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Développement de l’élevage dans la zone sylvopastorale : l’apport des Unités pastorales

La gouvernance du pastoralisme est un défi majeur pour les pouvoirs publics. Plusieurs tentatives ont vu le jour avec des résultats mitigés. Au Sénégal, dans la zone sylvopastorale, l’expérimentation de l’Unité pastorale a eu un impact réel sur le quotidien des pasteurs. Cet article évoque l’impact d’un tel mécanisme de gestion de ressources naturelles qui a fait ses preuves au Ferlo.

1. Potentialités et contraintes de l’élevage au Ferlo

L’élevage est l’un des secteurs économiques qui présentent le plus d’opportunités pour les populations des régions arides et semi arides (Barral, 1982 ; Thébaud, 2002 ; Sy, 2003) . Une multitude d’activités dans ce domaine offrent des garanties de revenus et de produits alimentaires. Le secteur offre beaucoup d’opportunités aux populations, tant par la diversité des types d’élevage (bovin, ovin, caprin…) que par la multiplicité des activités qui lui sont rattachées : embouche, production laitière, transformation de produits laitiers et vente de bétail (Dia, 2009 ; Dia, 2014) .

Au Sénégal, selon les statistiques de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (2013), les pratiques d’élevage touchent 28,2% des ménages dont 73,9% en milieu rural contre 26 % en milieu urbain. Les espèces élevées sont surtout la volaille (27,2%), les ovins (23,0%), les caprins (18,3%), les bovins (12,4%), les asins (8,6%) et les équins (6,7%). En ce qui concerne les animaux de trait, les ménages agricoles possèdent généralement des ânes (45,3%), des chevaux (37,9%), des bœufs (16,7%) . L’élevage joue ainsi un rôle important dans l’économie nationale notamment en milieu rural où il constitue l’un des principaux secteurs de création de richesse. Près de 35 000 ménages tirent l’essentiel de leurs revenus de ce secteur.

Ainsi, les enjeux majeurs de l’élevage portent principalement sur l’accroissement des productions animales dans des systèmes d’exploitation durables, l’approvisionnement régulier des marchés des industries animales et leur développement, la sécurisation des systèmes pastoraux et agropastoraux, la sauvegarde des ressources naturelles, la préservation de la santé publique et la professionnalisation des producteurs.

L’élevage se fait selon le mode extensif suivant la disponibilité en eau et des pâturages du cheptel. Ce type d’élevage basé sur l’exploitation des ressources naturelles reste très vulnérable aux aléas climatiques. En saison des pluies, les éleveurs s’installent autour des points d’eau temporaires. A la fin de la saison des pluies, le bétail profite largement des résidus de récolte avant le départ pour une transhumance vers le Ferlo pour le gros du troupeau bovin.

Mais, la baisse des précipitations engendre à la fois une insuffisance de production fourragère et un manque d’eau pour l’abreuvement du bétail. Le tarissement précoce des mares et la dégradation des écosystèmes pâturés déterminent l’ampleur de la transhumance, la pression sur les ressources disponibles et l’équilibre de l’écosystème. La recherche de l’eau et des pâturages (sur de longues distances et pendant des mois) entraîne également la baisse de la productivité de l’élevage sans compter les conflits potentiels entre pasteurs et agriculteurs en raison du rétrécissement rapide et continue de l’espace pastoral au détriment de l’espace agricole.
Flux de transhumance et occupation des sols au Ferlo

Le Ferlo possède un important cheptel et de fortes potentialités. Mais le développement de ce secteur est limité par des contraintes multiples et de divers ordres. Les principales contraintes du sous-secteur de l’élevage sont :
• l’insuffisance des points d’eau pour l’abreuvement du bétail (pannes fréquentes et prolongées des forages, assèchement des mares en saison sèche) ;
• le faible niveau d’organisation des éleveurs ;
• la destruction des pâturages naturels par les feux de brousse et les coupes abusives ;
• le coût élevé des aliments de bétail manufacturés ;
• le manque d’intensification de l’activité ;
• l’insuffisance en personnel, moyens financiers et logistiques des structures d’encadrement ;
• l’inexistence d’établissements de transformation des produits animaux et la faiblesse des circuits de distribution et de transformation ;
• les difficultés d’accès au crédit ;
• l’absence d’abattoirs modernes dans certaines localités ;
• la présence de maladies qui affectent le cheptel ;
• l’insuffisance, la vétusté et l’inégale répartition des parcs à vaccination ;
• le vol du bétail ;
• les surcharges des pâturages à proximité et autour des forages ;
• l’absence d’une sécurisation foncière pour les activités pastorales ;
• l’insuffisance des parcours de bétail surtout dans les zones agropastorales complètement déboisées ; les conflits entre agriculteurs et éleveurs autour de l’exploitation des ressources naturelles (pâturages et utilisation des points d’eau en particulier).

