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Potentialités et valeur ajoutée de la production de la pintade locale dans la région soudano-sahélienne du Cameroun

Les effets dramatiques des changements climatiques sont très visibles sur les systèmes agricoles et pastoraux qui dépendent largement des précipitations. A l’observation, les milieux secs et susceptibles de connaître des périodes de plus longues sécheresses abritent pourtant d’autres ressources animales déjà résilientes, et dont les mécanismes naturels pourraient être exploités aux fins de booster une approche plus durable. C’est le cas de la pintade africaine que l’on retrouve du Sud du Sahara aux régions sèches d’Afrique australe. Cet article rend compte d’une analyse récente faite des expériences en région soudano-sahélienne du Cameroun.

Dans la plupart des pays en voie de développement, l’aviculture familiale occupe une place de choix dans la vie des populations rurales où le poulet local est menacé (Horman, 2004). C’est une activité qui est pratiquée par plus de 80 % des populations et qui se caractérise en termes de cheptel par des effectifs réduits généralement, associés aux autres espèces de volaille (poule, cane, oie, dinde, etc.) toutes de races locales.

La zone Soudano-sahélienne du Cameroun (Région de l’Extrême-Nord) est située entre les 10°-13° de Latitude Nord et 13°15’-15°45’ de Longitude Est. Le climat de type tropical est caractérisé par une insolation importante, une température moyenne annuelle située entre 27 et 29°C du Sud au Nord, une humidité relative moyenne de 35 % dans les plaines et moins de 30 % sur les Monts Mandara, une seule saison des pluies avec des totaux moyens annuels variant de 400 à 1 100 mm, une saison sèche d’autant plus rigoureuse et longue que l’on se dirige vers le Nord et que l’on s’éloigne des Monts Mandara (MINEPAT, 2014).

La végétation est constituée de steppe herbacée parsemée de quelques arbustes et de steppe épineuse dans la plaine et dans le massif. La Région de l’Extrême-Nord constitue la zone de forte concentration de pintades (FAO, 2008).

A l’Extrême-Nord Cameroun en particulier, la pintade locale fait partie des espèces avicoles répandues. Elle est exploitée dans un système divaguant peu productif (au plan économique) et ne fait l’objet d’aucun interdit. La pintade constitue une source de protéines animales et de revenus facilement mobilisables ; sa viande et ses œufs possèdent des caractéristiques organoleptiques et diététiques exceptionnelles.

La pintade joue en effet des fonctions socio-économiques, culturelles, nutritionnelles, environnementales et ornementales non négligeables. Cependant, la pintade demeure peu valorisée dans les programmes de mitigation des effets de changements des écosystèmes. Cette situation est illustrée par le faible nombre relatif de travaux scientifiques consacrés sur celle-ci au Cameroun et son inexistence dans les programmes d’appui à l’aviculture semi-intensive.

Il a paru utile de diagnostiquer le système de conduite pratiqué, d’évaluer les performances de production de la pintade et d’identifier les potentialités et les contraintes majeures de cette activité en zone soudano sahélienne.

Caractéristiques du producteur et cheptel

L’élevage villageois de la pintade est une activité pratiquée à 88,4 % par les hommes et à 11,6 % par les femmes. Toutefois, cette activité est accessible à tous groupes d’âges. Elle est pratiquée par toute la population sans aucun interdit. Près de 95 % des oiseaux sont acquis à partir de l’incubation naturelle des œufs réalisée par les poules et les canes. Ces œufs sont généralement achetés sur le marché et parfois chez des éleveurs.

Il est ressorti des résultats de l’enquête que près de 25 % des éleveurs possèdent 10 à 15 pintades dans leur élevage alors que 5 % disposent d’un effectif compris entre 1 à 5 pintades. Dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun, la pintade est élevée pour la reproduction (œufs et pintadeaux), la commercialisation, les dons, l’autoconsommation et le prestige. En effet, plus de 90 % des éleveurs ont choisi cet élevage pour la simple raison qu’il constitue une forme d’épargne et relativement facile à mener.
La vente est ainsi le moyen primordial de sortie des pintades sur pied et surtout des œufs ; la part de l’autoconsommation est comparable de celle des dons et du prestige.

