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L’évaluation des politiques agricoles : Nécessité d’institutionnaliser le Suivi-Evaluation des projets de développement agricole et rural

L’économie moderne est caractérisée par l’intérêt porté au développement local. Dans les Pays en Voie de Développement, la promotion des régions, voire des territoires, est devenue une préoccupation stratégique. Les politiques de développement incorporent davantage le volet territorial afin de répondre aux besoins réels des populations. En fait, chaque territoire dispose de potentialités, de ressources et de moyens pour son développement. Au sein de ces territoires, les politiques de développement se déclinent en programmes qui, à leurs tours, se déclinent en projets afin de gérer effectivement les potentialités et les contraintes territoriales. Pour cela, les projets de développement en tant qu’ensemble d’activités, de réalisations programmées dans le temps pour un espace délimité, cherchent à atteindre des objectifs dans le sens d’optimiser la gestion de ces territoires. Or la réalisation de ces objectifs n’est pas toujours une tâche aisée et elle est contingente à plusieurs facteurs et dépend de plusieurs critères. Aussi, gérer un projet de développement revient à concevoir, à programmer, à organiser, à diriger, à orienter et à contrôler l’ensemble des actions à entreprendre ou celles qui sont entreprises. Or, Cette gestion demeure tributaire des moyens utilisés, qu’ils soient financiers ou humains, de la manière dont le projet est conçu et programmé ainsi que des méthodes de suivi et d’évaluation adoptées.

Le S&E, un outil de pilotage des projets

Aussi, faut-il mentionner que le développement du monde rural constitue un impératif stratégique des politiques publiques au niveau des Pays en Voie de Développement. La mise en œuvre de ces dernières, à travers les projets de développement agricole intégré et rural, a pour objectif de valoriser le potentiel agricole, de préserver les ressources naturelles, de contribuer à la réduction de la pauvreté et de la précarité et d’atténuer les disparités inter et intra-régionales. En effet, les objectifs de la plupart des politiques publiques dans les pays en voie de développement visent l’amélioration des conditions de vie des populations et l’éradication de la vulnérabilité et de la pauvreté. En d’autres termes, la mise en œuvre de ces politiques passe par l’exécution des programmes et projets qui sont conçus généralement pour pouvoir garantir un développement durable car toute croissance économique et toute amélioration du niveau de vie des populations pauvres ne peuvent avoir lieu sans qu’il y ait une politique d’atténuation de la dégradation des ressources naturelles. Cette situation ne peut pas se réaliser sans une politique publique ayant pour objectif général une consommation et une production durables.

Par ailleurs, la réalisation de ces programmes de la consommation et de la production durables passe par une bonne identification et une bonne formulation des projets de développement, notamment ceux qui ont pour objectifs l’amélioration des conditions de vie de la population pauvre, la préservation des ressources naturelles et l’accroissement de la production et de la productivité. Pour cela, et comme la déclinaison des politiques publiques en opérations de développement à l’échelle locale par le biais de projets de développement agricole et rural exige le recours au suivi pour assurer une bonne gouvernance, ces projets sont dans la nécessité d’élaborer des systèmes de Suivi et Evaluation pour pouvoir piloter les actions entreprises et voir leurs effets et impacts aussi bien sur la population que sur les ressources naturelles.

Au demeurant, les interventions en matière de politique agricole ne sont pas menées de la même manière. Certaines politiques du secteur primaire, marquées par des projets ayant privilégié les dimensions techniques, ont été remises en cause car leurs interventions ont été jugées lourdes et peu adaptées aux contextes et aux besoins des populations bénéficiaires. De plus, les mises en œuvre de ces opérations techniques n’ont pas abouti à un développement rural permettant d’affronter l’ensemble des problèmes des ménages ruraux. En effet, ces politiques agricoles engagées par le biais de projets de développement n’ont pas généré un développement durable du milieu rural et ne se sont pas traduits par des améliorations sociales, économiques et environnementales.

L’évaluation axée sur les résultats

En matière de gouvernance au niveau de certains projets de développement agricole et rural, les systèmes de Suivi-Evaluation, qui en principe constituent des outils pertinents de gestion entre les mains des décideurs et managers en vue de juger les actions de développement, n’ont pas été institutionnalisés et n’ont pas été retenus comme l’une des principales composantes. La Gestion axée sur les résultats via des indicateurs pertinents faisait défaut. De surcroit, la plupart des gestionnaires de ces projets sont restés au stade de la gestion classique des budgets qui leur ont été délégués annuellement qui ne dépassent pas l’efficacité des actions ainsi que les engagements et les paiements des crédits alloués sans qu’il y ait une évaluation axée sur l’efficience, la pertinence, les effets, les impacts et la durabilité.

