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Relations villes et campagne : Vers des systèmes alimentaires intégrés

La fourniture de denrées alimentaires provenant de l’agriculture constitue le premier lien entre les villes et les campagnes, aujourd’hui, avec l’émergence et la croissance continue dans les villes, le contexte actuel qui reste marqué par une forte migration de personnes vers les zones urbaines, l’urbanisation non viables, les approches classiques en faveur de la séparation entre le monde rural et le monde urbain négligent souvent leurs relations et interactions. Nous devons réfléchir à la mise en place de systèmes alimentaires intégrés qui renforcent ces liens à l’instar des « villes-régions » ou « city-region ».

L’expansion des villes et leurs besoins croissants en nourriture s’ajoutent aux défis d’amélioration des moyens de subsistance en milieu rural. La consommation et le commerce non durables continuent de prospérer, notamment le monopole du secteur agricole et alimentaire par grandes entreprises. De plus, de nombreuses familles en zone urbaine restent sans accès à une nourriture abordable, saine et nutritive. Dans le même temps, ces pratiques affectent les petits producteurs agricoles et les populations des zones rurales, réduisant les opportunités de disposer de moyens de subsistance adéquats en milieu rural et aggravent la pauvreté dans les campagnes. Cela amène à se poser la question suivante : comment pouvons-nous prendre des décisions plus appropriées sur le développement, basées sur une approche plus inclusive ?

Initier des changements dans le système alimentaire

Les relations ville-campagne peuvent être mieux soutenues par des changements réels dans le système alimentaire. Qui lui-même est complexe et présente plusieurs aspects, notamment les flux, les échanges et les impacts sur l’ensemble des zones rurales et urbaines, depuis la production, la distribution, la transformation, la commercialisation, la consommation et les déchets, jusqu’aux infrastructures d’appui.

Un changement révolutionnaire dans le système alimentaire ne peut pas être global ; il intervient à petite échelle et au niveau local.

De nombreuses questions et interventions visant à mieux connecter les régions des approches territoriales à la gouvernance locale, sont discutées par pouvoirs publics et de la société civile. L’amélioration des relations entre producteurs et consommateurs, qui prennent également en compte les populations vulnérables dans les zones rurales et urbaines, est d’une importance capitale. Pour de nombreuses communautés, cela signifie que la préservation des marché traditionnels et publics, l’amélioration des programmes de protection sociale et d’aide alimentaire, la modification des politiques sur les marchés publics et l’appui aux programmes d’acquisition directe et à l’agriculture soutenue par la communauté, sont quelques-unes des nombreuses interventions nécessaires.

Un changement révolutionnaire dans le système alimentaire ne peut pas être global ; il intervient à petite échelle et au niveau local.

Des collectivités locales au cœur de la planification « rurale-urbaine »
Une décentralisation et des directives claires à l’endroit les autorités locales sont essentielles à la réalisation des engagements politiques internationaux et des obligations de prendre en considération les droits humains pour appuyer la planification rurale-urbaine intégrée. Les systèmes alimentaires sont particulièrement importants à cet égard, étant donné que la loi et la politique qui réglementent la gestion des déchets alimentaires, l’amélioration des conditions de travail et des moyens d’existence, les marchés publics, la gouvernance foncière, l’aménagement du territoire, le commerce, entre autres, sont du ressort des collectivités locales (communales, municipales ou régionales).

Pendant de nombreuses années, des réseaux de collectivités locales, notamment l’ICLEI (Conseil international pour les initiatives écologiques locales et son Forum annuel des Villes Résilientes), ainsi que les Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) mettent en réseaux les pouvoir locaux et régionaux des villes de toutes tailles. Ces réseaux visent à intégrer les besoins et les expériences de l’échelon local dans les processus politiques internationaux, ainsi qu’à renforcer les capacités au niveau local pour un dialogue direct avec les populations, y compris ceux des zones périurbaines et rurales à l’extérieur des centres urbains.

Émergence du concept « ville-région » (city-region) dans les politiques de développement

Les relations ville-campagne sont aussi un sujet à la mode dans le discours politique international. Elles sont abordées dans les audiences internationales notamment lors des préparatifs de la troisième Conférence des Nations Unies sur le Logement et le Développement Urbain Durable, ou Habitat III, qui doit avoir lieu à Quito, en Équateur, en octobre 2016. De même, le développement de l’Agenda Post-2015 et les Objectifs de développement durable, le très controversé Global Expo de Milan et les initiatives des collectivités locales, y compris la Déclaration de Séoul et le Pacte sur les Politiques Alimentaires en Milieu Urbain, cherchent tous à relever les défis auxquels les zones urbaines font face, en créant des cadres locaux et régionaux plus solides.

Bien qu’il existe de nombreux doutes et des difficultés au niveau de la mise en œuvre du processus, avec la faible participation de la société civile, l’Agenda Post-2015 et les Objectifs de développement durable (ODD) ont eu un impact significatif sur les relations entre le milieu urbain et le milieu rural. Ils ont surtout permis de rationaliser les approches territoriales de gouvernance, également ils ont fait émerger un nouveau concept, celui de « villes-régions » ou « city region ». Le développement de l’Objectif de Développement Durable 11 de « rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables » et le travail effectué par des groupes tels que la Coalition Communitas et la collaboration entre les Systèmes alimentaires des villes-régions a réellement changé notre conception du terme mot « urbain ». Ils ont institutionnalisé la nouvelle conception de la « ville-région » pour remplacer la « ville » en tant que cadre de référence pour les discussions sur le développement urbain durable. Les villes ne se forment pas dans le vide et cette conception montre clairement que les relations ville-campagne doivent être considérées dans tout objectif ou plan de développement « urbain ».

