Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Résultats du projet de recherche AMMA-2050 : pour l’ intégration de (...) / Courbes IDF, un outil d’aide au dimensionnement d’ouvrages hydrauliques à (...)

Courbes IDF, un outil d’aide au dimensionnement d’ouvrages hydrauliques à Ouagadougou

Dans cette note technique est proposé un modèle de courbes intensité-durée-fréquence (IDF) pour la ville de Ouagadougou afin de fournir un outil d’aide au dimensionnement d’ouvrages hydrologiques et hydrauliques. Les résultats obtenus ouvrent des perspectives d’application pour d’autres sites et villes d’Afrique de l’Ouest.

Le risque inondation : un problème majeur au Sahel

Au Sahel, les deux dernières décennies ont vu une augmentation exponentielle des dommages liés aux inondations, dans une région pourtant réputée pour ses sécheresses. Les populations sahéliennes sont de toute évidence de plus en plus vulnérables aux inondations du fait de la forte croissance des population notamment dans les villes, qui favorise l’habitat informel en zones inondables (Tarhule 2005 ; Di Baldassarre et al. 2010 ; Tschakert et al. 2010). Mais il existe également une augmentation avérée de la fréquence et l’intensité des orages intenses dans la région (Panthou et al. 2014a ; Taylor et al. 2017) qui, ajoutés à la dégradation des sols (Descroix et al. 2018), accentuent les inondations locales et les crues de rivière (Wilcox et al. 2018).

La protection contre les inondations est donc devenue un enjeu majeur au Sahel pour les décideurs et gestionnaires des risques liés à l’eau.

Deux principaux leviers existent pour réduire le risque inondation : la gestion réglementaire qui vise, à travers la mise en place de plans de prévention, à réduire l’exposition des populations ; la gestion structurelle qui vise, à partir d’aménagements hydrauliques, à réduire les effets de l’aléa naturel liés aux fortes pluies et aux crues. Au Sahel, la mise en place d’une gestion structurelle adaptée est rendue difficile par le manque de données et d’outils d’aide au dimensionnement d’ouvrages hydrauliques.

Dans cette note, on présente une approche qui permet de mieux exploiter les données de précipitations disponibles au Sahel pour élaborer des courbes intensité-durée-fréquence qui sont un outil très demandé pour l’aide au dimensionnement des ouvrages hydrauliques.

Dimensionnement d’ouvrages et pluie de projet

Les ouvrages hydrauliques permettant de gérer les écoulements issus des eaux pluviales reposent sur le contrôle du cheminement des écoulements via des canaux, la limitation de surverse par des digues ou le stockage temporaire des écoulements avant rejet superficiel ou dans le sol par infiltration.

Dans les deux cas, le dimensionnement des ouvrages repose sur la définition d’une pluie de projet. Cette pluie, généralement fictive, est définie par un hyétogramme synthétique qui représente l’intensité de la pluie sur une durée donnée. Une fréquence statistique, exprimée le plus souvent en période de retour , est affectée à la pluie de projet et dépend des objectifs de protection visés.

Pour une fréquence (ou période de retour) donnée, les caractéristiques d’une pluie de projet dépendent de la durée de la pluie, l’intensité maximale de la pluie et la hauteur totale de la pluie.
La durée est généralement fixée par rapport au temps de concentration du bassin versant drainé par l’ouvrage. Cette durée peut être courte (quelques minutes à quelques heures) pour les petits bassins versants ruraux et en milieu urbain.

Les courbes IDF

Les courbes IDF (Intensité–Durée–Fréquence) représentent l’évolution de l’intensité de la pluie iT(d) en fonction de la durée d de la pluie (généralement de quelques minutes à quelques heures) et de la fréquence de la pluie exprimée en période de retour T (souvent quelques valeurs échantillonnées entre 2 et 100 ans). Elles sont donc une composante majeure de la construction des pluies de projet.

Leur élaboration repose sur l’analyse statistique des intensités de pluie extrêmes à partir de séries de mesures pluviométriques.

Afin de limiter les biais et fournir une estimation robuste, cette analyse requiert des données infra-journalières de qualité (non erronées, avec peu de lacunes) enregistrées sur une période suffisamment longue pour échantillonner des événements rares.
Les mesures issues de stations pluviométriques in-situ sont, à ce jour, les plus à même de présenter ces spécificités et sont donc le plus couramment utilisées pour estimer les courbes IDF.

