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Entretiens-portraits avec femmes promotrices de l’agroécologie

Travaillant selon les principes de l’agroécologie, les femmes du monde entier appliquent de nouvelles pratiques novatrices dans l’alimentation et l’agriculture. Le magazine AGRIDAPE partage ici le portrait de trois femmes africaines, paysannes et leaders du mouvement en faveur de l’agroécologie. Elles partagent ici leurs points de vue, notamment sur l’agriculture durable.

Mariama Sonko, agricultrice au Sénégal

« Nous sommes la solution »

« En tant que paysannes, nous rejetons l’agriculture qui pollue avec des produits chimiques, des pesticides et des OGM. C’est un combat difficile parce que nous avons peu de ressources pour lutter contre les multinationales. « Nous sommes la solution » est une campagne menée par les femmes rurales, comme moi, du Sénégal, du Burkina Faso, du Mali, du Ghana et de la Guinée. Notre vision est de promouvoir les connaissances ancestrales et de mettre la pression sur notre gouvernement pour qu’il prenne au sérieux la préservation de notre agriculture paysanne.
L’agroécologie protège tous les êtres vivants et prend en compte la dimension sacrée de la nature. Ce sont les femmes qui préservent les semences - l’âme de la population paysanne. Nos semences sont anciennes, et chacune d’elle est liée à un certain terroir. La pratique traditionnelle de la sélection des semences préserve l’environnement et entretient la biodiversité, tout en utilisant nos ressources qui sont abordables et accessibles. Pour y parvenir, nous menons également des campagnes pour que les femmes accèdent à la propriété foncière et nous expliquons aux hommes pourquoi cela est important.
Au Sénégal, « Nous sommes la solution » a établi une plateforme de 100 associations communautaires. Nous avons maintenant un champ-modèle et un magasin où nous vendons les produits issus de ce champ. Les femmes de notre mouvement font la promotion de l’agroécologie et de la souveraineté alimentaire comme étant le seul système viable pour une vie saine et un environnement protégé. »

Esther Malya, agricultrice et éleveuse en Tanzanie


« L’agroécologie est une façon de produire de la nourriture culturellement acceptable »

« Je suis agricultrice, leader, formatrice et mère. Je dispose d’uneparcelle d’un peu plus d’un hectare où je cultive de la nourriture et pratique l’élevage.
Je suis membre du conseil de MVIWATA, une organisation faîtière nationale qui unit les petits exploitants agricoles de la Tanzanie. Au niveau de MVITWATA, les femmes se réunissent pour discuter des problèmes liés à notre société patriarcale, à l’autonomisation des femmes, à la santé, à la famille et à l’agriculture. Nous prônons également l’agroécologie en tant que solution pour utiliser les ressources disponibles dans notre environnement afin de produire de la nourriture culturellement acceptable. L’agro-écologie nous évite la dépendance à l’égard des grandes entreprises qui vendent des engrais et des produits chimiques toxiques. Nos mécanismes d’épargne et de crédit constituent un énorme soutien pour les femmes agricultrices, car ils nous permettent d’envoyer nos filles à l’école.
Le plus grand défi auquel nous sommes confrontées aujourd’hui est la sensibilisation limitée aux pratiques écologiques et le manque de terres des petits exploitants. Nous sommes absolument contre la promotion actuelle des produits hybrides et OGM et la dépendance qui en découle. Aussi en appelons-nous à notre gouvernement pour qu’il déclare la Tanzanie exempte de ces technologies, et nous encourageons les agriculteurs à utiliser les semences indigènes et les races locales, qui sont facilement disponibles, fiables et abordables. Maintenant que nous sommes très bien organisées, le gouvernement commence à nous écouter. »

Elisabeth Katushabe, éleveuse en Ouganda

« Grâce aux vaches Ankole, je peux produire ce qui est convenable pour moi »

« J’élève des Ankole Longhorns traditionnelles, une race de vache forte adaptée à l’environnement difficile de mon pays et résistante aux maladies tropicales. Elle n’a pas besoin d’antibiotiques, contrairement aux vaches Frisonnes Holstein qui sont populaires ici. Traditionnellement, les femmes Bahima ne possédaient pas de bétail ou de terres, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui pour certaines femmes. Les hommes traient les vaches, les conduisent au pâturage et à l’abreuvoir. Les femmes collectent le lait et décident de la quantité à boire pour chaque membre de la famille. Nous transformons le lait pour faire du beurre. Nous connaissons les noms de toutes les vaches laitières, nous pouvons identifier une vache malade, nous prenons soin des veaux, nettoyons leurs étables et coupons l’herbe pour les nouveau-nés.
Mon approche de l’élevage de la race Ankole Longhorns est une forme d’agroécologie : elle me permet d’élever mon bétail dans les prairies de la savane de l’Ouganda avec toute sa biodiversité. Mon bétail vit en troupeau comme une famille, ils s’accouplent naturellement et mes veaux tètent leurs mères.
En tant que femme, c’est ça la vie. Je peux gérer mon bétail facilement car la race Ankole est de nature calme. Avec les vaches Ankole, je ne suis pas obligée de me spécialiser soit dans le lait, soit dans la viande, mais je peux produire ce qui est le plus approprié pour moi et ma communauté. Et j’espère que les autres vont respecter mes droits en tant qu’éleveuse et apprécier mon rôle et ma contribution à l’économie et à la sécurité alimentaire. »

Entretiens réalisés par Simone Adler, Beverly Bell, Sarah Hobson, Janneke Bruil