Mesures adaptées de la conduite de l’élevage de la pintade

Dans cette région, l’élevage des pintades ou méléagriculture a un caractère extensif et de type exploitation familiale. Environ 85 % des éleveurs ne loge pas les pintades. Celles-ci divaguent toute la journée et se perchent sur les arbres ou sur des toits autour des concessions à la tombée de la nuit.

Toutefois, près de 13 % des exploitants offrent des abris sommaires construits à partir des matériaux locaux (paille, brique de terre) adaptés à toutes les espèces avicoles. Ces abris sont étroits et difficiles à nettoyer, ce qui constitue un foyer de développement des germes divers et augmente les risques de maladies.

La plupart des éleveurs (70 %) affirment posséder des abreuvoirs, lesquels sont faits de pots de terre ou des morceaux de canaris. Aucune importance n’est accordée aux mangeoires et perchoirs alors que les nids sont faits à partir des morceaux de bois, de tissus ou pailles et de terres disposées juste pour accueillir une seule femelle.

Dans cette région, les pintades glanent leurs aliments dans les champs autour des concessions et ne rentrent dans la cour que deux à trois fois par jour pour s’abreuver. Dans 95 % des cas, les pintades se nourrissent des restes de cuisine et de quelques poignées de céréales (mil, sorgho, maïs, riz, fonio…) distribués chaque matin sans distinction d’âge.

Les sources d’approvisionnement en eau sont dans l’ordre d’importance le puits, le forage et les mares d’eau. Plus de 66 % d’éleveurs n’ont aucun problème à signaler quant à l’abreuvement des pintades.

Les pintades locales ne font l’objet d’aucun suivi sanitaire. Selon les propriétaires, ces oiseaux sont très rustiques et moins sensibles aux maladies communes de poules.

Cependant, certains observent des symptômes tels que la diarrhée, l’écoulement nasal et buccal, la fatigue générale, le gonflement des pattes et la présence des parasites (poux, vers intestinaux). Afin de remédier à ce problème, plus de 34 % des éleveurs soumettent leur cheptel à un traitement à base d’écorce et de feuille d’arbre connu localement sous l’appellation « cresedra » par voie buccale dans l’eau de boisson ; en plus de ce traitement, la pintade bénéficie occasionnellement d’un traitement antibiotique et parfois de vaccination (maladie du Newcastle) lorsque l’éleveur administre des traitements à ses poules ou canards ou autres volailles.

La plupart des éleveurs (90 %) affirment faire le sexage des pintades, plus de 50 % des éleveurs le font à partir de 4 mois. Cependant, 14 % des éleveurs procèdent à l’identification des sexes à 8 mois et 8 % à 3 mois. Le sexage peut se faire à partir des œufs. Quelques critères de sexage enregistrés sur la base de l’expérience empirique sont couramment pratiqués.

En somme, il est admis que les œufs avec le petit bout étroit et très pointu génèrent régulièrement les mâles alors que ceux avec le petit bout arrondi et peu pointu donnent les femelles. Le mâle a généralement une crête plus importante et très haute que la femelle chez qui, cette crête est fuyante vers l’arrière.

De même, le barbillon est plus développé chez le mâle ; pendant que le cri du mâle est dissyllabique et plus aigu que celui de la femelle qui est monosyllabique et moins aigu, la queue est généralement droite chez le mâle et courbe dirigée vers le sol chez la femelle.

Dans la plupart des élevages, le ratio un mâle pour deux femelles est le plus fréquent suivi des ratios un mâle pour une femelle et un mâle pour trois femelles respectivement ; le taux de fertilité est 95 %. Les excédents de mâles sont pour la plupart vendus et rarement consommés.

La maturité sexuelle étant atteinte entre six et sept mois d’âges, la ponte a lieu exclusivement en saison des pluies (Mai - Octobre) ; une pintade peut pondre 80 à 100 œufs en une saison. L’incubation naturelle et la conduite des pintadeaux sont majoritairement assurées par les poules et parfois par les pintades.

