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Etude de la PROPAC sur les changements climatiques : les paysans d’Afrique Centrale s’inventent des techniques d’adaptation

La Plateforme Sous-régionale des Organisations Paysannes d’Afrique Centrale (PROPAC), à travers son programme FR3C, a étudié « les perceptions locales des changements climatiques et le genre » dans six pays de cette sous-région, de décembre 2011 à février 2012. Ceci a permis entre autres d’avoir une idée sur les effets des changements climatiques sur les activités agropastorales dans certaines zones agroécologiques de ces six pays, et de recenser un certain nombre de pratiques agricoles d’adaptation aux effets des changements climatiques rencontrées dans les différentes zones concernées par cette étude. L’un des buts de cette enquête a été de faire une capitalisation des pratiques d’adaptation locales aux changements climatiques dans le secteur agropastoral du Bassin du Congo et au Tchad.

CAMEROUN : Plants issus de fragments de tige

Au Cameroun, l’étude a été menée au village Nkolméfou I, près de Yaoundé, dans la région du Centre, précisément dans l’arrondissement de Mfou, où vit une communauté essentiellement constituée d’hommes et femmes menant des activités agropastorales familiales. Le village de Nkolméfou I se situe en zone forestière et son climat est équatorial de type guinéen à quatre saisons et des précipitations annuelles variant entre 1500 et 2000 mm. Ici, on produit principalement des cultures vivrières, de rentes, des cultures maraîchères. On y pratique également de la pisciculture et du petit élevage dans le but de s’auto-alimenter et aussi de créer des revenus familiaux.

Les principaux effets des changements climatiques que vit la communauté de Nkolméfou I et ses environs sont : le dérèglement des saisons, la baisse et l’irrégularité des pluies, les poches de sécheresse en saison pluvieuse, des fortes pluies ou pluies diluviennes en saison pluvieuse de plus en plus courte, des inondations, l’assèchement de certains cours d’eau et marécages et disparition d’espèces locales de poissons et augmentation de la chaleur en saison sèche.

Entre autres impacts, nous allons nous intéresser à l’impact qui consiste en la diminution des quantités et de la qualité des semences dues à la destruction des récoltes suite aux fortes chaleurs, aux inondations et la prolifération des insectes occasionnée par le prolongement de la sécheresse.
Le constat fait pour les exploitations de bananier plantain à cause de l’indisponibilité du matériel végétal de bonne qualité, due à la pression parasitaire qui s’exerce sur la culture, est que l’utilisation de mauvais rejets ramenant la durée d’exploitation maximale en deçà de deux années fait bon train à Nkolméfou I et ses environs.
Mais heureusement, plusieurs techniques de production intensive ont été transmises aux paysans parmi lesquelles le plant issu des fragments de tige (PIF), une technique qui connaît un essor indéniable auprès des paysans et paysannes, parce que facilement reproductible. A partir d’un rejet mis en germoir, l’on est capable d’obtenir dix à cinquante plants de bananier plantain sains que l’on met sous ombrière pour deux mois. Cette technique permet une production en masse de rejets de qualité, en seulement trois ou quatre mois, et surtout hors champ, dans un milieu sain, à n’importe quel moment de l’année. Cette technique a été mise sur pied par le Centre Africain de Recherche sur le Bananier plantain (CARBAP).

CENTRAFRIQUE : Le gadouage

L’étude a été effectuée dans la zone de maraîchage de P14, sur la route du Nord qui longe une partie de la colline de Bangui, appelée « Bazou Bangui », dans la Commune de Bégoua. Dans cette localité, on retrouve une communauté constituée d’hommes et de femmes vivant essentiellement d’activités de maraîchage et d’élevage. Le climat de cette localité est de type guinéen forestier avec l’alternance de deux saisons : une saison pluvieuse qui va de mars à mi-décembre et une saison sèche qui va de janvier à février.

Le type de végétation que l’on rencontre ici est la savane arborée et herbeuse qui est la résultante de l’action anthropique. Les principaux effets des changements climatiques que vit la communauté de la zone de maraîchage de P14 et ses environs sont : des saisons sèches plus longues que les saisons des pluies lesquelles, lorsqu’elles arrivent sont très violentes et abondantes, entraînant de graves inondations, les vents violents, le manque d’eau en saison sèche, une modification de l’environnement traduite par une faible production, la disparition de la végétation, le manque de bois de chauffe, la disparition des animaux sauvages, des coulées de boue, une invasion d’insectes, de nouvelles maladies et les migrations des hommes en période de forte sécheresse. Entre autres impacts, nous allons particulièrement nous intéresser à l’impact lié aux pluies abondantes et violentes. Il s’agit là d’un impact particulièrement négatif sur le sol dont la partie arable se retrouve non seulement emportée par des torrents, mais aussi fortement lessivée. Il en résulte un appauvrissement du sol.