L’économie locale de la zone sylvopastorale dépend étroitement du climat et de ses variations. De ce fait, la variabilité et le changement climatique constituent une menace sérieuse pour le développement agrosylvopastoral de cette zone. De nos jours, plusieurs études ont permis d’identifier de grands risques climatiques majeurs pour le développement des activités économiques de la région. . La Contribution Prévue Déterminée au niveau National (CPDN) renseigne sur les conséquences du changement climatique. Les impacts observés montrent une évolution à la baisse de la pluviométrie, une hausse certaine des températures moyennes, des perturbations sur la disponibilité de ressources hydrauliques, des sols et espaces cultivables .

Dans le cadre d’une étude sur les risques climatiques qui affectent l’économie de la zone sylvopastorale, Benoit Sarr avait identifié en 2012 cinq menaces :
• la variabilité accrue des précipitations et de ses caractéristiques (nombre de jour de pluie, date début, longueur saison) qui s’est traduite par une brusque alternance d’années humides et sèches au cours des 25 dernières années constitue la première menace, une saison des pluies écourtées dans la zone (avec une longueur actuelle < 40 – 50 jours dans le nord de la zone ;
• de 60 jours dans le centre et de 90 jours environ dans le sud) corrélativement au retard de l’installation de la saison des pluies de 10 à 20 jours correspond à la menace deux ;
• la menace trois correspond à l’augmentation des occurrences des séquences sèches > 7, 10, 15 jours pouvant survenir à tout moment dans l’espace et le temps au cours de la période actuelle ;
• la quatrième menace correspond à une tendance à la hausse des pluies maximales cumulées en 3 jours consécutifs, hausse qui pourrait s’accentuer au regard des conclusions du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) sur le changement climatique et engendrer des dégâts et pertes importants sur les systèmes socio-économiques (cultures, infrastructures) et humains ;
•enfin, la hausse actuelle sans équivoque des températures observées (hausse qui dépasse + 1 °C sur les séries chronologiques non normalisées), l’augmentation significative du pourcentage de nuits et de jours chauds ainsi que la hausse prédite des températures à l’horizon 2020 2029 (de 1 à 1,5°C) et de 3 à 4,5 °C à l’horizon 2090/2099 engendrerait des situations de stress thermiques sévères pouvant handicaper sérieusement la productivité végétale et animale.

Depuis le début des années 2000, l’élevage sénégalais a vécu des chocs majeurs. Ainsi, entre les 9 et 10 janvier 2002, des pluies hors saison enregistrées au cours de ces deux jours ont un caractère exceptionnel par leur intensité et par leur étendue atteignant 115,8 mm à Podor. L’arrivée de ces pluies hors saison et la forte baisse des températures ont entrainé de fortes mortalités chez les bovins, les petits ruminants et les équins. L’autre incidence désastreuse est la destruction des stocks de paille d’arachide exposés en plein air et des sous-produits agricoles destinés à l’alimentation du bétail avec l’apparition de moisissures . L’année suivante a donc été très défavorable pour une reconstitution du cheptel. De 2007 à nos jours, l’irrégularité interannuelle des pluies et les différentes perturbations observées au cours d’une même année ont des conséquences sur la disponibilité des aliments et sur la qualité des parcours. Les éleveurs ont assisté au tarissement précoce des points d’abreuvement temporaires (mares) et à une mortalité du bétail pendant les périodes de soudure suite à un déficit fourrager prononcé.

2. Enjeux et repères sur le cadre d’intervention publique dans l’élevage au Sénégal

Les contraintes se sont traduites par une vulnérabilité des écosystèmes pastoraux, nécessitant des actions précises d’atténuation et d’adaptation aux perspectives climatiques futures afin d’en maîtriser les impacts potentiels, notamment en termes socio-économiques sur les 60% de la population dont la subsistance dépend directement de ces ressources. L’amélioration de la résilience de l’élevage et des systèmes agropastoraux face aux contraintes climatiques, structurelles et organisationnelles doit se faire à travers un cadre de gouvernance participatif et inclusif nécessitant la mobilisation de tous les acteurs.
Ce cadre de gouvernance doit tenir compte de la promotion d’initiatives locales d’adaptation et de la participation de l’Etat et des acteurs locaux. Il est nécessaire de bâtir des politiques et stratégies adaptées à ces systèmes d’élevage. Par le biais des grands programmes et initiatives de l’Etat et à travers les stratégies de développement initiées avec la coopération au développement, les besoins du pastoralisme sont mieux pris en compte, en particulier avec la construction d’infrastructures, la mise en place de juridictions locales et l’adoption de législations pastorales (Encadré).

