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Editorial

Construire des systèmes alimentaires durables au-delà du clivage rural-urbain !

Les réflexions autour des relations villes et campagnes ont toujours eu lieu, cependant, avec le contexte actuel marqué par le changement climatique, l’accroissement démographique avec ses défis notamment liés à la sécurité alimentaire, l’emploi et la lutte contre la pauvreté, l’urbanisation galopante, le débat sur les relations villes et campagnes leurs rôles dans les sociétés est de plus en plus agité pour apporter des réponses adéquates aux défis déjà cités.

En effet, avec l’urbanisation exacerbée par l’exode rurale, on assiste à la réduction et à la disparition de plusieurs zones rurales, ce qui perturbe lourdement l’approvisionnement des ménages en produits alimentaires. Selon les projections, d’ici 2050, la surface des villes pourrait tripler et elles regrouperaient 70% des habitants et actuellement, la plus part des villes africaine fait face à une croissance très rapide de leur population, ce qui engendrera une demande alimentaire encore plus importante à satisfaire.

Dans le même sens, avec les enjeux actuels de sécurités alimentaire et d’intensification de la production agricole autour des grandes villes, on assiste à l’émergence d’une agriculture périurbaine très innovante prônant de plus en plus les principes de l’agriculture durable à faibles apports externes et particulièrement de l’agroécologie. Cette forme de production est d’autant encouragée par l’existence d’un grand nombre de consommateurs soucieux d’une alimentation saine et de la préservation des ressources naturelles et de la biodiversité.

Face à tous ces enjeux, il convient de se demander : Comment évoluent les relations villes et campagnes ? Comment l’agriculture peut participer à l’émergence de villes et de campagnes résilientes faces aux défis actuels tels que le changement climatique, l’insécurité alimentaire et le sous emploi ? Comment arriver à mettre en place un système alimentaire performant et inclusif qui rapproche les villes et les campagnes ? Quels systèmes de production agricole aux marges des villes pour un meilleur approvisionnement des consommateurs citadins ? Comment arriver à une bonne mobilisation de la main-d’œuvre ?

Ce numéro 31.2 d’AGRIDAPE veut contribuer à la réflexion sur cette distribution des rôles entre l’espace rural et la ville, également réfléchir à la mise en place de nouveaux systèmes alimentaires pour un meilleur rapprochement entre consommateurs et producteurs.

Des réalités très anciennes et des fonctions diverses

Dans tous les pays africain, le clivage des « villes » et des « campagnes » est apparue avec la colonisation et l’urbanisation n’a fait qu’accentuer le phénomène et a fini par séparer les familles, les communautés en citadins et ruraux. En termes de fonctions, les relations sont établies entre des zones rurales de production alimentaire et des zones urbaines de consommation. Dans ce numéro, Felix Meutchieye analyse ces réalités entre villes et campagnes, il met en évidence les ambiguïtés de ces relations pour analyser l’interdépendance, les services et les échanges entre villes et campagnes. Il nous interpelle également sur les enjeux du transport des produits agricoles. Selon lui, les rapports entre les campagnes et les villes du Cameroun semblent pas livrer de premier abord toute la complexité de leurs trajectoires et perceptions, donc de leurs histoires. Il nous explique à travers l’exemple de la caféiculture dans l’Ouest Cameroun comment la ville et la campagne exercent des influences mutuelles.

La coexistence ville et campagne est vitale pour les populations. Emile Houngbo s’appuie ainsi sur une étude sur l’agriculture urbaine des les villes d’Abidjan et d’Ibadan avec la production de banane au sein des concessions urbaines pour dire que l’agriculture urbaine serait un moyen pour faciliter l’accès des citadins à l’alimentation et qu’il faudrait pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, éviter une urbanisation qui ne sert pas la campagne qui crée des distorsions telles que l’apparition de quartiers spontanés à la périphérie sans aucun plan de développement foncier.

Au-delà du clivage ville campagne

Depuis fort longtemps, avec le clivage rural-urbain, on observe une bicéphalie des espaces et une l’émergence de rôles pour les villes et les campagnes.

Mais, avec des zones rurales de plus en plus vides et des productions agricoles fortement affectées par le changement climatique. En plus du fait que de nombreux producteurs, par défaut de transport de leurs productions, accèdent difficilement aux marchés urbains, de nombreuses familles en zone urbaine restent sans accès à une nourriture abordable, saine et nutritive.

En même temps, les petits producteurs agricoles et leur famille en zones rurales font face à de fortes menaces sur leurs moyens de subsistance en milieu rural. Il est donc vital d’opérer un changement révolutionnaire dans le système alimentaire.

Ainsi, Emily Mattheisen aborde les enjeux de la mise en place de systèmes alimentaires qui intègrent les réalités villes et campagnes, fondé sur une planification urbaine et rurale. Pour cela, il faudrait une implication des collectivités locales, une décentralisation et des directives claires à l’endroit les collectivités locales essentielles à la réalisation des engagements politiques internationaux et des obligations de prendre en considération les droits humains pour appuyer la planification rurale-urbaine intégrée.

Mobiliser la jeunesse et les femmes

L’agriculture urbaine constitue un important levier de développement des villes, elle permet d’absorber les jeunes chômeurs dans les cités. Nous partageons dans ce numéro l’expérience de Dominic Machingura, un jeune urbanagriculteur de Harare qui veut montrer le potentiel de ce mode de production.