En réponse au problème d’appauvrissement du sol dû aux lessivages, conséquence des pluies abondante et violents, les populations de la zone de maraîchage (PK14) de Bangui ont adopté et développé une technique locale nommée le « gadouage ». Il s’agit d’une technique simple mais efficace, qui consiste à raffermir les bords des planches de culture avec de la gadoue. A partir de la terre pétrie à l’eau, les maraîchers construisent des mures autour des planches. Mures qui, une fois secs, se solidifient et empêchent à la terre non seulement d’être emportée par les torrents, mais aussi de ne pas être lessivée. Pour plus de solidité pour les murs du « gadouage », lorsque la terre est pétrie, elle est parfois mélangée à de la paille qui joue ici le rôle de liant.

GABON : buter et pailler les tiges des plants

L’étude a été effectuée dans la zone rurale de Bikélé, au nord de Libreville, dans la province de l’Estuaire. Dans cette localité, on retrouve une communauté constituée d’hommes et de femmes vivant essentiellement d’activités agricoles. Le climat de cette localité est de type équatorial avec deux saisons bien marquées, une saison de pluie qui dure neuf mois et une saison sèche de trois mois. La moyenne des températures varie entre 21°C et 27°C. La moyenne pluviométrique varie de 1800 mm à 3200 mm dans les régions côtières et de 1400 mm à 2000 mm à l’intérieur du Continent. La végétation est composée de la forêt et de la mangrove.

Les principaux effets des changements climatiques que vit la communauté de la zone rurale de Bikélé et ses environs sont : la hausse des températures, les pluies abondantes et irrégulières entraînant de graves inondations et l’arrachage de gros arbres en bordure de la rivière voisine. Chacun des effets des changements climatiques sus- cités ont des impacts dans la vie des populations de la communauté de la zone rurale de Bikélé. Cependant, nous voulons particulièrement nous pencher sur l’effet qui est celui de la hausse des températures en saison sèche. Le premier impact de cet effet est la baisse des rendements agricoles, à cause du manque d’eau dans le sol dû à la chaleur.

Pour faire face aux impacts des effets des changements climatiques, les populations de la communauté de la zone rurale entreprennent des actions d’adaptation telles que l’adoption de nouvelles variétés culturales, l’usage de fumures organiques, le reboisement, l’utilisation des bas-fonds etc. Mais pour le cas échéant, nous parlerons de la technique de conservation des eaux et des sols, en réponse aux impacts de l’effet de la hausse des températures en saisons sèches.

Pour faire face à ces impacts, les producteurs de Bikélé ont opté, pour les plantations de manioc par exemple, pour une technique qui consiste à butter et à pailler les tiges des plants, pour conserver l’humidité du sol au niveau de chaque plante. Cette technique consiste à regrouper la terre autour de la tige de manioc et d’amasser la mauvaise herbe au pied du plant pendant les opérations de désherbage.

TCHAD : adapter l’arrosage

Paysan tchadien

L’enquête a été menée dans deux communautés sahéliennes situées aux environs de Ndjamena. Il s’agit de la communauté qui vit au sud de Ndjamena formée de groupements riverains du Chari. Elle vit de maraîchage, d’élevage et de pêche. La végétation au Sud est caractérisée par la savane arbustive dominée par les acacias et les balanites, avec un tapis herbacé composé d’andropogonées. Quant au Nord, on a la steppe (ou pseudo-steppe), caractérisée par des formations ligneuses très ouvertes, le tapis graminéen dominé par les aristidées.

Les principaux effets des changements climatiques que vivent les deux communautés peuvent se résumer ainsi : des températures élevées, des vents violents, des sécheresses prolongées, perturbation des saisons ou du calendrier agricole, courtes saisons de pluies très abondantes et inondations, disparition des arbres et des produits forestiers non ligneux, invasion de criquets, de rats et de chenilles, diminution du niveau d’eau dans les fleuves et rivières et assèchement des lacs. Il s’y ajoute la baisse des rendements agricoles et la diminution très perceptibles du bétail d’année en année, la disparition des pâturages, le glissement de terre, l’invasion des troupes de bêtes sauvages, les sols de moins en moins fertile etc. Tous les effets suscités ont des impacts sur la vie de ces communautés. Nous allons nous appesantir sur les impacts des sécheresses prolongées qui dessèche les terres, assèche les points d’eau, sèche et fait disparaître la végétation, décime des troupeaux, obligeant agriculteurs et éleveurs à se regrouper tout le long des fleuves qui, eux- mêmes, sont menacés d’assèchement. Il résulte même de cette situation des conflits sociaux mortels.

Face aux sécheresses prolongées et leurs impacts négatifs sur leurs vies respectives, les deux communautés ont réagi chacune en fonction de sa position par rapport aux sources d’eau disponibles dans la nature. Dans la communauté riveraine du Chari, des canalisations sont faites pour irriguer les plantations éloignées du Chari, à partir duquel l’eau est pompée. Et dans la communauté du nord de Ndjamena dépourvue de cours d’eau, il est créé des forages qui alimentent en eau de grands bassins artificiels ou qui alimentent en eau des réservoirs. Ceux-ci deviennent des points d’eau artificiels autour desquels des activités agropastorales deviennent possibles.

