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Promouvoir l’élevage des chèvres à travers une approche intégrée pour lutter contre la pauvreté au Cameroun

Pour booster le sous secteur de l’élevage caprin au Cameroun, le projet « chèvres au Cameroun » a mis en place une plateforme multi-acteurs d’innovations dont le fonctionnement est basé sur le concept de la « recherche agricole intégrée pour le développement (RAID). L’initiative, pourtant encore dans sa phase de démarrage, connait des résultats probants qui augurent un avenir prometteur pour la filière caprine.

Dans la sous région Afrique centrale, le Cameroun abrite l’une des plus grandes diversités génétiques caprines, allant des chèvres « pygmées », résistantes aux conditions environnementales des zones humides, y compris les trypanosomes, aux énormes chèvres sahéliennes, laitières et au cuir d’une finesse intéressante. Cependant, ce potentiel économique établi déjà par diverses études, tarde à décoller. Les éleveurs ont presque perdu l’espoir de trouver des solutions idoines aux contraintes fréquentes qui pèsent sur leurs entreprises. La confiance aux institutions de formation et de recherche, ainsi qu’aux équipes d’encadrement de l’élevage s’effrite au fil des questions pertinentes. Quelques morceaux choisis : « Nous voyons plusieurs équipes passer chaque années en nous expliquant qu’ils font de la recherche, mais une fois qu’ils ont quitté la ville, on en entend plus parler. Que deviennent les échantillons prélevés ? Ont-ils trouvé ce qu’ils cherchaient ? Quel est l’intérêt pour nous ? »

Le faisceau des intervenants directs s’est distendu et est devenu disparate et inopérant. La plupart des résultats obtenus par des équipes de scientifiques se trouvent dans des publications hors de portée des principaux utilisateurs et des potentiels cadres des ONGs ou d’appui à l’élevage caprin. Le défaut de coordination des projets de recherches caprines vient encore assombrir le tableau.

Intitulé « Appui a l’étude de la diversité génétique caprine comme moyen d’amélioration de la productivité », le Projet pilote initié par Biosciences in eastern and central Africa (BecA- Hub) de International Research for Livestock Institute (ILRI, Kenya), avec le financement du gouvernement suédois, et l’Université de Dschang (Cameroun) mise sur une démarche intégrative et permanente des composantes locales. Le format est une plateforme d’innovation dont le fonctionnement est basé sur le concept de la « recherche agricole intégrée pour le développement (RAID) ».

La RAID, une innovation en matière de vulgarisation agricole

Il s’agit d’une approche multidisciplinaire et participative, mettant à contribution toutes les parties prenantes de la chaîne de valeurs. L’étape de base est l’identification exhaustive et l’implication participative de toutes les parties prenantes. La plateforme d’innovation comme indique son appellation est une stratégie de facilitation des changements, en misant sur des changements psychologiques qui font des acteurs des entités traitant sur base égalitaires, l’expertise commune étant meilleure que la somme parcellaire des résultats individuels. Cette démarche vise donc à faciliter l’accès aux innovations technologiques, aux stratégies de marketing, mais aussi aux évolutions institutionnelles et sociales, pour un meilleur rendu du système agropastoral.

La concertation et l’engagement volontaire, mais représentatif, en sont les moteurs. Au plan opérationnel, la facilitation actuelle est constituée de la paire de 2 experts du Ministère de l’élevage et de l’Université de Dschang. Le responsable du programme national d’appui a l’élevage des petits et la responsable technique du projet assurent l’organisation et le fonctionnement de la plateforme. Au cours des rencontres, il est question de discuter ensemble des contraintes et des obstacles qui freinent le développement de la filière caprine, et d’aboutir à des plans d’action stratégiques permettant de pallier aux problèmes existants, chacun des maillons selon ses compétences.

