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Renforcer le sentiment d’appartenance et les liens communautaires pour développer l’agroécologie urbaine dans les communes du Cap

L’initiative Harvest of Hope ou les « récoltes de l’espoir », est un système de livraison de paniers de légumes au Cap en Afrique du Sud, elle représente une entreprise sociale et est mise en place par Abalimi Bezekhaya, une ONG locale. En encourageant l’agroécologie urbaine, cette initiative cherche à améliorer la sécurité financière et alimentaire des ménages et à donner le pouvoir de se prendre en charge en renforçant leur confiance et leurs capacités dans l’agriculture.

Fondée en 1982, l’ONG Abalimi, qui signifie en français « pays de chez nous », travaille depuis 33 ans avec les petits producteurs urbains pour développer leurs propres jardins potagers écologiques dans les communes de Khayelitsha et Nyanga et les zones avoisinantes de Cape Flats. Abalimi propose des services d’assistance, en fournissant du compost, des semences, des plants, mais également en facilitant la commercialisation, la formation, la vulgarisation, le suivi-évaluation, le développement de réseaux et de partenariats locaux et la création d’organismes communautaires.

Abilimi contribue de diverses façons à la sécurité alimentaire et au renforcement des moyens de subsistance dans les townships. Au début de son action, elle a commencé par travailler avec les femmes défavorisées en les initiant à la production de légumes dans les jardins familiaux et communautaires pour améliorer la sécurité alimentaire des ménages. Lorsqu’elles avaient un surplus, elles vendaient à leurs voisins à petits prix. Par la suite, vu que les marchés locaux ne leur paraissaient pas suffisamment vastes ou fiables, elles ont voulu accéder à de nouveaux marchés au-delà de leur communauté locale, mais elles ne disposaient pas de moyens d’y parvenir par elles-mêmes. C’est ainsi que l’ONG Abalimi avait conduit des expériences de commercialisation à l’intérieur et à l’extérieur des townships, et a initié le projet « Harvest of Hope » pour soutenir le développement de chaînes d’approvisionnement des marchés locaux.

Une production orientée vers la subsistance et les marchés

Selon Abalimi, les programmes de développement agricole font souvent l’erreur de supposer une contradiction entre l’agriculture de subsistance et celle tournée vers les marchés. Le développement agricole conventionnel essaie d’orienter les citadins pauvres vers l’agriculture commerciale, perdant de vue que la plupart d’entre eux ne souhaitent pas être des agriculteurs à temps plein. A travers son expérience, Abalimi a constaté que les agriculteurs appliquent tout un éventail de stratégies et d’outils pour améliorer leur sécurité et leur souveraineté alimentaires. L’ONG a donc élaboré l’approche « chaîne de développement » pour assister les groupements d’agriculteurs dans le choix des stratégies les mieux adaptées à leurs situations spécifiques.

Cette méthodologie comporte quatre étapes à savoir la survie, la subsistance, les modes de subsistance et le commerce. Les producteurs ou groupements de producteurs peuvent rester dans n’importe quelle étape de façon permanente ou passer d’une étape à l’autre. Chaque étape exige des besoins spécifiques d’appui, allant de la formation de base sur la culture potagère à l’apprentissage de la planification d’une production régulière tout au long de l’année.

L’un des aspects cruciaux de cette approche est que les producteurs doivent d’abord devenir stables et viables à chaque étape de développement avant de décider de passer à une autre étape plus complexe et plus exigeante, et surtout avant de décider de s’engager dans une action commerciale sérieuse. Pour que les producteurs passent de manière viable d’une étape à l’autre, il est nécessaire d’adopter une approche par étape qui traite des difficultés socio-politiques, environnementales et économiques rencontrées au quotidien.

Un exemple pertinent d’entreprise sociale

L’initiative Récolte de l’espoir a été mise en place en 2008 pour développer les chaînes de commercialisation courtes à même d’aider à faire la transition de l’agriculture de subsistance vers l’agriculture (semi) commerciale. Il s’agit d’un système de commercialisation consistant à vendre chaque semaine des paniers de légumes de saison écologiquement cultivés, avec les objectifs suivants :
- Fournir un marché durable et croissant pour les micro-agriculteurs urbains issus des commune ou cantons ;
- Se servir de ce marché comme moteur de réduction de la pauvreté, permettant aux agriculteurs des communes d’avoir des moyens de subsistance dignes et durables ;
- Permettre aux clients d’accéder à des produits écologiques frais avec moins de kilomètres alimentaires et à des prix compétitifs ;
- Veiller à ce que des aliments frais produits écologiquement soient disponibles toute l’année pour les producteurs, leurs familles et les communautés locales.

L’initiative a été lancée en partenariat avec le South African Institute for Entrepreneurship (SAIE - Institut sud-africain pour l’entrepreneuriat) et Business Place Phillipi, avec le soutien de l’Ackerman Pick’n Pay Foundation. L’investissement initial a été utilisé pour rénover et moderniser le hangar de conditionnement, à élaborer du matériel de formation, à concevoir et lancer la marque et à former le personnel. Forte au départ de huit groupements de producteurs, Harvest of Hope s’est élargie au bout de trois ans pour collaborer avec 18 groupements et environ 120 producteurs.

Le nombre d’abonnés aux paniers alimentaires hebdomadaire est passé de 79 en 2008 à 350 en 2012, et à quelque 450 paniers au début de 2015, les légumes étant cultivés dans 29 jardins de membres en règle avec leurs cotisations et dans 43 autres appartenant à des non-membres appelés des fournisseurs ad hoc. Environ un quart des groupements de producteurs d’Abalimi fournissent les paniers de Harvest of Hope.