CONGO BRAZZAVILLE : alliance entre maraîchage et élevage

Au Congo, l’étude a été organisée dans une communauté vivant dans la savane et riveraine du fleuve Dzoe appartenant au district de Makélékélé du département de Brazzaville. Elle fait partie des six groupements de l’ancien projet étatique Agricongo. Il s’agit d’un ancien paysannat extra- coutumier de maraîchers mis sur pied pour alimenter la ville de Brazzaville en fruits et légumes. Les populations de cette communauté vivent de maraîchage, d’élevage et dans une moindre mesure de pêche artisanale. Elles vivent les effets des changements climatiques qui se manifestent à travers des pluies abondantes et de courte durée, de fortes chaleurs et sècheresses prolongées, une baisse de la fertilité du sol, un glissement de terre, des invasions d’insectes ou de chenilles, un tarissement des points d’eau et pollution de l’eau, des inondations, une perturbation du calendrier agricole, une abondance des pucerons et des mouches noires etc.…

A chaque effet susmentionné correspond un ou plusieurs impacts dans la vie des populations de cette communauté. Mais nous allons nous focaliser ici sur les impacts de l’effet que constitue l’appauvrissement des sols. Le principal impact ici est la baisse des rendements agricoles qui, par ricochet, entraîne la baisse des quantités de semences, des quantités de nourriture pour les ménages et la baisse des revenus familiaux.

Face aux impacts de l’effet d’appauvrissement des sols, les populations de la communauté riveraine du fleuve Dzoe on réagit en associant les deux activités que sont le maraîchage et l’élevage. En effet, les herbes issues de la préparation des sites de maraîchage sont utilisées en élevage (aliment et paillage), tandis que les déchets (paille et excréments) issus de l’élevage sont utilisés comme engrais naturel en maraîchage. Donc, le maraîcher qui apporte de l’herbe hachée au fermier repasse trois à quatre jours après pour récupérer son engrais.

RDC : recours à l’agroforesterie

En République démocratique du Congo (RDC), l’étude a été organisée au Centre paysannat d’Etat congolais comprenant six villages. Il est situé à 125 Km de Kinshasa dans la Province de Kinshasa, Commune de Maluku . Ici, vit une communauté d’hommes et de femmes dont l’activité principale est l’agriculture familiale (cultures vivrières et maraîchères). Ils font aussi un peu d’élevage. La végétation est une savane arbustive. Les populations de cette communauté vivent les effets des changements climatiques. Ceux-ci sont des pluies abondantes et de courte durée, de fortes chaleurs et sècheresses prolongées, une baisse de la fertilité du sol, une baisse de la productivité, un glissement de terre, des invasions d’insectes ou de chenilles, un tarissement des points d’eau et pollution de l’eau, des inondation, une perturbation du calendrier agricole, une abondance des pucerons et des mouches noires, une disparition de certains produits forestiers non ligneux tels que les chenilles et les champignons comestibles etc.

A chaque effet susmentionné correspond un ou plusieurs impacts dans la vie des populations de la communauté extra-coutumière de la commune de Maluku /Tshangu. Nous allons nous focaliser ici sur les impacts des deux effets que sont les fortes chaleurs et les sècheresses prolongées. Les impacts de ces deux effets combinés à l’action anthropique sont désastreux dans cette communauté : la forêt disparaît manifestement, laissant place à un paysage désolant au sol infertile, à la merci des puissants rayons de soleil , de longues saisons sèches et des pluies abondantes qui causent lessivage et érosion. Les conséquences sont la famine et l’avancée du désert. En plus de ce que les populations de la communauté extra-coutumière sont obligées d’aller chercher des terres moins dénudées, beaucoup plus loin de leurs habitations, elles ont opté pour l’agroforesterie. Elles plantent des arbres de foresterie (acacia par exemple) et crée, tant bien que mal, des vergers au sein desquels, plus tard, elles font des cultures vivrières. Les arbres ainsi plantés, une fois grands, protègent et fertilisent le sol, en servant d’abris aux cultures vivrières.

Leçon tirée

Sans véritable volonté gouvernementale, les paysans producteurs du Bassin du Congo et du Tchad ont su tant bien que mal jusqu’ici, mettre à profit nombre de pratiques agricoles ancestrales et mettre sur pied ou adopter des pratiques et techniques locales innovantes pour faire face aux difficultés dues aux changements climatiques, qu’ils rencontrent dans leurs activités agropastorales. Nous pensons que ces pratiques et techniques locales et innovantes devraient intéresser la recherche pour des besoins de capitalisation.

Abessolo Amougou Patrice
Ingénieur agronome
E-mail : patabess@yahoo.fr
Plateforme Sous-régionale des Organisations Paysannes d’Afrique Centrale