De toute évidence, Pour ce qui est du Système de Suivi-Evaluation des projets inscrits dans le cadre des politiques agricoles qui visent réellement à mieux valoriser les potentialités agricoles régionales et améliorer les niveaux de vie des ménages ruraux, en principe et au regard des remarques formulées à ce sujet par plusieurs bailleurs de fonds et organisations internationales (Banque Mondiale, Fonds International pour le Développement Agricole, Banque Africaine de Développement, Union Européenne, Banque Asiatique de Développement, FAO, PNUD, etc.) toute stratégie agricole doit être basée sur un système de gouvernance qui accorde toute la priorité à l’évaluation axée sur les résultats. A cet effet, les documents de toute politique agricole sont appelés à apporter un éclairage sur la mise en place de cet outil de bonne gouvernance durant l’exécution des projets d’investissement au niveau du secteur agricole et à l’échelle de l’ensemble des territoires.

Par ailleurs, les politiques agricoles, dans leur mise en œuvre, s’appuient sur le concept de projet. A cet effet, la littérature abondante dans le domaine de la mise en œuvre des opérations de développement. Cela exige que les opérateurs qui interviennent dans l’exécution des actions soient bien impliqués dans le jargon du management des projets de développement. En effet, les projets retenus après la phase d’identification et de formulation méritent d’être décortiqués davantage en vue de les rendre beaucoup plus adaptés à l’analyse économique et au Suivi - Evaluation des actions à entreprendre selon la durée de chaque projet. Ainsi, des coûts et des avantages sont projetés à l’occasion de la préparation des documents issus de deux phases précitées, des objectifs sont fixés, des résultats quantifiés sont attendus, des activités sont prévues et des moyens humains et matériels sont programmés. Alors, ce qui reste à faire durant la mise en œuvre de ces projets de développement agricole et rural c’est d’opter pour une programmation pluriannuelle dans la cadre des Plans de Travail et Budgets Annuels (PTBA) permettant de faciliter la tâche des gestionnaires et d’instaurer un système de Suivi et Evaluation axé sur les résultats en vue de tester les hypothèses de la phase de formulation, notamment celles ayant trait aux coûts et avantages et celles liées à l’atteinte des objectifs globaux et spécifiques selon les critères clés de l’évaluation à savoir : l’efficacité, l’efficience, l’effet, la pertinence, l’impact et la durabilité.

L’évaluation en tant que démarche qui consiste à corriger et ajuster les changements ou les problèmes probables est une condition sine qua none pour la gestion des projets de développement. En tant que technique, elle permet de faciliter la mise en œuvre des projets. L’évaluation est une démarche qui commence avec le projet de développement, au cours de l’exécution, en fin du projet voire même après l’achèvement dudit projet. Aussi, est-il nécessaire de noter que l’évaluation permet d’apprécier, de mesurer les réalisations et de les comparer avec les objectifs. Donc, cette démarche permet d’ajuster les écarts, de corriger et de réorienter les activités du projet.

En d’autres termes, pour plus de crédibilité des discours officiels en matière de politiques agricoles, la fixation des objectifs chiffrés selon des échéances est certes une bonne chose, mais il ne suffit pas de rester au stade de l’efficacité, il faut aller au-delà et développer la culture d’argumentation et de rendre compte à travers l’analyse de l’efficience des actions, des effets et de l’impact qui en découlent pour ne pas rester prisonnier des vagues intentions même si elles sont parfois quantifiées.

Aussi, faut-t- il dire qu’en général et pendant longtemps, peu d’attention a été portée aux questions de gestion et d’accompagnement des projets. La fonction d’évaluation des programmes et projets a été souvent improvisée et non intégrée au sein des unités de gestion ou de coordination, ce qui a rendu la mission de pilotage difficile. Il manquait trop souvent à ces projets de développement agricole et rural une définition claire et précise des objectifs à atteindre conçus dans un Cadre Logique Axé sur les Résultats (CLAR). Ces projets se contentaient donc de déclarations d’intentions très vagues sans recourir à l’utilisation d’indicateurs focalisés sur les effets et impacts. Il semble que pour certains projets, il y a déjà un effort qui a été déployé en matière de quantification des objectifs.

Renforcer la participation des acteurs à travers un SSEP

Ce qui est souhaitable, pour accompagner ces projets durant leurs différentes phases liées à leur cycle de vie, c’est de se concerter sur un système de Suivi-Evaluation axé sur les résultats en impliquant toutes les parties prenantes auxquelles est accordée la responsabilité de réussir les réalisations du projet. A cet effet, la participation des acteurs de développement, considérée comme une approche très recherché en management des projets, doit s’étendre à toutes les phases du cycle du projet, c’est-à-dire, qu’elle ne doit pas rester limitée au stade de l’identification. Sa mise en œuvre doit concerner aussi toutes les catégories de partenaires à l’occasion de l’exécution des actions de développement afin d’assurer leur durabilité et améliorer le niveau de vie des membres ménages bénéficiaires. Bien entendu, cette façon d’agir doit concerner aussi les différentes formes d’évaluation (Ex-ante, mi-parcours, terminale et Ex-Post ou d’impact) à travers l’instauration d’un Système de Suivi-Evaluation Participatif (SSEP) dans lequel il faut intégrer les acteurs de développement au niveau de la zone d’action du projet. D’une manière générale, ce qui est recherché à travers le SSEP c’est d’arriver à une situation marquée par un système préparé par et pour les différentes catégories d’acteurs qui doit prendre en considération leurs besoins spécifiques et non seulement ceux du maitre d’ouvrage, du maitre d’œuvre ou du bailleur de fonds.

