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Sud Bénin : une technique de dépaillage prophylactique des tiges de la canne à sucre contre les « vers » dans la commune de Sèmè-Podji

La commune de Sèmè-Podji est la première des huit localités productrices de la canne à sucre au Bénin. Cependant, elle est la plus touchée par le plus grand fléau dont souffre la production cannière au Bénin. Il s’agit de l’attaque des pieds par les larves d’ Eldana saccharina. Pour circonscrire le mal, la technique de dépaillage des pieds de canne à sucre a été la prouesse innovante et endogène trouvée par les producteurs en lieu et place d’un recours à un traitement chimique nuisible à l’environnement. Elle a réussi à réduire l’impact de ce ravageur sur la production cannière, à améliorer la fertilité des sols et à favoriser une économie d’eau.

La commune de Sèmè-Podji est une plaine côtière encastrée dans un complexe de plans d’eau (océan Atlantique, lagune de Porto-Novo, fleuve Ouémé et lac Nokoué) où la culture de la canne à sucre est un héritage culturel pour les habitants. Presque tous les producteurs agricoles de la commune ont un champ de canne à sucre.

Ils considèrent d’ailleurs cette culture comme « l’or » de la commune. Car, selon eux, cette culture ne trahit jamais. Elle est source d’emplois et de richesse économique. Une superficie d’un hectare de canne à sucre emploie en moyenne sept personnes sur une durée de trois semaines pour le défrichement ou le sarclage, avec un gain journalier d’environ 1.700 F CFA par personne (Ahohoundo, 2009).

Malheureusement, la culture de la canne à sucre est confrontée à l’attaque de ravageurs, notamment les foreurs de tige. La canne à sucre est attaquée par deux principaux foreurs que sont Eldana saccharina et Chilo sacchariphagus.

Selon Kouamé et al. (2010), Eldana saccharina fait partie des lépidoptères qui provoquent le plus de dégâts sur la canne à sucre. Ce foreur provoque d’importantes pertes en sucre, en attaquant les plants de canne à sucre à maturité, contrairement au Chilo sacchariphagus qui attaque les jeunes pousses et provoque surtout des pertes de rendement (Assefa et al., 2008).

En Afrique, c’est le foreur Eldana saccharina qui pullule dans les zones de production de la canne à sucre. Les pertes de sucre occasionnées par ce ravageur sont estimées entre 40 et 70 % du taux d’entre nœuds attaqués par le foreur. Appelés ‘‘vers’’ par les producteurs de la Commune de Sèmè-Podji, les foreurs vivent dans les tiges de la canne à sucre.

Ils apparaissent quand une longue période de sécheresse suit une grande pluie. Ces derniers percent la tige et creusent son intérieur sur une longueur importante (parfois la moitié de la longueur de la tige). Une fois la tige de canne percée, d’autres ravageurs comme les fourmis, pénètrent la tige par ces trous forés pour s’alimenter à l’intérieur de la canne à sucre.

En cas d’attaque sévère des tiges par les foreurs, toute une planche de canne à sucre peut être perdue. Les pieds de canne à sucre ainsi attaqués sont vendus à très bas prix dans le meilleur des cas, sinon, ils sont rejetés par les consommateurs.

Empêcher aux foreurs de se mettre en position

Face à la contrainte de production de la canne à sucre que constitue l’attaque des tiges par les foreurs de tige et les fourmis, les producteurs ont développé la technique de dépaillage prophylactique des tiges de la canne à sucre. Cette pratique est de plus en plus adoptée parce que les producteurs ont constaté que les champs de canne à sucre régulièrement dépaillés sont moins attaqués que ceux rarement dépaillés.

Le dépaillage prophylactique est une technique qui empêche les foreurs de se mettre en position de se développer sur la tige et de forer celle-ci.
La pratique du dépaillage prophylactique est manuelle. Les feuilles sont enlevées à la main de la base de la tige à une hauteur d’homme.

Le dépaillage commence à environ trois mois de croissance de la plante, puis l’opération est répétée par la suite toutes les deux semaines. Les feuilles ne sont pas enlevées n’importe comment. Les feuilles qui doivent être enlevées sont celles qui ont leur base plus ou moins sèche et qui se décollent quasiment déjà de la tige. Cela empêche que la tige ne soit blessée afin d’ouvrir la voie à d’autres attaques.

En enlevant les feuilles, les femelles du foreur de tige qui pondent sur ces dernières ne trouvent plus de support pour leurs œufs sur la canne à sucre. Même au cas où ces femelles ont déjà pondu, on débarrasse la plante des œufs qui n’arrivent plus à se développer sur la tige. Il s’agit donc d’une action prophylactique contre les attaques de foreurs de tige.

