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Variabilité climatique et stratégies d’adaptation en zone pastorale au Sénégal : l’expérience de la ferme agricole de Guelakh-Peulh

Les populations de Guélakh-Peulh sont exposées aux variabilités climatiques comme la plupart des milieux ruraux du Sahel et du Sénégal en particulier. Ce travail analyse l’évolution des paramètres climatologiques et identifie les stratégies d’adaptation de l’élevage des bovins aux variabilités climatiques dans le village de Guélakh-Peulh. L’étude du climat est basée sur l’analyse des indicateurs tels que l’indice pluviométrique, l’indice de sécheresse, les anomalies centrées réduites et le bilan climatique. Plus de 95% des agropasteurs affirment à la fois l’irrégularité des pluies, les vents violents et les excès de chaleurs, comme étant les modifications majeures du climat , ces dernières années. Les stratégies d’adaptation développées à cet effet sont essentiellement la construction des puits modernes pour la disponibilité permanente de l’eau, la culture fourragère pour le bétail, l’agroforesterie et l’utilisation du compost pour restaurer la fertilité des sols.

Au Sénégal, les manifestations des changements climatiques s’expriment à travers certains éléments : salinisation des terres, vents violents, disparition de certaines espèces végétales et fauniques, diminution des vagues d’oiseaux migrateurs, l’augmentation des températures, le changement du calendrier des saisons (CILSS, 2005). Cette variation climatique, ajoutée aux nombreuses conséquences de la grande sécheresse des années 1970, réduisent considérablement les chances de réussite d’un élevage rentable en milieu peulh au Sénégal. Cette étude porte sur la ferme agricole de Guélakh-Peulh se trouvant dans la commune de Gandon et dans l’arrondissement de Rao (région de Saint-Louis). La commune de Gandon est comprise entre les latitudes 16°80’ nord et 16°14’sud et entre les longitudes 16°51’ et 16°27’.

1. Données et méthodes

Les données utilisées sont de diverses natures et sont issues de plusieurs sources. Il s’agit des statistiques climatologiques (température - pluie, évaporation transpiration potentielle ou ETP) de la période de 1984 à 2013 à l’échelle mensuelle. Elles sont extraites de la base des données de la station météorologique de la région de Saint-Louis. Les données relatives aux différentes stratégies développées par les populations paysannes de Guélakh-Peulh sont collectées grâce aux questionnaires, guides d’entretien et grille d’observation. La moyenne arithmétique est utilisée pour étudier les régimes pluviométriques inter-mensuelles et inter- annuelles. Cette moyenne est calculée sur une série de 30 ans (1984 à 2013). L’expression mathématique de la moyenne arithmétique s’écrit par la formule suivante :

Le Bilan Climatique (BC) : en utilisant la moyenne arithmétique, le bilan hydrique climatique (BC) a été déterminé et a renseigné sur la quantité d’eau restante pour les végétaux, après l’évapotranspiration potentielle (TURC, 1955). Le bilan climatique est présenté suivant un intervalle inter-mensuel (VISSIN et al, 2015).
BC = P - ETP
Avec BC = le bilan climatique, P= la pluie et ETP = l’Evaporation Transpiration Potentielle, si BC ˃0 alors le bilan est excédentaire, si BC <0 alors le bilan est déficitaire, si BC=0 alors le bilan est équilibré (TURC, 1955).
Les deux paramètres de dispersion utilisés dans le cadre de ce travail sont : l’écart type et les anomalies centrées réduites pluviométriques et hydrométriques annuelles (DIENG, 2016). Les anomalies centrées réduites sont déterminées grâce à la formule suivante :

Les données relatives aux stratégies d’adaptation de l’élevage à la variabilité climatique ont été collectées en deux phases essentielles. La première phase a consisté en des entretiens de groupe (focus group). Ces groupes sont constitués de chefs d’exploitation agricole, de chefs de ménage et de chef de village. Le guide d’entretien a comporté des questions ouvertes et semi-ouvertes, permettant de recueillir et de hiérarchiser les perceptions ou opinions des groupes. La deuxième phase a consisté en l’administration du questionnaire individuel aux intellectuels communautaires et aux chefs de ménage. Ce questionnaire a porté sur la perception de la variabilité climatique et les mutations opérées dans le pastoralisme en vue d’une meilleure adaptation.