De plus, le système de suivi-évaluation à élaborer doit être en mesure d’accompagner les acteurs de base et les intervenants chargés de l’exécution pour pouvoir analyser ensemble les enseignements à tirer des expériences menées sur le terrain, dégager les raisons des réussites et des échecs, et par conséquent, sortir avec des conclusions et des recommandations sur les améliorations et sur les insuffisances à travers les critères d’efficacité, d’efficience, de cohérence, d’effet, d’impact et de durabilité en vue d’accroitre le degré des réalisations des opérations futures de développement.

Donc, afin de permettre aux politiques agricoles d’atteindre leurs objectifs escomptés qui sont généralement déclinés dans les documents des projets, la mise en place d’un Système de Suivi-Evaluation Participatif s’impose et s’avère d’une importance capitale pour pouvoir effectuer les ajustements et les remises en cause nécessaires en cours d’exécution des projets sur des espaces en perpétuelle mutation. Ce système consiste à corriger les effets des contraintes techniques, financières, économiques, sociales et institutionnelles insuffisamment appréhendées lors des phases d’identification et de formulation des projets. De surcroit, ce système de Suivi-Evaluation servira également d’outil pour capitaliser les expériences des projets de développement agricole et rural déjà mis en œuvre pour pouvoir identifier les bonnes mesures de correction à prendre dans le but de favoriser l’échange des connaissances pratiques et le partage des éléments d’apprentissage, et partant, renforcer les effets et les impacts des actions de développement à entreprendre au niveau des interventions futures en vue de contribuer à la réduction de la vulnérabilité et de la pauvreté des communautés rurales pauvres.

Evaluation qualitative et quantitative

Par ailleurs, le suivi des réalisations physiques et financières, considéré comme le premier niveau de données à collecter pour l’évaluation, permet de maitriser l’efficacité et l’efficience des actions du projet, et par voie de conséquence, de rectifier au moment opportun certains dysfonctionnements constatés. Mais l’autre volet du Suivi-Evaluation relatif à l’évaluation quantitative et qualitative est également d’une importance essentielle dans la mesure où elle constitue une activité incontournable dans tout Système de bonne gouvernance qui est axé sur les résultats car elle vise, entre autres, à remonter les effets, les impacts ainsi que les appréciations des bénéficiaires sur les actions entreprises et sur ce que leur apporte le projet en termes d’amélioration des niveaux de leurs conditions de vie.

A cet effet, des enquêtes agro-économiques de référence doivent être réalisées durant l’exécution de la première année du projet, ou bien avant le démarrage de l’exécution, en vue de dégager la situation socio-économique de la population cible à l’aide d’indicateurs pertinents. Les résultats de ces enquêtes de référence vont servir de ligne de base pour faciliter les suivis et pour pouvoir effectuer des comparaisons avec les niveaux des mêmes indicateurs qui sont à relever d’une manière régulière par les responsables des actions sur le terrain ou au moyen d’enquêtes et entretiens qui sont à effectuer périodiquement à l’occasion des évaluations à mi-parcours, terminales ou ex-post dans l’objectif de préparer des informations qualitatives et quantitatives sur les résultats des produits ou services fournis au bénéficiaires et sur les réactions de ces derniers. Les indicateurs qui sont évoqués à l’occasion de chaque forme d’évaluation trouvent leur origine au niveau du cadre logique axé sur les résultats qui constitue un instrument très utile pour le suivi – évaluation des projets de développement.

Donc, à la lumière de ce qui précède, ce qui est recherché au moment de la phase de mise en œuvre de toute politique agricole, c’est l’obligation d’institutionnaliser le Système de Suivi-Evaluation de ses projets de développement. Cet outil de pilotage et de bonne gouvernance, qui s’inscrit dans l’essence même du principe de redevabilité à l’égard des acteurs locaux de développement, doit être axé sur les résultats, sur les effets et sur l’impact et non seulement sur l’efficacité ou sur l’efficience, critères d’évaluation certes, mais qui ne peuvent renseigner ni sur l’état d’atténuation de la dégradation des ressources naturelles ni sur l’amélioration des niveaux de vie des membres constituant les ménages ruraux.

Mohammed BEN HAFOUNE

Ingénieur d’Etat en Agro-Economie

Laboratoire de recherche : « Dynamique des milieux
arides, aménagement et développement régional »
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Université Mohammed Premier

benhafoune@yahoo.fr