Résultats

Le dépaillage de la canne à sucre a offert plusieurs avantages aux producteurs. Cette population agricole est estimée à 20.758 exploitants (Ahohoundo, 2009). L’avantage le plus apprécié des producteurs est la réduction de l’attaque par les foreurs de tige.

Le cycle de développement des foreurs est interrompu sur les tiges qui connaissent une croissance normale et une accumulation satisfaisante de sucre. La suppression des feuilles a empêché aux femelles des foreurs de tige de pondre à l’aisselle des feuilles ; ce qui a considérablement réduit leurs attaques et accru le rendement de la production qui est passé de 41 tonnes à plus de 50 tonnes à l’hectare.

Cette amélioration du rendement de la canne à sucre s’est traduite par l’augmentation du revenu des producteurs. La technique de dépaillage prophylactique a également amélioré l’aération de la plantation, ce qui a contribué à la croissance de la canne à sucre.

En effet, les feuilles de la canne à sucre, étant longues, occupent toute la planche tout en empêchant une bonne circulation de l’air sur la parcelle. En les enlevant, la planche est dégagée de ces touffes de feuilles, ce qui facilite non seulement la circulation de l’air dans le champ, mais aussi celle du producteur lors des différentes opérations culturales (entretien, fertilisation, …).

Le dépaillage facilite également la récolte. Ceci s’explique par le fait qu’en enlevant les feuilles, la sève élaborée qui doit être envoyée à ces dernières pour permettre leur croissance est utilisée par la plante pour évoluer en hauteur. Aussi, les feuilles enlevées après quelque temps, se dessèchent-elles et se décomposent pour donner la matière organique nécessaire à la formation du complexe argilo-humique qui constitue le support indispensable à la nutrition de la plante.

Ces feuilles enlevées et déposées sur la planche représentent aussi une forme de paillage qui réduit l’évaporation de l’eau en cas de haute température. Elles constituent donc un facteur favorisant l’économie de l’eau.

Les feuilles au sol sont d’une grande utilité agronomique pour le producteur. Elles permettent de conserver l’eau et la vie des micro-organismes du sol, donc sans perturber l’écosystème en présence. On dénote ici le caractère durable de la pratique dans la production.

La pratique du dépaillage prophylactique des tiges de canne à sucre est devenue une technique largement adoptée par les producteurs de la commune de Sèmè-Podji. Elle est reconnue comme une pratique culturale efficiente et efficace.

Pendant qu’elle n’exige pas d’intrant externe, le dépaillage prophylactique accroît le rendement de la production de la canne à sucre. C’est pourquoi, l’on a observé un intérêt marqué de tous les producteurs presque pour sa mise en œuvre. L’innovation est ainsi internalisée.

Adaptation au changement climatique et durabilité de l’expérience

Le dépaillage prophylactique des tiges de la canne constitue une technique écologique de lutte contre les foreurs de tige. En conservant l’eau et la vie microbienne du sol par le paillage, il limite la production de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique.

La décomposition des feuilles enlevées jetées au sol constitue un puits de carbone, favorable à la mitigation des changements climatiques. La technique de paillage prophylactique des tiges de canne à sucre est donc porteuse de durabilité, vue qu’elle n’implique l’utilisation d’aucun intrant externe nuisible à l’environnement ou à l’homme.

Dr Emile N. Houngbo, agroéconomiste, Ecole d’Agrobusiness et de Politiques Agricoles, Université Nationale d’Agriculture
Moret B. S. Adikpeto & Gédéon M. Agbokan de l’Ecole de Gestion et de Production Végétale et Semencière, Université Nationale d’Agriculture
Contact : enomh2@yahoo.fr

Références bibliographiques

Ahohoundo, P C A. (2009) : Production de Sacchararum officinarum (canne à sucre) dans la commune de Sèmè-Podji : Impacts socio-économique et environnemental. Mém. Maîtrise, FLASH, UAC, 95 p.

Assefa, Y., van den Berg, J. & Conlong, D. E. (2008) : Farmers’ perceptions of sugarcane stem borers and farm management practices in the Amhara region of Ethiopia, International Journal of Pest Management, 54 (3) : 219-226.

Kouame, D.R., Bi Pene, C., Zouzou, M. (2010) : Evaluation de la résistance variétale de la canne à sucre au foreur de tige tropical Africain (Eldana saccharina Walker) en Côte d’Ivoire. Journal of applied Biosciences, 26 :1614-1622.