2. Résultats

  • Tendance de la pluviométrie et de la température de 1984 à 2013

La pluie est l’un des paramètres clés du climat. Sa variation temporelle a des externalités négatives sur les pratiques agricoles et surtout l’élevage au Sénégal. La figure1 présente les résultats du bilan climatique dans la région de Saint-Louis et à Guélakh-Peulh en particulier.

On distingue globalement deux périodes :
• une première« humide » pendant laquelle les moyennes mensuelles de quantité de pluies sont supérieures à celle de l’ETP. C’est l’intervalle de mois de juin à octobre pendant laquelle les activités agricoles sont prioritaires. Durant cette période, les activités agricoles sont prioritaires ;
• Une deuxième période « sèche » pendant laquelle les moyennes mensuelles des quantités de pluies sont inférieures à celles de l’ETP. Elle concerne la fourchette novembre-mai.
La mauvaise répartition des précipitations et la forte ETP sur plus de la moitié de l’année réduisent les chances d’une agriculture pluviale dans la commune de Gandon en général, et le village de Guélakh-Peulh en particulier. Face à cette situation, le recours à une stratégie d’ adaptation du terroir s’impose aux populations locales afin de limiter la vulnérabilité des activités agricoles. Le traitement statistique a conduit à la réalisation de la variation de l’indice pluviométrique ou encore des valeurs centrées réduites des anomalies pluviométriques (figure 2).

On observe une prépondérance des années excédentaires au cours de la dernière décennie (2004 à 2013).Cette phase correspond au retour du rythme pluviométrique normal et par ricochet à la disparition des années de sècheresse. La plupart (90%) des interviewés affirment la précocité de la pluie, la survenance de pluies tardives, lesquelles bouleversent le calendrier paysan et perturbent l’organisation du cheptel.
Quant à la température, elle est à la hausse durant la période (1984 à 2013), soit une augmentation annuelle de 0,019° Celsius. D’ici 100 ans, cette augmentation serait de 2°C par an et d’ici 1000 ans, elle serait de 20°C par an.

3. Perceptions paysannes des variations du climat à Guélakh-Peulh

  • Principaux changements observés par les populations rurales de Guélakh-Peulh

Les populations rurales de Guélakh-Peulh reconnaissent la manifestation de trois principaux risques climatiques à savoir : l’irrégularité des pluies, l’excès de chaleur et les vents violents. Soit respectivement 56%, 28% et 15% des réponses obtenues. Ces résultats sont confirmés par ceux du focus group réunissant les exploitants agricoles, les responsables de la ferme intégrée de Guélakh-Peulh et les leaders des associations des jeunes éleveurs de Guélakh-Peulh. Près de 95% des personnes interviewées affirment que les conditions climatiques ne sont pas favorables aux activités agropastorales. Quelles sont alors les stratégies d’adaptation développées par la ferme de Guélakh-Peulh à des fins de résilience aux changements climatiques ?

4. Stratégies d’adaptation de la ferme intégrée de Guélakh-Peulh

La ferme de Guélakh opte pour une agriculture et un élevage biologiques. Le système agropastoral est basé sur la maîtrise d’un certain nombre d’éléments nécessaires à une agriculture durable au Sénégal en général.La maîtrise de l’eau est un facteur essentiel de la réussite de l’élevage dans un environnement semi-aride. La ferme agricole de Guélakh-Peulh dispose de puits modernes munis de château d’eau afin de subvenir au besoin en eau de son bétail, de même que les besoins en eau de la culture maraichère de manière durable .La culture fourragère (Panicum, Leuceana,…) est une pratique qui est venue à point pour combler le déficit d’aliments pour le cheptel car les animaux sont bien nourris toute l’année. Cette culture est possible grâce à l’irrigation goutte-à-goutte.