Contexte d’élaboration des courbes IDF pour Ouagadougou
De manière générale au Sahel, deux facteurs rendent l’analyse fréquentielle des extrêmes et donc l’estimation des courbes IDF plus ardue que dans les zones tempérées : (i) la très forte variabilité spatio-temporelle des systèmes pluviométriques qui accentue les effets d’échantillonnage, diminue la robustesse d’estimation des courbes IDF et accentue les imprécisions d’estimation, (ii) la faible disponibilité ou accessibilité de chroniques de pluies longues à des échelles infra-journalières.

Ces deux contraintes limitent la simple possibilité d’estimer les courbes IDF ou de le faire de façon robuste. Dès lors, la qualité d’estimation de courbes IDF dans la région est largement conditionnée par la possibilité : (i) de collecter de la donnée pluviométrique infra-journalière sur une période de temps suffisamment longue, (ii) d’utiliser des méthodologies statistiques capables d’absorber au mieux les effets d’échantillonnage.

Atouts

Les courbes intensité-durée-fréquence (IDF) proposées présentent de nombreux atouts. Elles comblent d’abord un manque pour les études hydrologiques car elles n’ont, à notre connaissance, encore jamais été produites au Burkina Faso.

Deuxièmement, les courbes sont estimées de façon très robuste car elles reposent sur des séries de précipitations longues disponibles sur la période 1950-2014 au Burkina Faso. Elles résultent de l’application des méthodologies statistiques les plus récentes et performantes en la matière.

Elles présentent également certaines limites dont il faut avoir conscience lors de leur utilisation :
- elles reposent sur une hypothèse de stationnarité du climat sur leur période de calibration 1950-2014. Cette hypothèse est éminemment fragile compte tenu de la forte variabilité décennale des précipitations dans la région ;
- leur validité pour le dimensionnement de structures de durée de vie multi-décennale peut également être mise en cause du fait de l’intensification récente des précipitations qui va vraisemblablement se prolonger au cours des décennies à venir.

Alors que les chercheurs du programme AMMA2050 travaillent à l’élaboration de courbes IDF adaptatives capables de prendre en compte les tendances climatiques, on peut utiliser ces courbes IDF comme première estimation des ordres de grandeur des valeurs pluviométriques à retenir pour les études de dimensionnement hydrologiques et hydrauliques.

Méthode d’élaboration

A notre connaissance, il n’existe aucune chronique de pluie infra-journalière suffisamment longue sur laquelle on pourrait s’appuyer pour ajuster des courbes IDF sur Ouagadougou. On dispose en revanche, grâce au maintien du réseau national opérationnel par la Direction générale de la météorologie du Burkina Faso, de chroniques de pluie journalières très longues qui permettent d’estimer à ce pas de temps, de façon relativement précise, les valeurs de pluie pour différentes périodes de retour.

L’élaboration de courbes IDF proposées par le projet AMMA-2050 repose ainsi sur la combinaison d’analyses statistiques issues des chroniques de pluie journalières disponibles au Burkina Faso et incluant la ville de Ouagadougou, et de lois statistiques qui décrivent l’évolution des intensités de pluie infra-journalières en fonction de la durée de pluie estimées (lois de changement d’échelle temporelle) sur d’autres zones d’études sahéliennes.

Nos recherches ont en effet montré que les lois de changement d’échelles temporelles étaient très similaires entre différentes régions sahéliennes (évaluées au Sénégal et Niger) et que les courbes IDF différaient par un décalage des valeurs d’intensité qui peut être estimé en première approximation à partir des données journalières (Panthou et al. 2014b ; Sane et al. 2018).

Plus précisément, les courbes pour Ouagadougou ont été élaborées par un processus en deux étapes.

(i)L’estimation des intensités de pluie sur une durée journalière sur Ouagadougou pour différentes périodes de retour ;
Pour ce faire, des données journalières disponibles au Burkina Faso sur la période 1950-2014 ont été utilisées. La méthode consiste à s’appuyer sur une approche régionale regroupant l’information provenant de plusieurs stations réparties sur le Burkina Faso. Ceci permet de réduire les effets d’échantillonnage, et donc de gagner en robustesse, tout en gardant la possibilité d’avoir une estimation locale à Ouagadougou des valeurs de pluie d’intérêt (Panthou et al. 2012). En outre, il est utilisé la théorie des valeurs extrêmes (Coles 2001) via l’ajustement d’une loi des extrêmes (loi de distribution GEV) appliquée aux chroniques de pluies maximales journalières annuelles extraites des chroniques de pluie.