La plateforme d’innovation « chèvres » Cameroun, un outil au service de la lutte contre la pauvreté

Bien qu’encore dans sa phase de décollage, la plateforme d’innovation du projet chèvres Cameroun résonne déjà de promesses. Elle rassemble des acteurs clés des différents maillons de la filière à travers le Cameroun, à savoir le gouvernement par le biais du ministère en charge de l’élevage (MINEPIA), les institutions de formation et recherche agricoles (Université de Dschang et IRAD), les organisations d’éleveurs de chèvres, les ONGs, les commerçants (maquignons, bouchers), les restaurateurs, les institutions de micro-finance et le monde des médias. Les actions de sensibilisations, mises en place, concernent aussi bien le niveau national, que les échelles régionale et locale.

Selon les cas, ces plateformes peuvent être virtuelles ou physiques, facilitant la communication et l’échange de savoirs-faires entre différents acteurs. La plateforme réunie des personnes capables de mobiliser les petits producteurs qui exploitent plus de 5 millions de têtes. Elle encourage et structure l’appropriation d’une vision commune pour le développement de la production caprine. La première rencontre organisée en Juillet 2013 à l’Université de Dschang, a permis dans un premier temps, de faire un état des lieux global de la filière, faisant ressortir les contraintes et les opportunités liées à l’industrie de la chèvre au Cameroun. Cela a permis aux principaux acteurs, d’exprimer leurs opinions réelles sur la base de la connaissance du terrain. Les axes, en matière de besoins de technologies, d’appui à l’organisation et de changements institutionnels nécessaires, ont été discutés. On évolue maintenant dans un système de recherche-développement intégré.

La valorisation de pratiques innovatrices est aussi identifiée comme un outil important. Il se constitue progressivement des cadres de concertations, facilitant la parole aux producteurs expérimentés qui seront dans la chaîne, les leaders de changement. La planification participative est apparue aussi au départ comme une démarche fondamentale. Les acteurs de la plateforme sont encouragés à s’investir à travers la proposition de plans d’actions trimestriels et leurs mises en application sur le terrain, avec une contribution technique et financière de la part du projet ; les activités menées au sein de la plateforme d’innovation seront également soumises à une évaluation des parties prenantes, afin de corriger les écarts pour les étapes suivantes. Le but du projet étant la réduction de la pauvreté en milieu rural par l’élevage caprin, la responsabilisation des acteurs passe par la consolidation des actions de durabilité. Les bénéficiaires sont au centre du processus de développement, de sorte qu’une fois le projet arrêté, ils soient en mesure de poursuivre de façon autonome. L’autonomie voulant aussi dire la recherche des moyens complémentaires pour le fonctionnement des plateformes à différentes échelles.

L’enclavement, un obstacle majeur !

Pour s’assurer de la pertinence des axes de recherche, il était important de considérer la variabilité des systèmes de productions, reparties dans les 05 régions agro écologiques du Cameroun, allant a l’élevage en claustration entravée, à la divagation permanente et les modèles intermédiaires. Et parfois, il a fallu modifier les approches d’intervention, en tenant compte des problématiques spécifiques pour chacun des contextes. Des ateliers visant à renforcer les capacités des acteurs de la plateforme dans des domaines identifiés par ces derniers eux-mêmes, sont organisés à différents niveaux pour permettre à chacun d’avoir une meilleure participation à la dynamique. Cependant la mise en œuvre de ces activités est souvent rendue difficile du fait de l’enclavement des communautés les plus concernées, tant du point de vue des infrastructures routières que des moyens de communication.

Le projet n’en est qu’à ses débuts et les résultats devraient se traduire en ce qui concerne les plateformes, par un changement global d’attitudes et un renforcement réel des capacités des acteurs, mesurables à travers l’augmentation de la productivité des animaux, et une meilleure organisation de la filière dans son ensemble, se traduisant par l’augmentation des revenus pour les petits producteurs et des acteurs le long de la chaîne des valeurs. Vous disiez que la chèvre est la vache du pauvre ?

Félix Meutchieye, Enseignant-Chercheur, Coordonnateur du Projet Chèvres Cameroun
fmeutchieye@gmail.com

Eliane Stéphanie, Ebodiam Ebouelle, Médecin-Vétérinaire, Assistante Technique du Projet