Il s’agit là d’un exemple pertinent d’une entreprise sociale qui associe l’autonomisation de la communauté au développement du marché économique. Les principaux bénéficiaires sont les producteurs de légumes majoritairement composés de femmes âgées et de jeunes producteurs, ainsi que les clients. Ailleurs au Cap, des expériences de livraison de paniers de légumes bio existent comme Wild Organic Foods, Ethical Co-op et SlowFood, mais ces initiatives ne s’inscrivent pas dans une logique de développement communautaire social ou d’organisation à but non-lucratif.

Les consommateurs abonnés au service de livraison de paniers de légumes récupèrent leur commande auprès de l’un des 25 points de collecte répartis dans le Cap, en général logés dans des écoles, des universitaires, des centres commerciaux publics et des boutiques partenaires.

Les cibles principales sont consommateurs instruits, issus de la classe moyenne et socialement responsables, les nouveaux clients qui arrivent prennent connaissance du projet principalement par le biais du bouche à oreille et des réseaux sociaux, en plus des visites guidées hebdomadaires des jardins.
Harvest of Hope ne détient pas une certification bio officielle, car les conditions sont très strictes et prennent au moins trois ans. Mais l’initiative applique ses propres normes : pas de produits chimiques artificiels, pas de pesticides, herbicides ou autres engrais. En outre, elle est en train de mettre en place un « système de garantie participative », c’est-à-dire un système local d’assurance qualité qui certifie les producteurs basé sur leur participation active.

Un sentiment d’appartenance communautaire de plus en plus renforcé
Harvest of Hope est une initiative forte d’une expérience urbaine dans les townships du Cap, mais sa dynamique et son succès reposent solidement sur les relations urbano-rurales. Environ la moitié de la population noire défavorisée du Cap est originaire des zones rurales environnantes et ont migré, notamment au Cap-Oriental. Ainsi, leurs racines rurales et les liens ruraux-urbains associés restent très solides. 60% des agriculteurs engagés dans l’initiative, passent régulièrement les week-ends et l’été dans leurs régions rurales d’origine. De plus, il n’est pas rare que, parmi ceux qui ont réussi leur vie dans les townships, certains retournent à leurs communautés rurales d’origine après la retraite.

Les liens ruraux-urbains sont également importants en termes de pratiques agricoles et d’agro-écologie. Des témoignages fréquents recueillis auprès d’ouvriers agricoles font état d’échange de semences, de plants et de boutures utilisés dans les programmes d’Abalimi, achetés auprès des centres de jardinage d’Abalimi à Nyanga et Khayelithsha, puis ramenés au Cap-Oriental. Il existe aussi un flux inverse de semences de cultures traditionnelles pour le maïs arc-en-ciel, les haricots et les melons, partant des zones rurales vers les jardins d’Abilimi. Mama Mabel Bokolo, qui dirige le jardin populaire d’Abalimi à Nyanga en est une illustration parfaite. Elle produit régulièrement des semences provenant de sa maison de campagne pour générer de nouveaux stocks de semences.

« Je prévois de retourner définitivement au Cap-Oriental en 2017, et je veux promouvoir l’approche d’Abalimi dans ma maison de campagne » Mama Mabel Bokolo

Les expériences d’Abalimi et des « récoltes de l’espoir » s’appuient sur le renforcement des liens entre l’« urbain » et le « rural ». L’initiative « récoltes de l’espoir » a été conçue dans l’objectif d’unir les forces des producteurs et des consommateurs engagés autour du concept de l’agriculture soutenue par la communauté comme principe directeur. Ce développement profondément axé sur la communauté constitue l’un des facteurs qui distingue Harvest of Hope de plusieurs services de distribution de paniers de légumes à vocation commerciale dans la région.
Les activités d’Abalimi à travers « récoltes de l’espoir » permettent d’introduire des éléments d’organisation communautaire et d’« enracinement » au sein des townships noirs du Cap, deux vertus rares dans les zones urbaines d’Afrique du Sud.
Les citadins Sud africains sont souvent fortement individualistes et leurs relations sont basées sur les notions de concurrence et d’entrepreneuriat, tandis que la vie sociale en campagne repose sur les liens communautaires et les relations claniques. Ce type de relation entraîne parfois des tensions et des choix de vie difficiles, comme c’est le cas de Xolisa Bangani, un jeune leader paysan de 25 ans, qui devrait être le prochain chef d’un clan au Cap-Oriental. Il envisage de prendre cette responsabilité, mais souhaite d’abord développer sa propre organisation au Cap et acquérir de l’expérience dans la vie.
Ainsi, cette initiative centrée sur l’agriculture et l’alimentation cherchent à mélanger des éléments socio-culturels et de mode de vie de part et d’autre de la ligne qui sépare le milieu rural du milieu urbain en tirant le meilleur des deux mondes.

Henk Renting

h.renting@ruaf.org

Femke Hoekstra

f.hoekstra@ruaf.org

Fondation RUAF

Rob Small

info@farmgardentrust.org

Cofondateur de d’Abalimi et de Harvest of Hope.
Fondateur de www.farmgardentrust.org, qui appui et fait la promotion d’Abalimi et de Harvest of Hope en tant que modèle national.

Pour plus de détails sur Xolisa Bangani, consulter la page deux du dernier numéro du bulletin Abalimi – http://abalimi.org.za/wp-content/uploads/2015/01/ABALIMI-Newsletter-41-2014-Online.pdf