Repères importants du secteur élevage au Sénégal depuis l’indépendance

-  Années 1970  : Grands projets dans le Ferlo : PDESO et Sodesp (projet de commercialisation du bétail suivant une stratification des productions animales par zones : naissage en zone pastorale, réélevage en zone agro-pastorale et embouche en péri urbains.
-  Années 1980 : Plans d’ajustement structurel. Réduction des ambitions. Politique des forages.
-  Fin des années 1980  : création de réserves sylvo-pastorales (mais parallèlement : déclassement de superficies parfois importantes (Déaly, Boulal, Mbeggé, etc.) au profit des exploitants agricoles).
-  Années 90 : Unités pastorales (UP), mises en place par le PAPEL (Projet d’appui à l’élevage) Ranchs et fermes modernes. Projets de laiteries industrielles comme Nestlé.
-  2004 : LOASP : Reconnaissance du pastoralisme comme une forme de mise en valeur du foncier ; création du MEL (Ministère de l’élevage), questions foncières en suspens
-  2004 à 2008 : NISDEL (Nouvelle Initiative Sectorielle pour le Développement de l’Elevage) : promotion de fermes privées, mise en place des Centre d’impulsion et de modernisation de l’Elevage (CIMEL), création du fonds d’appui à la stabulation (FONSTAB) (2007)
-  2008 : Crise alimentaire, restructuration du MEL, intégration du CDMST : gestion axée sur le résultat (GAR) • 2009 : Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA)
-  2011 : PNDE (Plan national de développement de l’élevage) (relecture en 2013)
-  2014 : Loi foncière en préparation, code pastoral en discussion
-  Rédaction du Code Pastoral en cours de validation
-  2015 : Mise en œuvre du Projet Régional d’Appui au Pastoralisme au Sahel (PRAPS) 2015-2021

3. Les Unités pastorales et leurs contributions à l’essor du pastoralisme au Ferlo

L’aménagement de l’espace pastoral dépend d’un certain nombre de facteurs géographiques dont la disponibilité des ressources qui sous-tendent l’activité. En fonction des zones climatiques, l’on remarque que la définition et la délimitation de l’unité pastorale sont fortement corrélées à la disponibilité des ressources naturelles.

En France par exemple, « l’unité pastorale est une portion de territoire toujours en herbe, d’au moins 10 hectares, exploitée par pâturage extensif ». Le cheptel y est présent de façon saisonnière pour des raisons d’altitude ou de climat, sans retour journalier possible au siège de l’exploitation . Contrairement aux latitudes tempérées, il existe, dans les espaces sahélo-soudaniens d’autres définitions qui dépendent des facteurs qui influent sur l’élevage en hivernage puis en saison sèche. C’est un concept qui a été initialement inventé et testé par un projet de développement des terres neuves du Sénégal oriental. Ainsi, selon Faye (2001), l’unité pastorale est constituée de « l’espace et de l’ensemble des ressources polarisées par un forage pastoral » .

Pour le Projet d’Appui à l’ Elevage (PAPEL), « l’unité pastorale est un espace géographique où vivent des populations ayant les mêmes intérêts économiques, les mêmes parcours pastoraux, utilisant les mêmes points d’eau (forages, mares,…) et exploitant les mêmes zones agricoles. Ces populations, également liées par l’histoire et le voisinage, ont la commune ambition d’assumer leur mieux être social et économique » (CSE/PAPEL, Atlas des UP, 2004, cité par Ninot 2008) .