Le choix des races bovines adaptées (métisses Holstein, Montbéliarde, Normande) qui résistent très difficilement aux conditions climatiques (chaude et sèche) du Sénégal ; alors la ferme agricole de Guélakh procède au croisement des races exogènes et locales et obtient des races hybrides qui résistent davantage au climat local mais produisent de bonnes quantités de lait.
La stabulation des animaux est une pratique qui consiste à élever les animaux dans des étables afin de veiller à leur bien-être et leur alimentation. L’expérience de la ferme agricole de Guélakh montre que les vaches en stabulation produisent dix fois plus de lait que celles en divagation permanente et l’éleveur a la capacité de planifier la naissance des génisses et contrôle les sauts des animaux afin d’obtenir les races de son choix.

La pratique agroécologique consiste à restaurer le couvert végétal avec l’aide d’essences ligneuses ayant un faible besoin hydrique telles que : Acacia albida, Acacia raddiana, Prosopis, Eucalyptus, etc. L’agroforesterie, les brises vents et le compost sont des pratiques agroécologiques qui permettent de lutter contre les vents violents et de fertiliser les terres cultivables. Ceci est fondamental pour une agriculture familiale dans un milieu dominé par des dunes de sable très pauvres et inappropriées aux cultures.
Le choix des variétés de semence comme le riz (variété « sahel 108 », cycle de trois mois), l’oignon (variété violet de galmi, cycle de 5 mois), l’arachide (variété sélectionnée pour la région nord du Sénégal, cycle court de trois mois), le niébé (variété melax cycle de deux mois), la pastèque (variété cycle de deux mois), le choux (variété chinoise, cycle d’un mois et demi).

Hormis l’agriculture et l’élevage, les populations rurales notamment les femmes s’intéressent aux activités extra-agricoles (couture, teinturerie, etc.) qui apportent des ressources additionnelles, afin de combler le gap occasionné par les aléas climatiques .
Le dynamisme territorial et le partenariat public privé caractérisent également le modèle agropastoral de la ferme de Guélakh en misant sur une attractivité territoriale basée sur le potentiel de son cadre de vie. La valorisation des savoirs et compétences endogènes passe par l’alphabétisation, la formation à entrepreneuriat agricole, l’éducation scolaire, la santé, l’appui technique et financier aux jeunes entrepreneurs. L’intercommunalité, le territoire du développement économique local et l’esprit de chaîne de valeur doivent être considérés dans un système agropastoral durable pour l’émergence des collectivités territoriales au Sénégal.

Pour conclure, nous pouvons retenir que la présente étude vient à point nommé, au moment où l’Etat du Sénégal prône une économie émergente et une revitalisation des collectivités territoriales. Les activités agropastorales en milieu Peulh connaissent de grandes mutations à cause de la variabilité climatique. Le village de Guélakh-Peulh, à travers sa ferme agricole, a développé des stratégies d’adaptation dans le but de renforcer sa capacité de résilience. Les populations rurales de Guélakh-Peulh se retrouvent dans cette approche agropastorale et témoignent majoritairement leur satisfécit et leur adhésion. Elles ont besoin d’une politique de « Learning by doing » (apprendre en pratiquant), laquelle leur permet de mieux suivre l’action et de ne pas se limiter à la théorie.

Denangan Ulrich Houedenou
Contact : denanganul@gmail.com
Djibril Diop
Contact : djibril.diop@iedafrique.org

Bibliographie

1. CILSS (2005) : Changement climatique et désertification. Revue Sécheresse, synthèse n°4 : 95.11
2. DIENG A & DIENG M (2016) : Manuel de statistique descriptive avec exercice corrigés et applications sur Excel, 1ère édition, Dakar, 166p
3. DIOP M (2002) : la société sénégalaise entre le local et le global, Edition Karthala, collection Hommes et société, 723p
4. TURC L (1955) : le bilan d’eau des sols : relations entre les précipitations, l’évaporation et l’écoulement, annales agronomiques 6, 131p
5. UNEP/ ICRAF (World agroforestry centre) (2007) : climate change and variability in the sahel région ; impacts and adaptation stratégies in the agricultural, sector
6. VISSIN et al (2015) : Perception paysannes de la variabilité climatique par les populations de la commune de Zè, 28ème colloque de l’association internationale de climatologie, 393p-398p