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Des foires alimentaires traditionnelles pour valoriser les produits locaux au Ghana
Les foires alimentaires traditionnelles constituent à la fois un outil et un espace importants pour la promotion de la souveraineté alimentaire parce qu’elles se déroulent dans le propre milieu de vie des populations et donc dans leur contexte socioculturel.
En 2011, le Center for Indigenous Knowledge and Organisational Development (CIKOD), a organisé une foire alimentaire au cours de laquelle les femmes agricultrices ont présenté leurs productions agricoles et les mets traditionnels dans l’objectif de rappeler aux chefs traditionnels et dirigeants politiques la valeur des aliments traditionnels et leur importance pour la souveraineté alimentaire.
Le paradoxe alimentaire du Ghana
Au CIKOD, l’oiseau Sankofa est un symbole institutionnel. L’image d’un oiseau qui regarde en arrière tout en avançant fait référence à l’idée d’apprendre du passé pour améliorer le présent et le futur. Un des objectifs principaux de CIKOD est de promouvoir la souveraineté alimentaire et, en ce sens, le symbole de l’oiseau est un rappel de l’importance d’apprendre de la production alimentaire traditionnelle dans notre travail d’amélioration de l’accès à l’alimentation et à la sécurité alimentaire dans les communautés.
Au Ghana, plusieurs politiques gouvernementales font actuellement, dans les zones hautement productives, la promotion des cultures de rente destinées à l’exportation, plutôt que celle de la production destinée à nourrir les familles, particulièrement dans les régions du Nord qui sont les plus affectées par les changements climatiques et le déclin de la fertilité des sols. Cela a créé une situation paradoxale où le Ghana enregistre une accélération de sa croissance économique grâce à l’agriculture alors qu’en même temps, l’insécurité alimentaire et la faim augmentent dans les ménages ruraux des régions du Nord.
La foire alimentaire de Lawra
Afin de favoriser la production de vivres pour nourrir les familles, améliorer la diversité des productions agricoles pour la nutrition et réduire les risques causés par les changements climatiques, le CIKOD a organisé une foire des mets traditionnels en juin 2011 dans le district de Lawra. Plus de trois cents (300) femmes agricultrices et des centaines d’hommes et d’enfants des zones traditionnelles de Lawra et Nandom dans la région Upper West ont participé à l’exposition des aliments et des semences locales. Les agricultrices étaient accompagnées des femmes chefs traditionnels.
L’exposition a été précédée par des présentations du ministre régional, du chef du district et du ministre de l’Alimentation et de l’Agriculture. Parmi les autres conférenciers se trouvaient les femmes chefs traditionnels, le chef suprême et LACERD, un partenaire local de CIKOD.
Le ministre régional et le chef suprême se sont remémorés, tour à tour, des aliments traditionnels qui sont maintenant en voie d’extinction.
"Nous sommes conscients que nos produits agricoles et les aliments que nous mangions et qui nous gardaient en bonne santé disparaissent progressivement." Les dirigeants ont exprimé leur soutien à l’introduction des produits traditionnels et des systèmes de production agro-écologique dans le plan national de souveraineté alimentaire.
La coordinatrice de l’Association des femmes agricultrices rurales (RUWFAG), Madame Rebecca Sebri, a décrit en détails les effets négatifs des semences génétiquement modifiées, des engrais chimiques et pesticides sur la santé des familles rurales. Ceci a été corroboré par la représentante du ministère de la Santé, Madame Doris Zieka.
Des femmes de plusieurs villages dans les deux zones traditionnelles se sont relayées interprétant des chansons qui décrivent le manque d’aliments sains et suffisants et les effets négatifs des méthodes de l’agriculture industrielle. Ces chansons spontanées étaient accompagnées de danses et transmettaient des messages forts sur la valeur des aliments traditionnels. Leurs chansons dénonçaient l’usage des semences génétiquement modifiées, des pesticides et des engrais chimiques de même que les effets négatifs qu’ils ont sur la santé de la famille.
L’auteur Linus Kabobah a présenté une nouvelle publication de CIKOD intitulée, "L’agriculture indigène et la sécurité alimentaire dans le district de Lawra". Cette présentation a été suivi d’une dégustation de plus de cinquante mets traditionnels par les dignitaires et le grand public, dont le tuo, bengsaab, tubani, perkpage, gbulyang, bir-neme, nyusaab, piereh, et bien d’autres.
La contribution des productions agricoles traditionnelles à la sécurité alimentaire
Le maïs est l’une des cultures dont on fait actuellement la promotion au Ghana. Bien que sa productivité par hectare soit plus élevée que celle des cultures traditionnelles comme le sorgho, le mil ou l’igname, l’obtention de hauts rendements pour le maïs nécessite une grande quantité d’engrais et des pluies régulières. Cela en fait une culture plus risquée pour les agriculteurs dans les zones arides du Nord du Ghana parce que les engrais coûtent chers. Les précipitations irrégulières et peu fréquentes ont un impact sur le rendement.
L’augmentation de la productivité pour améliorer la sécurité alimentaire doit s’opérer d’une manière durable : les cultures devraient être résilientes au changement climatique, en même temps qu’elles devraient améliorer la nutrition et ne devraient pas requérir d’intrants agricoles coûteux. Les semences et les produits agricoles traditionnels, qui faisaient autrefois partie du régime alimentaire de base au Nord du Ghana, présentaient toutes ces caractéristiques. Leur culture réduit les risques économiques, augmente la santé des sols, économise les rares ressources en eau, maintient la biodiversité, renforce la confiance des agriculteurs en leurs capacités et améliore la nutrition.La réintégration des aliments traditionnels dans le régime des populations rurales est essentielle pour promouvoir la sécurité et la souveraineté alimentaire dans le Nord du Ghana, particulièrement quand elle est combinée à une politique de production basée sur les pratiques agro-écologiques, comme la rotation des cultures, les cultures associées et l’agroforesterie.