La stratégie du PAPEL a été de définir l’Unité pastorale comme un espace d’action. Donc, face à la forte poussée du front agricole dans certaines parties du Ferlo, l’Etat a fait des efforts pour réorganiser l’espace en vue d’une bonne gestion des ressources naturelles. Ceci avait pour objectif de maîtriser « une activité économique concernant 47 % du cheptel total, 52 % des pâturages et 55 % de la production de produits finis de l’élevage tels que le lait et la viande (FAO, 1994, cité par Wane et al 2006). Selon Wane et al. (2006). Il s’agit de regrouper l’ensemble des campements se trouvant dans la zone d’influence d’un forage (une quinzaine de km de rayon) et partageant le même espace agricole et pastoral, les mêmes points d’eau, ayant des intérêts socio-économiques convergents, pour amener les résidents à mutualiser leurs efforts en vue d’une gestion durable de leurs ressources .

La première génération d’Unités pastorales a été mise en place au Sénégal à partir de 1979, par le Projet de Développement de l’Elevage au Sénégal Oriental, suite à la grande sécheresse de 1974 qui avait décimé une bonne partie du cheptel surtout bovin. Introduite par le PAPEL dans le Ferlo, la démarche a été reprise par le Projet de Développement Agricole dans le département de Matam (PRODAM) et approfondie par le Programme de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Sénégal (PGIES).

Le PAPEL a mis en place un cadre de gouvernance pour un bon développement de l’élevage. Il faut souligner qu’initialement, le PAPEL avait mis l’accent sur le renforcement des capacités des éleveurs, l’encadrement et de formation, l’appui à l’accès au crédit, la recherche d’accompagnement et de réhabilitation des services de l’élevage, l’appui à l’hydraulique pastorale. Parmi donc les objectifs du PAPEL en matière de sécurisation du pastoralisme de zone sylvopastorale, on peut noter une augmentation de la production de viande, du lait et des revenus des populations.

Ces objectifs ne sont réalisables que si les ressources pastorales (eau et pâturages) sont disponibles et accessibles le plus longtemps possible. Ainsi, suite à un diagnostic des contraintes et des potentialités en matière de ressources naturelles, les actions du PAPEL ont débouché sur l’élaboration de plans de gestion qui sont validés par les différentes instances élues et administratives.
Plusieurs comités sont ainsi constitués (Comité d’Accueil des Transhumants, Comité de Lutte contre les Feux de Brousse, ASUFOR) dans l’objectif de permettre une meilleure concertation et une bonne gestion des ressources pastorales, dont l’institutionnalisation (texte, loi, décret et protocole d’accord) a été accompagnée par des mesures de renforcement de capacités et d’appui à l’accès au crédit .

Entre 1993 et 2007, le PAPEL a fait des efforts considérables pour contribuer à la mise en place de 20 unités pastorales dont les points communs portent sur la gestion des mares, la réalisation d’ouvrages hydrauliques, la mise à disposition de ressources fourragères et le renforcement des règles d’accès vis-à-vis des transhumants. Ces aménagements pastoraux sont accompagnés d’un plan de renforcement des capacités des comités (alphabétisation, scolarisation, gestion administrative…) et le développement d’activités génératrices de revenus.
Par la suite, le PGIES a développé et enrichi l’approche unité pastorale en y incluant la sécurisation foncière. Ainsi, chaque Unité pastorale fait l’objet d’une délibération d’affectation des terres délivrée par le Conseil rural au profit du Comité de Gestion Inter-villageois. S’y ajoutent l’élaboration d’un plan d’aménagement et d’un Code local de bonne conduite qui s’impose aux usagers.
Tableau : Les unités pastorales dans la région de Matam

Selon Fall (2006 et 2009) , les interventions du Projet de Développement Agricole dans le Département de Matam (PRODAM) se situaient à deux niveaux avec notamment la mise en place d’infrastructures pastorales (forages, magasins d’aliment bétail, parc à vaccination, pharmacies vétérinaires, pare feux...), le renforcement des capacités des acteurs (alphabétisation, formations et appui conseil). Pour atteindre ses objectifs, le PRODAM a adopté une démarche participative et inclusive en impliquant des acteurs se situant à différentes sphères de décisions. Il s’agit entre autres :

  • des populations d’éleveurs à travers leurs organisations qui sont responsables de l’application des plans de gestion, de l’entretien et de la maintenance des infrastructures mises en place ;
  • de la Collectivité locale qui est responsable de la politique de développement local et de la gestion du domaine du terroir ;
  • des Services Techniques de l’Etat qui ont des missions régaliennes en matière de gestion des ressources naturelles (Hydraulique, Eaux et forêts, Elevage, Aménagement du Territoire...) ;
  • des autorités administratives qui ont une mission de contrôle de légalité.

