Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / L’eau pour l’agriculture / Editorial

Editorial

Promouvoir une gestion équitable et durable des ressources en eau !

En perspective de la COP21 qui va se tenir bientôt à Paris, il est opportun de poser la question de savoir « Comment garantir la sécurité alimentaire dans un contexte de changement climatique engendrant une rareté absolue de l’eau ? ». Question que l’humanité doit répondre impérativement. Et aujourd’hui, l’eau est l’une des ressources naturelles les plus convoitées de la planète et sa gestion rationnelle représente un défi majeur pour les gouvernements du monde entier. Selon la FAO, en 2025, les deux tiers de la population mondiale pourraient être exposés au stress hydrique.

L’agriculture qui doit nourrir une population en forte croissance, est sans conteste le secteur d’activité le plus consommateur d’eau avec 70% des prélèvements d’eau. Cependant, cette eau reste inégalement répartie entre les différentes catégories d’agriculteurs qui n’ont pas le même accès à cette ressource.

En Afrique de l’Ouest, on observe une rareté économique de l’eau, celle-ci y est certes présente en quantité suffisante par rapport aux usages, mais son accès est limité en raison des contraintes liées au capital humain, financier et institutionnel. On parle souvent d’accaparement de l’eau qui se cache derrière l’acquisition des terres agricoles à grande échelle par l’agriculture industrielle.

Pourtant, l’agriculture familiale, contrairement à l’agriculture industrielle se montre plus économe dans l’utilisation des ressources hydriques. Cette gestion rationnelle de l’eau est rendue possible grâce à des innovations techniques et organisationnelles initiées par les petits exploitants familiaux, qui de génération à génération ont valorisé des savoir-faire collectifs sur la collecte et la distribution de l’eau.

Ce numéro 31.3 d’AGRIDAPE s’intéresse à la gestion équitable et durable de l’eau pour l’agriculture. Il aborde des questions d’une grande importance : quelles stratégies mettre en place pour une gestion efficace des eaux de pluies ? Sous l’effet de la croissance démographique, de l’urbanisation et des installations touristiques et industrielles, la concurrence pour l’accès à l’eau augmente. Comment les agriculteurs familiaux parviennent à s’organiser et à développer des stratégies pour s’assurer une disponibilité constante de cette ressource pour les besoins de production ?

Plus loin, il se penche sur quel(s) rôle(s) les politiques publiques peuvent-elles jouer dans la création de systèmes d’irrigation efficaces et moins couteux pour une utilisation efficace et équitable de l’eau pour l’agriculture, la consommation humaine et animale ?

Un droit fondamental

L’eau constitue une ressource vitale pour tous les êtres vivant et donc y accéder constitue un droit fondamental. De nos jours, elle fait l’objet d’une compétition entre les pays, entre les zones urbaines et rurales, mais aussi entre les différents secteurs d’activité ce qui va se traduire à l’avenir par une politisation plus marquée des questions relatives à l’eau. Dans ce numéro, nous partageons le point de vue de Nnimmo Bassey lors du sommet de l’eau qui s’est tenu à Lagos en Août dernier. Dans son intervention, M. Bassey pense que le droit à l’eau est le droit est le plus bafoué parmi les droits humains et il dénonce la privatisation de l’approvisionnement l’eau. Selon lui, les cadres politiques tels que les ODD, ainsi que les partenariats publiques privés, ne considèrent que les aspects liés à l’accès, ils ne prennent pas en compte la question du droit à l’eau. Il préconise ainsi des mesures pour une gestion publique de la ressource.

Actuellement, l’eau fait objet d’accaparement et les multinationales influencent fortement la manière dont cette ressource est gérée. Dans une analyse des liens entre le marché des produits alimentaires et la gestion de l’eau de l’eau, Jeroen Warner, Martin Keulertz et Suvi Sojamo expliquent le concept de « l’eau cachée » avec la forte consommation d’eau dans l’industrie agroalimentaire. Ils invitent ainsi à plus de responsabilité dans la gouvernance et l’utilisation de l’eau.

