ce niveau suppose que l’on soit en mesure de produire assez pour satisfaire la demande alimentaire des millions de consommateurs ouest-africains en aliments de base.

Les risques d’un libre-échange absolu

A toutes les échelles du système agro-alimentaire, les exploitations familiales jouent un rôle majeur que les décideurs devraient consolider et protéger. Mais on constate que les mêmes pouvoirs publics exposent le petit producteur à de sérieux risques. En effet, la forte contribution des exploitations familiales en Afrique de l’Ouest n’a pas empêché les gouvernements de discuter d’Accords de partenariat économique (APE) ou de légiférer en faveur des Organismes génétiquement modifiés (OGM).

Les processus en cours semblent mener vers une adoption partielle ou définitive des APE et des OGM malgré les risques majeurs qu’ils font planer sur le système agro-alimentaire local dont l’agriculture familiale reste la locomotive.
En Afrique de l’Ouest, la résistance menée depuis 2008 a commencé à céder en 2014. L’année où la CEDEAO a décidé de signer les APE malgré les réserves du Nigéria. Puis, au niveau pays, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont signé des accords d’étape.

Ces accords prévoient la suppression des droits de douane sur trois quarts des exportations de l’Union européenne, tandis que celle-ci continuera à importer d’Afrique de l’Ouest la totalité de ses produits qui sont déjà en franchise de droits. Un marché de dupes, selon l’économiste français Jacques Berthelot (Le Monde Diplomatique, septembre 2014). Historiquement affaibli, le petit producteur aura du mal s’adapter à ce nouveau contexte de rude concurrence étrangère.

Paradoxalement, c’est la même CEDEAO qui prône l’augmentation des fonds alloués au secteur agricole à travers un programme régional d’investissements agricoles que les Etats membres devraient opérationnaliser au niveau national.

Les petits pas de la biotechnologie agricole

Les APE n’auront pas moins d’impacts négatifs que les OGM. Des méfaits qu’un Etat comme le Sénégal est en train de relativiser en s’appuyant sur des « évidences scientifiques ». En effet, lors de la « session solennelle », le 28 février 2017, l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal s’est évertuée à lever le doute sur les conséquences négatives qui découleront de l’usage des OGM. 

Toutefois, le Pr Yaye Kène Gassama a relevé dans son « Etat des lieux des biotechnologies au Sénégal » que « la technologie du gène attire les entreprises parce que la possibilité de déposer des brevets exclusifs sur les nouvelles variétés leur permet plus facilement de compenser les coûts élevés de la recherche et du développement en biotechnologies ». L’ex-ministre de la Recherche scientifique du Sénégal poursuit : « ainsi, le marché des OGM est pratiquement détenu en majorité par cinq grandes firmes agrochimiques telles que Monsanto, Syngenta, Bayer, Dow Dupont, Lima grain qui commercialisent souvent, dans un package unique, semences, engrais et pesticides. Ces multinationales contrôlent le marché des produits biotechnologiques et détiennent au moins 80% des brevets sur les gènes et 70% du marché mondial des semences GM ». Le tableau d’une dépendance est ainsi bien dessiné.

Les scientifiques sont unanimes sur le fait que l’introduction des OGM se fera au détriment du petit exploitant et de la biodiversité. Et les illustrations existent. Les résultats des premières expériences menées au Burkina Faso sont loin d’être encourageants. D’ailleurs, le gouvernement burkinabé a reconnu, à l’issue d’un Conseil des ministres tenu le 13 avril 2016, l’impact négatif de la culture du coton BT par la compagnie Monsanto et a décidé d’une « réduction graduelle » des superficies affectées à cette culture.

En outre, les acteurs de la Société civile ont réussi à porter plainte contre l’agrobusiness auprès de la Cour pénale internationale de la Haye pour violation des droits humains, crimes contre l‘humanité, etc. Le procès Monsanto s’est ainsi déroulé du 14 et 16 octobre 2016 à La Haye, aux Pays-Bas. L’avis consultatif devrait être rendu en mi-avril 2017.