La mise en place des Unités pastorales, avec le maillage hydraulique dans la zone, a permis une meilleure occupation de l’espace et une exploitation rationnelle des pâturages. Les feux de brousse ont diminué de manière significative. La charge des pâturages est contrôlée grâce au suivi de la biomasse et du cheptel effectué par le PRODAM à la fin de chaque hivernage et dont les résultats sont régulièrement communiqués aux responsables des Unités pastorales.

Du point de vue organisationnel, les transhumants, informés depuis les zones de départ à travers les médias et des réunions d’information, s’installent sur le périmètre défini par le plan de gestion, c’est-à-dire sur un rayon de un à deux kilomètres autour du forage. Pour éviter les conflits, les parcours de bétail sont déterminés à la veille de chaque hivernage et les champs de culture disposés de manière à éviter une incursion d’animaux dans les parcelles.

Au niveau de chaque infrastructure hydraulique, il a été mis en place un parc à vaccination, un magasin d’aliments de bétail et une pharmacie vétérinaire villageoise avec la formation de deux auxiliaires d’élevage. Ce qui a permis d’améliorer la santé animale et les paramètres zootechniques et zoo-économiques du cheptel. Au cours d’un entretien informel en septembre 2016, Cheikh Fall, agronome au PRODAM, a informé que grâce à toutes ces innovations, la productivité de l’élevage a été relativement augmentée.

Ainsi, le taux de fécondité est passé de 50 à 64 %, celui de la mortalité de 16 à 08 % et le taux d’exploitation de 10 à 14 %. Les éleveurs ont mis sur pied ’un fonds de protection des pâturages pour l’entretien des pare feux et la lutte contre les feux de brousse. La mutation des comités de forages en ASUFOR a permis à ces derniers d’ouvrir des comptes en banque et de gérer de manière autonome leurs infrastructures. Des documents de comptabilité et des procès-verbaux de réunions sont tenus par les responsables des forages dans les unités pastorales

Nous pouvons conclure qu’avec la mise en place des unités pastorales, les opérateurs avaient misé sur une sécurisation de l’élevage en intervenant sur l’accès à l’eau (construction de plusieurs forages par le PAPEL et le PRODAM), sur la protection du cheptel (en développant notamment la vaccination), sur l’amélioration de l’environnement, sur le renforcement des capacités des populations, avec l’idée de « sécuriser l’élevage traditionnel mais pas de le moderniser ». Mais aujourd’hui la question centrale réside sur la gestion du foncier dans un contexte d’avancée du front agricole et de l’Acte 3 sur la décentralisation et de la réforme foncière en cours.

4.Le projet de sécurisation de l’élevage pastoral de Matam avec Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières
Le Projet de Sécurisation de l’Elevage Pastoral de Matam (PSPM) découle d’un partenariat entre deux collectivités locales dans le cadre de la coopéra¬tion décentralisée : la région de Matam au Sénégal et la région Rhône-Alpes en France . Le projet était articulé autour d’un volet hydraulique visant la réalisation d’un forage équipé pour l’alimentation en eau potable des populations et l’abreuvement du bétail à Thionokh et d’une composante pastorale pour accompagner la mise en œuvre et la pérennisation et l’implantation du point d’eau.

Créé en 1928, Thionokh est un village du département de Ranérou-Ferlo, Arrondissement de Vélingara, Commune du même nom. Il se situe à 45 km au sud du chef-lieu de la Commune, à 145 km de Ranérou, à 230 km de Matam (chef-lieu de la région) et à 400 km de Dakar. Le village de Thionokh est limité au nord par les villages de Dayane Guelode et Dayane Kodioli (13 km), au sud par la commune de Ribot Escale (Médina 7km dans la région de Kaolack), à l’est par Boulogne Bali (2km) et à l’ouest par Touba Sylla (Commune de Thiel 2 km dans la région de Louga). Situé au sud-ouest de la commune dont il constitue avec les villages qu’il polarise dans le bassin arachidier, Thionokh s’est toujours illustré (malgré des potentialités avérées dont il dispose sur le plan agricole) par des difficultés criardes d’accès à l’eau.
D’ailleurs, son nom serait issu d’une déformation de « Thiono Ndox » qui signifie en wolof « difficulté d’accès à l’eau » . Donc, parmi les principales contraintes au développement de l’élevage dans la zone, on trouvait en bonne place l’insuffisance des points d’eau pour l’abreuvement du bétail. A la fin des années 2000, le Conseil Régional de Matam, avait inscrit, dans le cadre de l’identification de ses axes d’intervention prioritaires, les conditions d’accès à l’eau potable et à l’eau d’abreuvement dans la zone de Thionokh et de 11 villages environnants.