Démocratiser la politique alimentaire locale

L’élaboration du Pacte sur les Politiques Alimentaires en Milieu Urbain mené par la ville de Milan a engagé une cinquantaine de villes à travers le monde à partager leurs expériences, leurs défis et leurs besoins dans la mise en œuvre d’une politique alimentaire locale. Le pacte vise à créer un cadre de gouvernance pour les approches villes-régions, ainsi qu’une prise de décisions participative, en collaboration avec la société civile et les exploitants familiaux, sur des sujets tels que la gouvernance, la lutte contre la pauvreté, la nutrition, la production alimentaire, l’approvisionnement et la distribution, la gestion des déchets et la perte de denrées alimentaires. Il s’agit là d’une étape importante pour répondre à la question de savoir comment les collectivités locales peuvent améliorer la gouvernance et la gestion des zones rurales. Le pacte traite également de la nécessité d’une gouvernance des systèmes alimentaires de manière démocratique et participative, abordant le rôle crucial de la société civile dans la prise de ces décisions au sein des instances dirigeantes multipartites au niveau local.

Cette gouvernance démocratique et participative concerne également les conseils sur la politique alimentaire, les collaborations entre les citoyens et les agents de l’État afin de mettre en place un cadre pour le plaidoyer et l’élaboration de politiques pour la création de systèmes alimentaires durables et justes.

La coalition des Systèmes Alimentaires des Villes-Régions travaille actuellement en collaboration avec plusieurs villes, la société civile et des structures et organismes internationaux pour promouvoir la planification des systèmes alimentaires intégrés ou les systèmes alimentaires des villes-régions. Les zones urbaines ne sont pas l’apanage d’un quelconque groupe isolé d’acteurs ou d’habitants, et les communautés rurales ont le droit de bénéficier du développement urbain et vice versa. Les solutions techniques aux problèmes d’alimentation des zones urbaines, tout comme les changements climatiques, l’emploi et l’investissement, doivent intégrer les zones rurales, autant que la gestion des écosystèmes.

Des changements significatifs

Bien qu’il existe un regain d’intérêt pour le sujet, la question concernant des relations plus solides entre le milieu urbain et le milieu rural ne date pas d’aujourd’hui. Les engagements initiaux contenus dans la Déclaration de Vancouver de 1976, lors de la première conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat I), et la Déclaration d’Istanbul signée en 1996, au cours de Habitat II, ont reconnu l’importance des rapports entre les zones rurales et urbaines et la nécessité d’approches équilibrées et globales pour le développement. Habitat II est allé plus loin, en déclarant que les autorités locales et la décentralisation générale sont essentielles pour mettre en œuvre et soutenir ces rapports. Cependant, au regard des premiers préparatifs pour Habitat III et le cap maintenu par ONU-Habitat, il est clair que ces engagements passés ont été oubliés car ils continuent avec un agenda purement « urbaniste ». La pression exercée par la société civile a abouti à la mise sur pied d’un groupe de travail sur les relations entre zones urbaines et rurales au sein du système Habitat afin de suivre de près les questions liées aux systèmes alimentaires des villes-régions et de l’utilisation des terres. Cependant, il reste à voir si cela se traduira par des changements significatifs en vue d’un développement urbain-rural plus équilibré et mieux intégré.

Des questions à approfondir

Si on analyse Habitat III et les autres discussions politiques émergentes, « le droit à la ville » est devenu un cadre important dans l’approche de la société civile et des collectivités locales à la gestion de la ville et de ses arrière-pays ruraux. Le droit à la ville préconise l’utilisation équitable de l’espace urbain selon les principes du développement durable, la démocratie, l’équité et la justice sociale. Il s’agit d’un droit collectif des habitants des villes et des régions environnantes, qui privilégie les groupes vulnérables et défavorisés. C’est un cadre et une approche qui, dans son essence, cherche à promouvoir les droits de l’homme et la protection des communautés marginalisées à travers la participation, le respect de la fonction sociale de la terre, de la propriété et des villes- régions, de même que la gestion durable des biens communs. Ce cadre reconnaît également le rôle de l’économie sociale et solidaire dans le soutien de nombreuses communautés, et il est impératif que ces contributions soient prises en compte au niveau international.

Dans notre action permanente d’occupation et d’extension des espaces urbains, nous devons absolument comprendre comment reconfigurer ces espaces ? Comment sont-ils gouvernés ? Comment interagissent-ils et influencent d’autres territoires, et comment les populations au sein et autour de ces espaces pourraient mener une vie digne ?

Les possibilités intéressantes sont légions, mais elles portent chacune de nombreux obstacles et risques. La société civile, depuis les citadins jusqu’aux producteurs ruraux, doit jouer un rôle fondamental dans l’établissement d’un programme au niveau mondial et local, et une fois ce programme défini, il appartient aux acteurs locaux de mettre en œuvre les politiques correspondantes et de créer un changement véritable.

Emily Mattheisen

Coalition Habitat International – Réseau Logement et Droits Fonciers, un réseau international qui prend en charge la défense, la promotion et la réalisation des droits humains relatifs au logement et à la terre dans les zones rurales et urbaines.
Emily co-coordonne la direction de l’alimentation et de la nutrition en milieu urbain du Mécanisme de la Société Civile du Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale.

Email : emattheisen@hic-mena.org