La stratégie de Monsanto était d’utiliser le Burkina Faso comme porte d’entrée des OGM en Afrique de l’Ouest. A ce jour, officiellement, le Burkina Faso, le Soudan et l’Afrique du Sud pratiquent des cultures OGM en Afrique. Des tests sont en cours dans sept Etats et 16 autres n’ont pas encore de cadre réglementaire relatif aux biotechnologies.

Voies alternatives

Ces logiques d’ouverture prônées par les Etats résistent encore aux dynamiques sociales, lesquelles ont quand même le mérite de ralentir le processus d’adoption des APE et des OGM en Afrique. Les acteurs de développement qui partagent l’idéal de la souveraineté alimentaire tentent de prouver aux pouvoirs publics, à travers des expériences concrètes, qu’il est possible de bâtir un système alimentaire durable à partir des ressources agricoles endogènes.

En Guinée par exemple, le Gret expérimente un modèle d’agriculture familiale qui vise à contribuer à la sécurité alimentaire en riz et en huile de palme, en partenariat avec l’ONG Maison Guinéenne de l’Entrepreneur. Ces produits sont des denrées de première nécessité dans ce pays. Mais le marché des produits bruts a des limites car les habitudes de consommation évoluent aussi bien en milieu rural qu’en zone urbaine.

Par conséquent, le défi de la transformation des aliments de base doit être relevé si l’on veut répondre aux besoins des consommateurs et créer de la valeur ajoutée. Des expériences indiquent le chemin à suivre. Au Niger, Actions pour la Sécurité et Souveraineté Alimentaires (AcSSA) a tenté de vulgariser un modèle de transformation de céréales dans le but de satisfaire une demande alimentaire en milieu urbain. Des groupements de femmes ont été au cœur de ce processus.

Au Sénégal, la Fédération des ONG (FONGS) a aussi capitalisé les premiers résultats de son projet de valorisation des céréales locales orientée vers la production de pain à base de produits locaux. Toutefois, rien ne semble plus stratégique que de conserver les semences locales et certaines variétés agricoles aux vertus parfois peu connues pour éviter une dépendance agricole et alimentaire. Dans la région de Matam, au nord au Sénégal, les résultats d’une plantation de Moringa dans une école primaire ont séduit grâce à ses effets sur l’alimentation des populations locales. Au Mali, la Convergence des Femmes Rurales pour la Souveraineté Alimentaire promeut les banques de semences et partage son expérience en Afrique de l’Ouest. En outre, elle mène un plaidoyer à travers plusieurs actions de terrain et de diffusion de ses résultats.

Toujours au Mali, l’organisation AMASSA intervient dans un contexte de conflit susceptible d’avoir des répercussions négatives sur la production agricole. Pour parer à une éventuelle rupture en vivres, elle a mis en place des stocks de proximité dans les villages. Une expérience quasi-similaire a eu lieu au nord-ouest du Sénégal. La Fédération des Associations pour le Développement Communautaire (FADEC/Sud) y a développé des banques céréalières villageoises pour contribuer à la sécurité alimentaire des communautés de base.

A l’échelle régionale, la frilosité des décideurs politiques à protéger les systèmes agricoles locaux ne rend pas service aux défenseurs d’une souveraineté alimentaire africaine. Plusieurs causes peuvent l’expliquer selon l’enseignant-chercheur camerounais, Félix Meutchièye.

En somme, les résultats des différentes initiatives montrent qu’il est possible de bâtir une souveraineté alimentaire en Afrique. Il suffit de booster et de diversifier l’offre alimentaire tout en la protégeant contre certains facteurs de déstabilisation exogènes, en l’occurrence les OGM et les APE. A ce propos, les luttes menées par les mouvements sociaux sont nobles.
Il convient juste de relever que la question de souveraineté est une affaire d’Etat. Elle est politique avant d’être autre chose.