Le Conseil Régional avait inscrit le forage de Thionokh dans la planification des actions prioritaires et avait sollicité l’appui de la Région Rhône-Alpes pour financer la construction d’un forage à Thionokh avec mise en place d’une unité pastorale pour en assurer la gestion et la bonne exploitation. L’une des conditions fixées par le bailleur était que cet ouvrage soit géré par un opérateur privé. Ce rôle est dévolu à Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières qui, en 2008 a supervisé la construction du forage dans le village de Thionokh.

Le choix porté sur la localité se justifie par le fait que « c’est un village centre qui dispose d’une école et d’un poste de santé. Il polarise également les pasteurs de Matam, de Kaffrine et de Saint-Louis » . Avant 2008, Thionokh n’avait pas de forage et ne possédait qu’un puits traditionnel qui abreuvait à la fois le cheptel des populations originaires de Thionokh le matin, et le soir celui des transhumants.
Le seul puits de Thionokh qui polarise 11 villages ne suffit pas au cheptel relativement important du point de vue des effectifs (20394 têtes). Cela ne manquait pas de poser des problèmes concernant l’usage de l’eau. Il faut souligner le fait que ce village est un point de transit du bétail au départ comme au retour de la transhumance. Ce forage est capable d’assurer l’abreuvement de 1000 bovins et de 7000 petits ruminants par jour.

Dans un premier temps, il a été réalisé, un forage de 372 m de profondeur avec un débit 70 m3 heures équipé d’un château d’eau de 200 m3 sur 25 m de hauteur, de quatre abreuvoirs d’une capacité de 34 m3 et de 5 bornes fontaines, de quatre potences et d’une vingtaine de robinets privés à Thionokh. Autour de cette infrastructure toute une organisation a été mise en place pour une bonne gestion par les populations des ressources pastorales.

Compte tenu de la position stratégique de Thionokh pour les transhumants, le PSPM a eu à élaborer des outils de planification de l’exploitation de l’espace pastoral et des techniques de gestion des ressources pastorales (hydrauliques et fourragères). Ayant opté pour la création d’une Unité pastorale constituée par l’ensemble des ressources polarisées par ce forage sur un rayon de 15 km, l’ONG AVSF a mis en place des conventions locales de manière concertée et dynamique.
Il s’agit d’une Unité pastorale dotée d’un code local, d’un plan de gestion et d’une ASUFOR. Ceci a permis de faire face à plusieurs défis dont l’organisation des acteurs de l’élevage transhumant, la responsabilisation des populations et des organisations d’éleveurs, la sécurisation de la mobilité pastorale, la promotion des mécanismes de concertation entre les différents usagers des ressources de la zone d’emprise d’un forage.

Ces différentes actions ont permis de limiter les conflits et de mettre en place un « cadastre rural » identifiant et délimitant de manière participative des zones dévolues aux pâturages et les zones à vocation agricole. A Thionokh par exemple, certaines zones à vocation agricole sont reconverties en zones de pâturages avec des couloirs de passage pour permettre aux éleveurs d’accéder aux mares et points d’eau. Néanmoins, Thionokh reste une zone agropastorale. Mais, la cohabitation entre agriculteurs et éleveurs devient plus facile suite à la réduction des défrichements incontrôlés, à l’extension abusive des terres agricoles dans les zones de parcours et l’occupation anarchique des alentours immédiats des mares pastorales, facilitant ainsi une application des textes en vigueur.

Le Sénégal reste encore régi par un texte réglementaire fixant les principes de base de l’activité pastorale : il s’agit du décret n°80-268 du 10 Mars 1980 portant organisation des parcours du bétail et l’utilisation des pâturages. La mise en place des plans de gestion permet une meilleure gestion de l’espace et la réduction de plus de 80% des conflits agriculteurs-éleveurs ou transhumants-résidents. L’installation des Comités d’Accueil des Transhumants pour l’utilisation de l’espace a permis une meilleure surveillance et une préservation plus accrue des ressource pastorales de la zone.

Suite à la mise en service du forage, AVSF s’est lancé dans l’accompagnement des populations pour une gestion rationnelles des ouvrages et de l’espace pastoral. Mais au-delà de ces activités, la nécessité d’initier des actions pouvant impacter positivement les conditions et du cadre de vie et l’accroissement des revenus ont été répertoriés et pour certains, initiées. Ainsi, à Thionokh, outre la disponibilité permanente de l’eau et une gestion concertée de l’espace, notamment les aires de pâture et les zones cultivées, certaines activités comme les étables laitières, l’aviculture rurale et l’apiculture sont en train d’être développées et d’autres comme le maraîchage cherchent les ressources nécessaires pour être mises en œuvre.