(ii)L’estimation de la loi de changement d’échelle temporelle dans la région de Niamey.

La méthode d’estimation repose sur données de pluie infra-journalière de l’observatoire AMMA-CATCH Niger (www.AMMA-CATCH.org) disponible au pas de temps 5 minutes sur la période 1990-2016. Là aussi, il fallait utiliser une approche régionale regroupant l’information provenant de plusieurs stations, puis une utilisation conjointe de la théorie des valeurs extrêmes et d’une approche d’invariance d’échelle simple (théorie fractale, Menabde et al. 1999) permettant d’estimer la loi de changement d’échelles temporelles.

Les IDF pour Ouagadougou

Pour délivrer les courbes IDF, on se réfère à la loi empirique de Montana qui est très couramment utilisée pour représenter l’évolution de l’intensité de pluie en fonction de sa durée et dont la formule est la suivante :

Les courbes IDF sont délivrées ici au format graphique et sous forme de tables contenant les valeurs des coefficients de Montana.

Précautions d’utilisation des produits IDF

L’analyse fréquentielle des extrêmes pluviométriques se base sur plusieurs hypothèses qui peuvent avoir des conséquences sur l’estimation des courbe IDF à Ouagadougou. Quelques points de précaution d’usage sont listés ci-dessous :
- le modèle IDF (et les courbes qui en résultent) a été estimé à partir de données ponctuelles (station), de ce fait iT(d) représente une valeur de pluie ponctuelle. Si cette valeur peut être utilisée pour des bassins versants de petite taille (de l’ordre du km2), elle risque de surestimer les pluies de bassins dont la surface serait trop importante. Dans ce cas, l’utilisation d’un coefficient d’abattement spatial (ARF) peut s’avérer pertinente (des ordres de grandeur d’ARF peuvent être trouvés dans Panthou et al. (2014b) ;
- la méthode utilisée ne permet pas d’estimer les intervalles de confiance sur les courbes IDF à Ouagadougou. Les valeurs indiquées sont des valeurs en espérance à utiliser comme des ordres de grandeurs indicatifs ;
- la gamme d’échelle temporelle pour laquelle les courbes fournies sont valides est 1h–24h.

Quelques enseignements

La méthodologie développée peut tout à fait s’appliquer pour estimer les courbes IDF à d’autres lieux et localités d’Afrique de l’Ouest pour lesquels on disposerait de séries pluviométriques journalières longues. Il faut pour cela s’assurer que l’hypothèse d’invariance de la loi d’échelle reste effectivement valable.

De manière générale, il est important de continuer à promouvoir l’observation sur le long terme des précipitations à des échelles infra-journalières.

Des initiatives en ce sens menées au sein de l’Observatoire AMMA-CATCH ou au sein des services météorologiques nationaux comme à l’ANACIM au Sénégal montrent qu’un effort conséquent d’instrumentation, de suivi, de sauvegarde et de numérisation de données permet de répondre à des besoins importants de l’ingénierie hydrologique (Sane et al. 2018).

Un point clé d’amélioration des courbes IDF repose désormais sur la relaxation de l’hypothèse de stationnarité des extrêmes. Cette hypothèse est très largement critiquable compte tenu de la forte variabilité décennale du régime de précipitations dans la région. En particulier, deux études récentes (Panthou et al. 2014a ; Taylor et al. 2017) montrent une hausse de l’intensité des pluies au Sahel depuis le début des années 1980, impactant notamment les pluies les plus extrêmes. Sur la période 1990-2016, on estime que les intensités de pluie ont subi une hausse de 2 à 4 % par décennie.

Étant liée au réchauffement global, tout laisse à penser que l’intensification des précipitations au Sahel devrait se poursuivre dans les décennies à venir. Des recherches sont en cours au sein du projet AMMA-2050 pour produire des courbes IDF en conditions de climat futur.

G. Panthou
Théo Vischel

Contact : theo.vischel@univ-grenoble-alpes.fr

Photo d’ouverture : F.Tozen