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Expériences de la fumaison et de la commercialisation du poisson dans l’environnement urbain de Douala
Les conditions de vie en milieu urbain se détériorent de plus en plus. Les mutations économiques, notamment le développement du secteur informel, offrent de nouvelles opportunités. Dans le domaine agricole, la transformation en général, celle des produits halieutiques en particuliers, apparaît comme un secteur lucratif pour l’amélioration des conditions de vie dans la ville de Douala. La zone côtière du Cameroun (notamment Douala) est caractérisée par d’intenses activités de pêche et autres activités connexes. Une vaste gamme de produits halieutiques est vendue à l’état frais ou transformé. Les populations naissent et vivent dans la culture de l’eau et de ses produits. Tout tourne autour du poisson et le célèbre marché de Youpwé en est la vitrine.
Le poisson, une source de protéine animale prioritaire
Le poisson est la source de protéine la plus accessible aux populations surtout les plus défavorisées (Diomandé, 1992). En 2001, la consommation des ménages en poisson et produits de la pêche était estimée à plus de 182 milliards de FCFA. D’après Ngok et al. (2005) les produits de la pêche contribuent pour 25,5% des apports en protéines dans l’alimentation des populations au Cameroun. La consommation moyenne de poisson par tête et par an est de 17,9 kg contre 13,07kg pour la viande. Personne n’ignore le « mbounga », poisson fumé largement utilisé dans une vaste gamme de recettes camerounaise. Sous sa forme fumée, le poisson constitue une source de nutriments.
Le fumage : une activité qui valorise les matériaux locaux
Les pertes post capture de poisson frais sont principalement dues à l’insuffisance des infrastructures de stockage. La transformation de poisson est une vielle pratique au Cameroun. Elle est surtout dominée par le fumage et le séchage, qui permettent de transformer 75 à 80 % des débarquements et participent à hauteur de 16,8 milliards à l’économie nationale (Ngok et al, 2005). La transformation du poisson est une activité très étendue dans les sites de production de Douala et dans plusieurs autres localités drainées par des cours d’eaux.
Le fumage est une technique de stabilisation et de conservation qui combine l’action de cuisson au feu avec l’imprégnation du poisson par la fumée. Le fumage est rudimentaire. Il s’effectue généralement au feu de bois ouvert sous une claie sur laquelle le poisson est étalé. Dans les sites de Youpwé comme à Mambanda, d’un ménage à un autre, le schéma est le même. Dans la cours ou derrière la maison, un vieux fût, noirci par la fumée du matanda ou du Sapeli, est posé sur un support recouvert de charbon ou de cendres. En général, les fours et les claies sont réalisés en matériaux disponibles sur place (planches, argile, fut métallique) ou de récupération comme le grillage et les tiges de bois. A Bonassama, les fumoirs sont plus améliorés. Quatre types de fumoirs sont utilisés par les ménages des trois sites de production. Il s’agit du fumoir simple à base de fût ou de section de fût de 200 litres, du fumoir simple en parpaing, du fumoir simple monté sur piquet, du fumoir amélioré type « altona ». Chacun des fumoirs répond aux besoins du ménage qui valorise au mieux les ressources disponibles.
Les femmes, principales actrices dans les activités de fumage
Des 18 unités de fumage rencontrées dans tous les sites de productions réunis, 17 sont de type familial. Les femmes en sont les principales responsables. Elles interviennent, accompagnées par leurs enfants, à tous les niveaux du processus de transformation (achat, nettoyage, fumaison). Généralement mariées ou veuves, elles ont pour la plupart un âge compris entre 31 et 50 ans. Leur niveau moyen d’instruction n’excède pas le secondaire (moins de 10% d’entre elles ont atteint le secondaire).
Espèces fumées
Plusieurs espèces de poisson sont transformées dans la ville de Douala. Le choix de ces espèces est fonction de leur morphologie, de la qualité du fumoir et surtout du marché visé. Ce sont 15 espèces de poissons de mer que nous avons identifiées. Le tableau 1 en est un récapitulatif.
