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Mozambique : des femmes paysannes s’approprient l’agroécologie

Grâce à des pratiques agricoles de leurs communautés, les femmes paysannes au Mozambique réussissent à mettre en place un modèle agroécologique qui remet en cause la production alimentaire industrielle à grande échelle. Elles s’insurgent également contre l’accaparement des terres, une tendance qui menace de chasser les agriculteurs locaux de leurs terres. De par cette action, ces femmes placent le Mozambique sur la voie du développement durable, tout en renforçant leurs positions, dans la défense des semences paysannes et le soutien pour une nourriture locale saine.

Les pratiques agroécologiques ont toujours fait partie de la vie sociale et culturelle des communautés rurales du Mozambique. Pour renforcer ces pratiques face à l’agriculture conventionnelle et industrielle, l’UNAC (Union des Paysans du Mozambique) s’est engagée, depuis plusieurs années, à la promotion des pratiques de l’agroécologie, telles que la conservation des semences paysannes et les systèmes locaux de production alimentaire. Les femmes jouent un rôle clé dans les initiatives de l’UNAC.

Les veuves au service d’un système sain

Le village de Namaacha est situé dans la province de Maputo, à la frontière du Swaziland. Dans cette zone, la plupart des denrées alimentaires sont importées du Swaziland et d’Afrique du Sud. En conséquence, Namaacha était toujours inondé de produits alimentaires étrangers cultivés avec beaucoup de produits chimiques.

La donne a changé lorsque les femmes ont commencé à s’organiser en associations de productrices locales, avec la création de l’Association des productrices de fraises de Namaacha (APMONA), composée essentiellement de veuves et de leurs familles.

Quand un père de famille meurt, il laisse derrière lui une grande responsabilité à sa femme, qui doit prendre soin de la famille, nourrir les enfants, garder la maison, envoyer leurs enfants à l’école et produire de la nourriture en travaillant la terre. Les veuves membres de l’Association ont l’agriculture comme principale activité économique (et dans de nombreux cas leur unique activité) pour prendre en charge la famille. Elles ont décidé de produire leur nourriture en adéquation avec les principes agroécologiques.

Leur production agro-écologique est basée sur un modèle de parcelles individuelles et communautaires. Au sein des parcelles communautaires, une partie de la production va à chaque membre et sa famille, et l’autre partie est orientée vers le marché local de Namaacha. Le système de machamaba (champ) collectif représente un espace d’apprentissage mutuel et permet ainsi aux paysans de partager leurs connaissances entre eux.

Avec le soutien de l’UNAC, les femmes ont introduit un système de diversification des cultures dans la région, et ont commencé à cultiver l’oignon, la tomate, le chou, la laitue et les carottes. Auparavant, les femmes produisaient uniquement des fraises, qu’elles vendaient à Maputo. Maintenant, elles produisent de nombreuses cultures variées en utilisant de l’engrais bio, du compost et des techniques basées sur la biodiversité.
Le principal engrais utilisé est la bouse de vache et le paillis de foin qui est étalé pour éviter les mauvaises herbes et maintenir l’humidité du sol. Rosa Jorge Obete, co-fondatrice d’APMONA, affirme que depuis qu’elle est passée à l’agroécologie, elle est parvenue à économiser plus d’argent dans la production, surtout depuis qu’elle évite les coûts des produits chimiques. « Ce système m’a permis de mettre mes enfants à l’école et m’aide dans les dépenses quotidiennes. Nous sommes maintenant en mesure de gérer nos dépenses. Nous vivons bien, pas comme avant », dit Obete.

Pour la défense des droits à la terre et des moyens de subsistance

L’initiative d’APMONA est née dans un contexte de lutte et de résistance. Au cours des dernières années, le Mozambique est devenu un terrain de prédilection pour l’accaparement des terres à des fins de production forestière, de développement du tourisme, ou de l’agrobusiness, cette dernière étant la nouvelle tendance au Mozambique. L’agrobusiness produit des spéculations destinées généralement à l’export et qui sont étrangères à la communauté locale, telles que le soja, le maïs et la canne à sucre, pour satisfaire les besoins d’autres pays, en termes de produits alimentaires, d’aliments du bétail et de biocarburants, au lieu de satisfaire les besoins alimentaires de la population locale. Étant donné qu’au Mozambique la terre appartient à l’État, des grandes superficies de terres sont attribuées à des sociétés étrangères pour une période de 50 ans et renouvelables pour 50 autres années. Dans ce pays, l’agriculture pourrait bientôt devenir un secteur tiré par les grandes entreprises, où les paysans locaux se verront déposséder de leurs terres, contraints au déplacement et privés de leurs moyens de subsistance et du lien culturel ancestral à la terre.

L’UNAC résiste à ces tendances en proposant des alternatives au système dominant. Les femmes de l’UNAC se réunissent régulièrement en assemblée pour discuter des défis auxquels elles ont à faire face et élaborer des stratégies de riposte à mener pour la défense de leurs terres et de leurs moyens de subsistance.
A travers cette assemblée, les femmes paysannes ont lancé un défi au gouvernement et ont organisé des manifestations et des marches à travers l’Afrique du Sud pour demander des comptes aux décideurs politiques.
L’Assemblée des femmes rurales a également été active dans la collecte, l’amélioration et la conservation des semences indigènes. Ces actions doivent être perçues comme une forme de résistance à l’hégémonie du « discours du développement », servi par des initiatives telles que l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique (AGRA) et la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle.

L’agroécologie basée sur des méthodes de production communautaires, l’agriculture paysanne est en définitive plus inclusive, plus durable, plus équitable et plus stable que tout autre mode d’exploitation agricole. Elle favorise l’autonomie des femmes rurales, garantit les moyens de subsistance des générations futures et assure la souveraineté alimentaire au niveau communautaire et national. Enfin, l’agroécologie placerait définitivement le Mozambique sur la voie du développement durable, avec son lot d’avantages : soutien aux femmes productrices, défense des semences indigènes, protection de l’environnement et appui à la production d’aliments bio locaux.

Boaventura Monjane
Doctorant
Ancien Chargé de communication à La Via Campesina (UNAC-Maputo)
Email : boa.monjane@gmail.com