Au Bénin, l’ONG Youth Partnership and Agricultural Development (YPAD) œuvre pour faire émerger des confrontations villes-campagnes pouvant favoriser l’engagement des jeunes et des femmes en agriculture. A travers l’initiative « Let’s Be a Farmer – Soyons un Agriculteur » YPAD organise des visites au profit des jeunes citadins pour les initier à l’agriculture.

Avec l’évolution des modes de vie, les populations citadines ont besoin d’une offre plus adaptée à leur style de vie. Les producteurs et les transformateurs doivent alors satisfaire ces exigences pour une durabilité de leur revenu par l’écoulement de produit respectant les normes. Dans ce numéro, nous partageons ainsi l’expérience d’AVI qui accompagne ses membres pour améliorer les conditions de transformation des céréales. Dans son approche, AVI mise sur le renforcement de capacités des femmes transformatrices pour une meilleure offre de céréales transformées.

L’accès aux marchés urbains, un enjeu fort

Un réseau routier et un rapprochement entre consommateurs et producteurs est un enjeu majeur pour ainsi permettre populations d’accéder à des produits agricoles frais et aux producteurs de pouvoir écouler facilement leurs produits et avoir un revenu conséquent.

Aujourd’hui, avec un nombre croissants de consommateurs soucieux de la qualité des produits qu’ils achètent, on observe des dynamiques de reterritorialisation et de diversification de l’activité agricole intégrant les demandes urbaines, une revalorisation de la proximité, des circuits courts considérés comme garants de qualité. C’est la cas au Sénégal où la coopérative Sell-Sellal, appuyée par Enda Pronat, elle organise des marchés itinérants à travers les quartiers de Dakar pour commercialiser des produits issus de l’agroécologie et de l’agriculture bio.

Au Cameroun, les relations villes-campagnes sont parfaitement illustrées par la commercialisation des œufs. En effet, au niveau de la région de Ngaoundéré qui est un carrefour important pour le commerce au Cameroun, les paysans acheminent leurs œufs fermiers par différents moyens et y trouvent des œufs venant des élevages industriels des zones urbaines.

Les zones urbaines étant très propices à la pratique de l’agroécologie sur de petits espaces, c’est ainsi qu’en Afrique de Sud, l’initiative Harvest of Hope ou les « récoltes de l’espoir » fait promotion de l’agroécologie dans les townships. Cette initiative, menée par une ONG local veut contribuer à la sécurité alimentaire et au renforcement des moyens de subsistance des populatiosn vivant des les townships. L’initiative représente aussi un système de livraison de paniers de légumes au Cap en Afrique du Sud.

Vers une agriculture urbaine plus forte !

L’aménagement du territoire constitue un défi majeur pour la durabilité des fonctions et pour permettre un équilibre dans les campagnes, sans oublier le renforcement de l’agriculture périurbaine. En partant de l’exemple de la ville de Dakar et sa périphérie où la production maraîchère représente 30% de la production nationale et occupe de nombreux actifs, intermédiaires et détaillants, Cheikh Tidiane Wade aborde les mutations dues à l’urbanisation et qui affectent les rapports villes campagnes. Selon lui, l’occupation rapide et anarchique des espaces destinés à l’agriculture (Niayes) et à l’élevage et les projets d’aménagement à Diamniadio, notamment la mise en place d’une zone industrielle vont précipiter la déstabilisation des relations dynamiques entre Dakar et son arrière-pays et engendrera une forte réduction des superficies agricoles et par conséquent va accentuer la vulnérabilité des familles pauvres qui ont l’agriculture comme principale activité génératrice de revenus.

Ainsi, dans sa réflexion, le docteur Wade pense que l’idéal serait la mise en place d’éco villages pour réinstaller les familles de producteurs déplacées avec l’aménageant de nouveaux périmètres irrigués avec des eaux retraitées amenées de la ville et enrichis par des composts issus du recyclage des déchets organiques urbains.

Avec les opinions et les expériences partagées dans ce numéro 31.2 d’AGRIDAPE, on s’aperçoit que les relations villes et campagnes sont très complexes dans la mesure où elles évoquent des aspects de plusieurs natures notamment économiques, socioculturels, environnemental, etc.
Pour un bien être des populations et une coexistence durable de ces entités territoriales, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de planification intégrant leurs rôles et leur interdépendance.

L’urbanisation ne constitue ni une solution, ni un indicateur d’émergence des sociétés. Pour des sociétés résilientes, l’agriculture devrait être placée au centre des préoccupations et devrait être hautement considérée dans les plans d’aménagement territorial pour favoriser la mise en place de systèmes alimentaires intégrés. Fort heureusement les politiques et programmes au niveau international prennent en compte ces réalités dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) comme l’explique Emily Mattheisen, « le droit à la ville » est devenu un cadre important dans l’approche de la société civile et des collectivités locales pour la gestion de la ville et de ses arrière-pays ruraux. Cependant la mise en place de systèmes alimentaires durables à travers un lien fort ville et campagne nécessite l’engagement de l’ensemble des acteurs à savoir les consommateurs, les producteurs, mais aussi les collectivités locales ainsi que les acteurs de la société civile.