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OPINION : Les agricultures familiales et leurs raisons fondamentales au Cameroun

L’année 2014 a été déclarée simultanément année de l’Agriculture et de la Sécurité Alimentaire en Afrique, et année internationale de l’Agriculture Familiale. Simple coïncidence ou alors conclusion logique des analyses diverses ? L’Afrique est en pleine transition, démographique, économique et politique pour servir selon des prévisions de sources durables non plus de consommation, mais de plus en plus de production pour contribuer qualitativement aux efforts de la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale.

Résignation ou effets de mode : les réalités !

Pendant des années, l’ambiance autour de l’agriculture africaine laissait (encore maintenant dans beaucoup d’analyses) peu de place à un quelconque espoir. La sentence non moins cavalière (car teintée de beaucoup de paternalisme colonial) d’un des « experts » du temps continua à hanter tous les discours majeurs en matière de politiques agricoles : « L’Afrique noire est mal partie » (René Dumont). Au milieu des années 90, le même affirmera au cours d’un Congrès mémorable de Yaoundé : « Elle (Afrique) n’était même pas encore partie ». Tout dépend bien entendu de ce que cela veut dire partir, les raisons du partir en question et les horizons visés. Le recul nécessaire donne à se rendre compte que le monde des experts (essentiellement occidentaux), majoritairement étrangers aux réalités, représentations locales et les incidences sur les prismes de lecture du monde, passait bien loin des préoccupations jalonnant la prise de décision des acteurs finaux. Dans les bureaux calfeutrés des capitales et organisations multilatérales, les bonnes intentions des programmes cohérents sur papier peinent à coïncider avec les résultats escomptés. Quand l’agriculture fut regardée uniquement dans ses attributions de pourvoyeuse de devises avec des cultures de rente, quasiment en transit sur de vastes territoires, et parfois les meilleurs, des millions de familles organisèrent une longue résistance silencieuse. Mettre en avant l’agriculture familiale, elle-même très plurielle n’est pas dénué de sens.

La sécurité alimentaire avant tout !

En scrutant le paysage des systèmes de productions agricoles nationaux, il n’est point difficile de se rendre compte que les régions les plus prospères sont celles qui ont misé premièrement sur les modèles mettant en avant la sécurité alimentaire, la leur, et de leurs communautés. Quelques rares auteurs qui ont essayé de décrypter les modes opératoires des pré-indépendances retiennent les grands axes ayant conduit à la fragilisation des bases de la sécurité alimentaire. Dans la région des Grassfields Cameroun, il fut noté que prétextant justement la sécurité alimentaire des populations « indigènes », le pouvoir dominateur tint bien loin de tout intérêt la caféiculture. Pourtant, mue par une sorte de profonde imagination et indignation de ne pas être pris en compte, la population locale décida de braver les « interdictions coloniales » pour s’investir dans la culture du café. Il ne tarda point non seulement d’en supplanter les « négociants » Grecs et Libanais, mais bien vite d’en faire une référence par la création de la première coopérative agricole autonome d’avant les indépendances : Union Centrale des Sociétés Coopératives Agricoles de l’Ouest – UCCAO (Dongmo, 1981). Le café devint rapidement sur les hautes terres de l’Ouest Cameroun le moteur d’un changement agraire et de redistribution des pouvoirs et d’ascension sociale. Cette variante nouvelle d’agriculture familiale, loin d’être une agriculture de subsistance devint pourvoyeuse locale de devises, de symboles et même d’émancipation féminine. Pendant que le genre masculin s’occupait de la culture et de la commercialisation du café, la femme et les jeunes découvraient dans les échanges entre les villes et campagnes d’excellents produits agricoles variables marchands. Le nombre de filières mono ou multi-spéculations avec des extensions sous régionales ne cesse de s’accroitre. Même le bétail connait alors dans un tel modèle une division sur la base du genre : gros bétail pour les hommes et le reste pour les femmes disposant d’un contrôle entier. Dans cette démarche, les revenus issus des diverses transactions sont investis pour diversifier l’alimentation, l’enrichir et acquérir de nouveaux espaces agraires ou se lancer dans de nouvelles activités. La transition observée lors de la déprise caféière (Courade, 1994) dans cette région du pays fut le départ du développement des cultures maraichères qui pourtant n’ont pas effacé les ambitions premières : la sécurité alimentaire. Diverses observations dans d’autres régions de culture de rente restées sans réactions aux incertitudes et déceptions des marchés spéculatifs font état de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle endémique. Rarement les cacaoyers, hévéa et cotonniers ont été remplacés ou associes à d’autres cultures directement exploitables.