La durée moyenne d’incubation est de 28 jours et le taux d’éclosion est généralement 90%. Afin de limiter les mortalités dues aux conditions climatiques souvent défavorables pendant la saison des pluies, les pintadeaux sont mis en claustration ainsi que la mère poule pendant au moins deux semaines à compter de la date d’éclosion.

L’élevage des pintades est source de revenus pour plus de 95% des ménages qui vendent les pintades et principalement les œufs en cas de besoin d’argent et de vieillesse de l’oiseau. Les échanges se font essentiellement au marché et le prix d’une pintade adulte sans distinction de sexe est compris entre 1 800 et 2 000 F CFA.

Cependant, le prix d’une pintade peut être influencé par le poids et la couleur du plumage : les pintades de couleur blanche sont relativement plus chères et seraient facilement manipulable par l’humain, indiquent certains éleveurs. Les jeunes pintades ne sont vendues qu’exceptionnellement, car elles sont conservées généralement pour la prochaine saison de ponte.

Le prix de l’œuf varie de 50 à 65 F CFA lorsqu’il est cru et de 75 F CFA lorsqu’il est bouilli. La viande et les œufs de la pintade sont très appréciés par la majorité de la population, car ils ne font l’objet d’aucun tabou. Ils sont utilisés par certains communautés ethniques dans la pharmacopée.

Il a été noté que les autres sous-produits tels les fientes et les plumes ne sont que faiblement exploités. Environ 92 % des éleveurs sont satisfaits de cet élevage en raison de la rentabilité financière et des performances de reproduction dans un contexte de raréfaction des ressources alimentaires exigées par la volaille conventionnelle en général importée. Il existe quelques techniques de transport des pintades qui devraient être réajustées pour intégrer le bien-être animal.

Quelques contraintes majeures et adaptations locales

Plusieurs contraintes expliqueraient la faible rentabilité actuelle de l’élevage des pintades. On peut noter : la forte mortalité des pintadeaux, la mauvaise aptitude de couvaison de la pintade femelle et un manque de connaissances techniques approfondies de cette activité. Il s’ajoute aussi des pertes d’oiseaux liées aux vols, maladies, prédation et accidents. Il est apparu souvent que les conflits avec les voisins et la difficulté à capturer les pintades vivantes sont aussi soulevées parmi les contraintes. Du fait de l’absence des données techniques établies par les systèmes conventionnels de recherche et d’appui à l’élevage, la pintade locale est considérée comme une volaille non conventionnelle au Cameroun.

C’est donc le savoir-faire des éleveurs qui contribue à l’exploitation de cette ressource génétique naturelle qui abonde dans cette zone sèche sahélienne. Afin d’assurer la pérennité de leur élevage, les œufs sont confiés aux poules qui s’avèrent être de meilleures couveuses et puis meneuses.

L’habituation des pintades se fait par l’apport de compléments d’aliments constitués de quelques poignées de céréales généralement distribuées très tôt le matin. Pour communiquer avec ses oiseaux, l’éleveur utilise à chaque fois le même cri pour appeler. Une autre technique de capture de la pintade consiste à la droguer à l’aide de boissons locales alcoolisées, notamment la bière de mil ou maïs telle le « harki ». Les plumes des ailes de pintade sont taillées afin de les empêcher de voler.

Perspectives

L’élevage des pintades dans la zone soudano-sahélienne du Cameroun est un élevage de type extensif à exploitation familiale comme ailleurs (Sanfo et al., 2009). Son importance économique semble méconnue pour le moment. Afin de procéder à la levée des contraintes sus-identifiées, il est urgent d’intégrer un programme de formation des éleveurs, ce qui contribuerait à l’amélioration de sa productivité.

Par ailleurs, des indicateurs sur les capacités de cet oiseau à se développer dans les conditions sévères des régions sèches en font un potentiel candidat à la densification des moyens de satisfaction des besoins alimentaires, tout en concourant à la préservation de la biodiversité, notre avenir commun.

Félix MEUTCHIEYE & Francis DONGMO DJIOTSA

Département de Zootechnie, Université de Dschang/FASA, B.P. 188, Dschang-Cameroun

Contact :fmeutchieye@gmail.com

Références bibliographiques

FAO, 2008. Première évaluation du secteur avicole au Cameroun. Division de la production et de la santé animales de la FAO.