Une meilleure mobilisation des ressources hydriques

Dans les régions semi-arides, l’une des principales préoccupations des populations rurales pauvres est une meilleure mobilisation des ressources hydriques face à une situation de rareté des précipitations. Ainsi, ils mettent au point des technologies leur permettant de mieux tirer profit des rares pluies qui s’abattent sur leurs terres.

A Mazvihwa, une zone chaude, semi-aride du Zimbabwe avec des précipitations avec une pluviométrie entre 450 et 650 mm par an et de graves périodes de sécheresse, Bouwas Mawara et son épouse Nyengeterai ont mis en place un système de recharge de leur puits en limitant le ruissellement. Cette technique consiste à creuser un canal suivant les courbes de niveau pour stocker l’eau s’infiltre lentement dans le sol pour recharger la nappe.

Au burkina Faso, une analyse des essais réalisés au Burkina Faso par des paysans, des ONGs et des centres de recherche a montré que l’irrigation complémentaire à partir de petits bassins individuels semble être une pratique prometteuse. Elle pourrait contribuer significativement au problème d’insécurité alimentaire et d’adaptation au changement climatique dans les zones soudaniennes et sahéliennes d’Afrique de l’Ouest.

Avec le phénomène du changement climatique combiné à l’urbanisation et l’accroissement démographique, les grandes villes d’Afrique de l’Ouest sont souvent confrontées à des inondations spectaculaires. La ville de Dakar et sa grande banlieue subissent régulièrement durant la saison des pluies. Les autorités, ayant testé plusieurs solutions sans succès, ont préconisé le pompage de la nappe phréatique. Cependant, cette technique présente des conséquences désastreuses pour l’agriculture périurbaine autour de Dakar. Nous exposons ainsi les conséquences du pompage de la nappe sur la biodiversité, l’agriculture dans les Niayes de Dakar, ainsi que ces incidences sur l’aménagement du territoire.

Les irrégularités pluviométriques ont de lourdes conséquences sur l’élevage, elles conditionnent la disponibilité de l’eau et de fourrages pour le bétail. C’est ainsi que les éleveurs pratiquent la transhumance pour rechercher l’eau et des pâturages, d’autres avec plus de moyens développent le système de ranch. La région septentrionale du Cameroun, zone d’élevage par excellence, est souvent confrontée à des crues et inondations qui dans certains cas détruisent les cultures, noient les troupeaux et forcent les habitants à quitter temporairement ces zones. Ainsi, dans cette région, les différentes catégories d’éleveurs développement des stratégies pour s’adapter au manque d’eau. La transhumance constitue pour la majorité des éleveurs pauvres, une solution pertinente à ces problèmes d’indisponibilité temporelle d’eau. Par contre, les plus nantis aménagent des points d’eau et pratiquent le système de ranching.
Dans ce numéro, nous partageons le récit de Moustapha un jeune éleveur vivant dans la région de Maroua au Cameroun. Face au manque d’eau, il a choisi la sédentarisation et avec l’appui de SNV, il s’est lancé dans la production et le conditionnement du lait et arrive à tirer un revenu décent de ses activités. Il a également installé un bio-digesteur dans son village qui fournit l’énergie nécessaire pour l’exhaure d’eau du forage.

Des pratiques en harmonie avec la gestion de l’eau

L’eau représente l’élément clef pour une augmentation et une sécurisation de la production agricole et la réduction de la pauvreté. Seulement, les politique de maîtrise de l’eau restent orientées vers les grands périmètres irrigués, elles ne prennent pas souvent en compte l’irrigation à petite échelle. Il donc est important d’investir davantage dans des systèmes qui permettent l’accès à la ressource eau à toutes les couches. Ceci à travers la promotion de techniques de collecte des eaux de ruissellement, l’exploitation des eaux souterraines à des fins agricoles par un système d’exhaure innovant, notamment l’utilisation de l’énergie solaire pour la maitrise de l’eau productive. A Fatick, au Sénégal, le projet Approche territoriale du Changement Climatique-TACC a mis en place un système d’exhaure grâce à l’énergie solaire pour irriguer des fermes agroécologiques pour renforcer le potentiel maraicher de la zone et lutter contre la pauvreté. Il a enregistré des résultants prometteurs que nous partageons dans ce numéro.