Réponse aux défis fonciers

L’espace agraire est un enjeu énorme, depuis des siècles et plus encore aujourd’hui avec le phénomène d’accaparement des terres sous ses diverses modalités. L’agriculture familiale va donc constituer non seulement un barrage (certes modestes) contre cette autre dérive dite moderne, mais surtout une utilisation parfois ingénieuse des ressources foncières. C’est dans les régions du monde où l’agriculture familiale est la plus répandue que les terres agricoles sont encore les plus disponibles, constituant de fait une réserve globale tombant sous une inacceptable convoitise et une boulimie pour le lucre spéculatif.

Un système logique robuste

En modélisant un système agricole familial type sur la base des flux d’énergie, on se rendrait aisément compte que dans le cadre de l’agriculture familiale, la production interne est immense, consommatrice de peu de ressources exogènes, tout en générant un énorme bilan bénéfique. En effet, la main d’œuvre est essentiellement familiale et la motivation maintenue par un raisonnement dynamique. Les produits de la ferme familiale respectent une clé de répartition en termes de priorités, interventions, organisation et utilisations efficace. Bien que peu innovante au plan technologique, une telle agriculture familiale a une dimension beaucoup plus fonctionnelle qui envisage garder un grand équilibre des dépenses et des charges. Les systèmes pastoraux des régions sèches sont les plus précaires, car dépendant majoritairement des produits du bétail, suivis des systèmes à dominance de monocultures (surtout d’exportation) ou élevage très spécifique. La diversification des spéculations et des produits est une soupape de salut en cas de survenue de crises inattendues. De telles crises quand elles surviennent ne manquent pas de désarticuler le maigre espoir identifiable dans les produits majeurs.

Contributions à l’agro biodiversité

L’agriculture familiale telle qu’elle se pratique n’est pas seulement un système économique. C’est aussi et surtout un système écologique, un agro système promouvant l’agro écologie bien avant la lettre (Dupriez et De Leener, 1987). Certaines espèces végétales ne sont aujourd’hui préservées que par le biais des parcelles des ruraux, dépositaires d’un énorme savoir et des trésors phyto ou zoo génétiques immenses. La préservation, la promotion de l’agriculture familiale est le saut qualitatif d’une agriculture raisonnée et raisonnable, répondant aux besoins actuels, sans perdre de vue les enjeux de sauvegarder les ressources du futur. Certaines espaces culturaux, même en apparence négligeables abritent des dizaines d’espèces, aux fonctions nutritionnelles et pharmacologiques variées, et dont la récolte s’étale sur les saisons.

Regards sur le monolithisme de la formation agronomique actuel

Ela (1964), en se fondant sur ses observations de l’intérieur des populations Mafa du Nord Cameroun, critiquait déjà vertement le dispositif éducationnel construit sans tenir compte de la riche expérience des savoirs endogènes. Faisant fi d’une analyse critique du modèle uniformiste de l’agriculture conventionnelle, la formation agronomique actuelle ayant pignon sur rue en Afrique risque de se trouver face au mur, sans répercussions quantitativement positives sur les changements heureusement en cours dans la masse des producteurs ruraux et périurbains. En effet, il est courant de voir beaucoup de programmes de formation agricole répliquer inefficacement des contenus de base qui dénigrent à la limite les réalités locales. Les expériences empiriques pourtant capitalisables pour promouvoir un regard neuf sur les agricultures familiales ne sont pas loin. Même au niveau conceptuel il semble planer un déficit d’initiatives heureuses, concluant sur des démarches nouvelles. C’est depuis peu que le gouvernement du Cameroun a soutenu la création/la validation des Ecoles Familiales d’Agriculture (EFA) qui sous le couvert de la démarche s’enfoncent néanmoins dans les approches classiques par filière et non par système, mas avec le mérite au moins de se dérouler en milieu rural réel.

Félix Meutchieye : Enseignant-Chercheur (Génétique et Systèmes de Productions Animales), Université de Dschang – Cameroun

Roger Ntankouo Njila : Enseignant-Chercheur (Génie Rural et Biosystèmes)- Université de Dschang – Cameroun

Idriss Gabriel Nyebe Mvogo : Ingénieur Agroéconomiste, Manager de la Plateforme Nationale Cobayes du Cameroun – Université de Dschang – Cameroun

Séraphin Ayissi Djoulde : Ingénieur Agronome Zootechnicien, Manager de la Plateforme Nationale Chèvres du Cameroun – Université de Dschang – Cameroun

Références :

Courade, G. (Sous la direction) 1994. Le village camerounais à l’heure de l’ajustement. Katharla.

Dongmo, J-L. 1981. Le dynamisme Bamileke (Cameroun) Volume 1 : la maitrise de l’espace agraire. CEPER.

Dupriez, H., De Leener, P. 1987. Jardins et vergers d’Afrique. CTA ; Terres et Vie
Ela, J-M. 1971. La plume et la pioche. CLE.