Tableau 1 : Produits fumées, lieu d’écoulement prioritaire et nombre d’unités
impliquées
(*)DY=Douala-Youpwé (Douala IIe), DB=Douala-Bonassama (Douala IVeA), DM=Douala-Mambanda (Douala IVeB)
Il existe une géographie des espèces fumées à l’intérieur même de Douala. Certains produits sont exclusivement commercialisés en zone péri urbaine (Souza) tandis que d’autres s’écoulent sur le marché de Douala ou exportés. Le choix des espèces est hautement stratégique. Les producteurs s’arriment aux exigences du marché ciblé. La demande dans la ville de Douala est constituée par des personnes au pouvoir d’achat relativement élevé, tandis que le poisson vendu à Souza (ville périphérique de Douala) a pour cible un marché constitué par des personnes moins nanties.
Une activité hautement rentable
La transformation du poisson par fumaison est une activité pénible. Il faut faire face au désagrément de l’irritation par la fumée. Le traitement d’une quantité importante de poisson n’est pas une tâche aisée. Toutefois, l’activité semble valoir son pesant d’or. Le tableau 2 qui suit est le résultat d’une enquête des unités de fumage.
Tableau 2 : Coût total, marge bénéficiaire et ratio bénéfice-coût du fumage par fournée
(*) PVM=Prix de Vente Moyen, PAM=prix d’achat Moyen, B=Marge Bénéficiaire, R= Ratio Bénéfice-Coût
Bien que statique, l’analyse de l’indicateur de rentabilité (Ratio Bénéfice-Coût) justifie l’intérêt du fumage de poisson pour ces nombreuses femmes.
Théoriquement, un produit ou une activité est rentable si son ratio Bénéfice-Coût est supérieur à 1. Sur cette base, la conclusion est évidente. Le fumage du poisson est une activité rentable. Toutefois, la rentabilité financière ne témoignant guère d’une véritable amélioration des conditions de vie, il serait tout à fait légitime de s’interroger sur l’impact réel sur différents aspects du bien-être (scolarisation, santé, alimentation par exemple). Le rythme d’écoulement du poisson est en moyenne de 100 kg (toutes les espèces confondues) par mois et par unité de fumage à Bonassama et à Youpwé. La performance étant meilleure chez celles en possession des fumoirs de bonne qualité. Le ratio R moyen étant environ 3, cela implique qu’avec une marge bénéficiaire de 3000 Fcfa/kg, chacune des femmes obtient en moyenne 300 000 Fcfa chaque mois. D’après leur témoignage pendant les enquêtes, l’activité de fumaison permettrait à ces femmes de subvenir, seules, aux besoins de leur famille. Leur ménage est aussi à l’abri du coût élevé des protéines d’origine animale. L’autoconsommation d’une partie de leur production constitue une épargne indirecte non négligeable et améliore la ration alimentaire du foyer.
Plus qu’une simple activité de survie, passagère, le fumage du poisson peut être considéré comme un emploi permanent bien rémunéré. Au moins deux fois par semaine, ces femmes, dont le fond de teint est bronzé par la fumée, tirent de ce vieux fût perché sur des pierres et placé dans la cours ou derrière la maison, les solutions aux problèmes de leur ménage. Profitant de l’abondance du bois tiré de la mangrove périphérique, elles donnent au poisson frais une valeur ajoutée économique et alimentaire. Il n’en demeure pas moins qu’après analyse la question de la durabilité de ces activités se pose. La mangrove semble menacée et les activités de fumage de poisson sont, au premier chef, pointées du doigt. Toutefois, la question se poserait moins fort si les fumoirs étaient améliorés.
Nyebe Mvogo Idriss Gabriel, Ingénieur Agro Economiste
Meutchieye Felix, Ingénieur Agronome Zootechnicien
Fon Dorothy Engwali, Economiste
Chercheurs – Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles, Université de Dschang, Cameroun
Bibliographie
Diomandé, L., 1992. Traitement et commercialisation du poisson au Cameroun. FAO. Extrait de http://www.fao.org.
Ekomy, A.S., Bruneau, D., Sébastian, P., Rochery, V. 2005. Conception et dimensionnement d’un fumoir à poisson autonome pour les pays côtiers in Récents progrès au génie des procédés. Numéro 92. Paris, France.
GRET.1993. Conserver et transformer le poisson. ISBN : 2-86844-053-3, Edition GRET.
Ngok, E., Ndjamen, D. et Dongmo, J.V. 2005. Contribution économique et sociale de la pêche artisanale aux moyens d’existences durables et à la réduction de la pauvreté. Rapport provisoire. 45 p.