Grâce à une augmentation du temps de séjour des transhumants, le marché de Thionokh est devenu plus dynamique. On note une augmentation du nombre de boutiques, échoppes et cantines. On note, par ailleurs, une diversification des sources de revenus par l’introduction de l’apiculture moderne pratiquée surtout par les comités de lutte contre les feux, qui en tirent une motiva¬tion supplémentaire et qui contribue à l’amé¬lioration de la biodiversité et à la limitation de la propagation des feux de brousse.
La limitation des feux a joué un rôle non négligeable dans la préservation des pâturages naturels. Le projet a contribué aussi à la mise en place de parcs à vaccination adossés à un quai d’embarquement pour faciliter la commercialisation, la construction de magasins d’aliments avec mise en place de fonds de roulement pour assurer la pérennisation du système d’appui aux intrants par les organisations d’éleveurs, des bio-digesteurs et de programme renforcement de capacités des populations (surtout les femmes) avec la mise en place d’activités génératrices de revenus (poulaillers, maraichage, production laitière et embouche…). Selon Moussa Baldé, coordonnateur régional de l’organisation AVSF , l’expérience de Thionokh s’est avérée très probante en matière de gestion des ressources pastorales et d’implication des populations pour un développement local.

Cependant, l’équilibre obtenu reste fragile, car Thionokh est un cas isolé dont la réussite constitue justement un élément polarisant au risque de créer une surcharge sur les ressources pastorales et en eau et de rompre l’équilibre instauré. Sur recommandation du comité de suivi des projets animé par la Région de Matam, AVSF a fait à partir de 2010 une extension sur trois autres Unités pastorales afin de limiter les polarisations et les concentrations. Une étude commanditée par la Région Rhône Alpes et effectuée par le cabinet ASCONIT a confirmé et proposé la mise en place d’unités pastorales par grappes, afin d’éviter les cas isolés et les surcharges. Des extensions ont donc été effectuées sur six autres Unités pastorales où le même type d’organisation a été répliqué.

Cependant, la mise en œuvre a également révélé d’autres besoins, notamment le développement d’activités génératrices de revenus pour valoriser les gains de temps issus de la facilitation de l’accès à l’eau, mais également les excédents d’eau qui pourraient être utilisés pour des productions maraichères , améliorant du coup la sécurité alimentaire et la résilience aux changements climatiques.

De plus, certaines activités comme la stabulation laitière ou l’embouche bovine et ovine, ou l’aviculture, initiées par le projet se sont révélées très prometteuses pour améliorer le revenu et le bien-être des populations. Comme souligné en haut, l’apiculture a également été entreprise notamment avec les Comités de Lutte contre les Feux de Brousse pour les encourager par rapport à leur fonction bénévole de défense et restauration des écosystèmes. Les résultats ont été très encourageants au point d’être imité par d’autres acteurs.

Un travail de renforcement des organisations a été entamé en vue de créer des faitières fortes et capables de prendre en charge les besoins des populations, faciliter une complémentarité des territoires (zones de départ, transit, et d’accueil), mais également à même de se constituer en véritable force de négociation et de proposition (organisation d’achat groupés d’intrants, plaidoyer et lobbying, etc.
Sur le plan scolaire, depuis 2010, l’école primaire de Thionokh fait 100% de réussite à l’entrée en 6e. Le village dispose d’un collège et maintenant d’un lycée. On constate plus d’une vingtaine de petites boutiques et d’un louma, alors qu’avant l’installation du forage, il fallait se placer pour s’approvisionner en produits de premières nécessités, même pour une boite d’allumette.

Sur le plan organisationnel, on peut souligner l’originalité de la démarche qui consiste à positionner l’ASUFOR comme un organe du Comité Directeur de l’Unité Pastorale. Cela a renforcé la légitimité et l’autonomie financière de l’Unité pastorale (Mbaye, M ; Kane, A et Baldé, M. 2014) . Selon Mbaye (2009) , le projet a la particularité d’avoir amélioré les capacités de l’Unité pastorale et de l’ASUFOR, notamment dans sa gestion de la commercialisation de l’eau avec des résultats jugés satisfaisants.