Au fil des années, les communautés paysannes ont fait preuve d’ingéniosité pour développer des savoirs et des technologies idéales aux conditions climatiques pour assurer leur sécurité alimentaire. Ainsi, des pratiques culturales innovantes ont fait leur preuve pour une meilleure adaptation au changement climatique et la sécheresse en particulier. Les pratiques agroécologiques telles que l’association culturale, le compostage etc. constituent des approches économes en eau et sont en parfaite harmonie avec les écosystèmes. Dans les Niayes, les paysans ont longtemps pratiqué ces techniques pour assurer une production agricole face aux enjeux climatiques. Selon Wade et Sarr, les gouvernements et le secteur privé, y compris les agriculteurs, devraient prendre les devants en favorisant et en promouvant l’adoption généralisée de pratiques qui garantissent une gestion plus durable de la terre et de l’eau.

Emile Hungbo dans son analyse sur des stratégies d’adaptations à la sécheresse et la rareté de l’eau, identifie deux formes de mesures d’adaptation transversales et les mesures spécifiques. Selon lui, le changement climatique est une opportunité pour l’Afrique, puisqu’il induira l’adoption de pratiques agricoles basées sur les écosystèmes par l’innovation et la promotion des pratiques traditionnelles.

Il convient aujourd’hui, de documenter ces approches et les vulgariser à grande échelle.

Repenser l’investissement dans les aménagements hydro-agricoles
Dans beaucoup d’Etats en Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal, Burkina Faso, Mali, Niger et Guinée, les Etats ont investit ou sont entrain d’investir dans des aménagements hydro-agricoles. L’objectif avancer est de booster la production céréalière particulièrement le riz pour assurer la sécurité. Ces aménagements constituent de gros investissement et leurs résultats restent mitigés. Ce qui amène des initiatives comme la Global Water Initiative à se demander à qui profite ces investissements ? c’est ainsi dans son plaidoyer la GWI milite pour plus d’investissement sur l’Homme et les mécanismes de gouvernance et de concertation au lieu de concentrer la majorité des ressources sur les infrastructures. En effet, dans les périmètres aménagés, on assiste à une gestion inéquitable de l’eau qui engendre une faible productivité qui au fil des années n’a pas concouru pour un retour sur investissement. C’est pour cette raison qu’il nécessaire de favoriser le dialogue entre les acteurs, promouvoir une meilleure gouvernance foncière et la mise en place de dispositif d’appui conseil participatif et efficace pour accompagner la production agricole diversifiée dans les périmètres aménagés en Afrique de l’Ouest. Selon la GWI, ces facteurs constituent des éléments essentiels pour rentabiliser les grands barrages.

Ce numéro 31.3 d’AGRIDAPE, montre le rôle de l’agriculture familiale dans la régulation et le partage social de l’eau agricole et les petits producteurs à travers leurs techniques culturales ont une grande influence sur la qualité et la mobilisation des ressources en eau. On s’aperçoit à travers les expériences partagées dans ce numéro, que la question de l’eau ne peut être dissociée de celle des sols, des terres et des écosystèmes. Et que dans le contexte actuel marqué par les défis de résilience au changement climatique, de sécurité alimentaire mais également d’accroissement de la population, la pression sur les ressources en eau va augmenter et les périodes de sécheresse seront plus longues. Il est donc nécessaire que les politiques de gestion de l’eau protègent le droit des peuples pour un accès équitable et durable à l’eau, mais aussi il faudra accompagner l’innovation paysanne pour la mise à l’échelle des approches agroécologiques économes en eau et en parfaite harmonie avec les écosystèmes.