Résultats et incidences de la foire de Lawra
La foire a eu pour résultat de renouveler la popularité des mets traditionnels, tout spécialement le tubani, qui étaient autrefois méprisés tout particulièrement par les jeunes. Le directeur du ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture a invité les femmes de RUWFAG à faire une exposition lors de la célébration de la journée des agriculteurs du district tenue en 2011. Elles ont accepté l’invitation, et ont reçu un prix pour leur contribution à la sécurité alimentaire dans leur district. Par la suite, le directeur a invité les dirigeants de RUWFAG à ses bureaux où ils ont discuté de la manière dont les ministères pourraient prendre en compte les projets des femmes dans la planification du district.
Les jeunes de Tanchara, fort du succès des foires alimentaires traditionnelle sont organisé un jeu-questionnaire sur les productions et les mets traditionnels en tant qu’outil éducatif.
La foire a aussi motivé les femmes agricultrices dans les régions traditionnelles de Lawra et Nandom à investir pour augmenter la production des cultures traditionnelles dans leurs champs. Par exemple, les membres de RUWFAG ont mis en place un programme d’épargne et de des prêts offrant des crédits, qui, bien que limités, permettent aux agriculteurs d’acheter des semences et d’engager un certain nombre d’employés pour augmenter la production des cultures traditionnelles. La saison subséquente a vu un doublement de la production des cultures traditionnelles comme le kpur-womeh, piereh, songsogli, etc.
Facteurs de réussite
Le succès des foires alimentaires peut être attribué à plusieurs facteurs.
Premièrement, nous avons suivi le protocole approprié pour impliquer les dirigeants politiques et traditionnels. Deuxièmement, nous avons largement diffusé l’évènement.
Au Ghana, le protocole traditionnel exige que le premier lieu de contact soit le palais du chef, à qui il faut offrir un cadeau symbolique pour montrer sa reconnaissance pour son rôle. Ce fut la première chose que l’équipe de CIKOD a faite lorsqu’ils ont proposé les invitations à la foire alimentaire. CIKOD avait au préalable envoyé une équipe plusieurs semaines à l’avance pour avertir le chef et pognaa de même que le directeur de district (choisi par le président) des évènements planifiés. Cette relation bâtie sur la confiance a été une des raisons qui a permis à CIKOD de convaincre facilement les autorités traditionnelles de participer au programme. Les foires alimentaires ont été tenues dans le contexte socioculturel favorable qui a contribué à mettre tout le monde à l’aise.
L’exposition et la dégustation publique d’aliments traditionnels par les dirigeants politiques et traditionnels tout spécialement les chefs - ont convaincu le grand public de la valeur des aliments traditionnels. Comme le veut le dicton, « ce que les yeux voient, le cœur désire ».La dégustation a convaincu la population de l’importance des cultures traditionnelles et a éveillé des souvenirs pour certains. La pognaa de Lawra, Pognaa Karbo a déploré que « lorsque j’étais jeune fille, le bengvaar et la soupe aux arachides avec kazion-saab était préparés pour alimenter les jeunes hommes qui venaient aider sur la ferme de mon père. Ce régime alimentaire traditionnel leur donnait la force et la vitalité pour travailler fort sur la ferme. Cela a maintenant été remplacé par le riz."
Le programme a fait l’objet d’une grande publicité à la radio, la télévision et dans la presse écrite. C’est là le résultat de nos efforts à construire de bonnes relations avec les médias. Ces publicités contenaient des messages positifs encourageant le gouvernement et la population à supporter les cultures et aliments traditionnels.
Toutefois, le programme a été perturbé par l’arrivée tardive des dignitaires. Ce début tardif a eu pour conséquence un programme plutôt serré par la suite. De plus, certaines femmes n’ont pu participer en raison des problèmes liés au transport.
Conclusions et recommandations
La foire alimentaire s’est avérée être une stratégie efficace pour stimuler une plus grande production et consommation de aliments traditionnelles de même que l’introduction des mets traditionnels dans le programme national de sécurité alimentaire. Ce succès peut être expliqué par le fait que les foires alimentaires traditionnelles sont des espaces ouverts qui permettent la participation de toutes les catégories de personnes. CIKOD a fait usage des connaissances et des ressources locales qui ont renforcé l’appropriation de la foire. Peu après la tenue des foires, des évènements similaires ont été organisés à Ko et Tanchara par les femmes chefs traditionnels elles-mêmes. Dans la plupart des communautés de l’Afrique de l’Ouest, il y a des festivals de remerciements après les récoltes. Ces festivals locaux sont des opportunités extraordinaires d’organiser des foires alimentaires traditionnelles qui éduquent la population sur la valeur des cultures traditionnelles et les moyens de renforcer la sécurité alimentaire.
Center for Indigenous Knowledge and Organisational Development (CIKOD)
En mai 2013, des organisations de toute l’Afrique de l’Ouest se sont réunies au Ghana pour participer à un atelier portant sur l’amplification des solutions agro-écologiques. Cette histoire a été écrite durant l’atelier par CIKOD, le Centre for Indigenous Knowledge and Organisational Development au Ghana. D’autres histoires peuvent être trouvées sur les sites suivants :
http://www.groundswellinternational.org/where-we-work/west-africa/
www.ileia.org