Pour mieux gérer ces recettes, une formation en Gestion Administrative et Financière a été déroulée au profit des membres des bureaux des comités de gestion du forage et de l’Unité pastorale. Suite à la formation, il a été mis en place un système de gestion administratif et financière très léger permettant de faire un bilan financier transparent. Les fonds générés sont reversés dans deux comptes : 85 % pour l’ASUFOR et 15 % pour l’unité Pastorale.

Conclusion

Les différentes formes de crise (climatiques, conjoncturelles et structurelles) qui affectent le pastoralisme ne sont pas des phénomènes nouveaux. L’élevage a survécu aux différentes contraintes qui l’ont affecté. Cependant, les formes de résistance et d’adaptation des éleveurs sont constamment renouvelées et méritent que l’ensemble des acteurs y prêtent attention.
La transhumance a été un élément crucial pour surmonter ces crises et développer les cheptels. C’est une réponse efficace pour réduire les risques encourus par les éleveurs et les animaux en cas de contraintes majeures. Mais cette mobilité entraîne souvent des conflits entre autochtones et éleveurs venus d’autres horizons autour de l’exploitation des ressources naturelles (pâturages et utilisation des points d’eau en particulier).

Depuis les indépendances, les gouvernements successifs ont souvent encouragé des politiques de modernisation de l’élevage reposant sur l’idée que la sédentarisation, même temporaire était une innovation pouvant booster le secteur. La généralisation des points d’eau, le recours aux nouvelles technologies et la mise en place de cadres juridiques locaux autour des forages et le développement organisationnel des pasteurs ont augmenté rapidement, améliorant l’information et la communication sur les ressources et les marchés.

Les systèmes pastoraux voire agropastoraux ont jusque-là fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et de résilience. Ils restent malgré tout très vulnérables, et ce d’autant plus dans un contexte marqué par des changements environnementaux et des mutations importantes liées à l’apparition de maladies émergentes, à la croissance démographique, à l’avancée du front agricole et des pressions foncières accrues…

Les acteurs du secteur de l’élevage doivent pousser la réflexion pour consolider les efforts et les politiques en cours dans la zone sylvopastorale. En effet, depuis plusieurs années, les pouvoirs publics, avec l’aide de la coopération au développement, ont œuvré pour la construction d’infrastructures (parcs à vaccination, construction de forages pastoraux, balisage de pistes de transhumance, mise en place de pare-feux, constructions d’écoles, de centres de santé, de magasins associatifs…) et l’adoption documents juridiques dont un code pastoral en cours de validation.

Pour une meilleure gestion du système d’élevage extensif de la zone sylvopastorale caractérisé par la transhumance basée sur l’exploitation des pâturages naturels et des forages pastoraux, les acteurs et décideurs devront démontrer la capacité à maintenir un cadre de gouvernance adéquat et à mobiliser des fonds pour développer des projets et programmes de résilience dans les Unités pastorales. L’harmonisation de ce cadre doit aussi reposer sur une approche qui met l’accent sur la territorialisation des politiques publiques à partir d’un diagnostic pertinent, permettant ainsi une articulation des échelons de décision local et national en matière de gouvernance de l’élevage. Une bonne approche donnerait aux collectivités locales la possibilité d’établir un cadre partenariat multi-échelles pour la pérennité des actions après le départ des bailleurs (cas des Unités pastorales) et pour la résilience de leurs territoires et des activités économiques en rapport avec l’élevage.

De nos jours, le débat sur la gouvernance des ressources naturelles et/ou du pastoralisme se situe dans un contexte où l’Etat n’est plus (ou ne doit plus) être considéré comme le seul acteur du changement. Si l’augmentation des catégories d’intervenants est une source de richesse et peut être perçue comme le signe du cadre de vitalité de la participation et de mobilisation des énergies, il n’en demeure pas moins qu’une harmonisation s’avère nécessaire pour une cohérence territoriale.

L’expérience récente de la mise en place des Unités pastorales dans le Ferlo présente des perspectives intéressantes dans la mesure où elle marque une rupture totale entre les approches dirigistes qui imposaient aux habitants de la zone une façon de penser et d’agir et celles dites participatives qui placent les populations au centre des processus de gestion et d’exploitation des ressources naturelles.

Dr Cheikh Tidiane WADE

Géographe Environnementaliste,
Coordonnateur du Programme Promouvoir la Résilience des Economies en zones Semi-Arides
Contact : cheikhwad@gmail.com

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