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Des producteurs camerounais de tubercules de macabo vendent aux acheteurs gabonais pour gagner plus

Au cœur d’un partenariat tissé entre de petits agriculteurs à 130 km de Yaoundé au Cameroun et des commerçants gabonais, seule la confiance tient lieu de signature. Et ça marche. Les producteurs tirent allègrement profit de la vente de leurs tubercules de macabo au bord du champ, réduisant les tracasseries et aléas liés au transport sur les marchés.

Le marché gabonais est depuis toujours fortement demandeur de produits vivriers en provenance du Cameroun. Afin de tirer parti de ce filon, Alain Roger Nkot II, producteur de macabo à Song-Bayang par Eseka dans le département du Nyong et Kellé, à environ 130 km au sud-ouest de Yaoundé, a entrainé d’autres producteurs de cette denrée, dans la vente groupée aux acheteurs venus du Gabon.

Ces dernières années, l’amélioration des voies de communication, grâce au financement par l’Union européenne du bitumage de la route reliant le nord du Gabon au sud du Cameroun, a accentué les transactions agro-commerciales entre les deux pays.

Le macabo, tubercule très apprécié et consommé par les populations de culture Bantou dont fait partie la grande majorité des Camerounais et des Gabonais, figure parmi les spéculations demandées sur le marché gabonais.

Alain Roger Nkot II affirme : « Les commerçants gabonais viennent acheter notre production au bord du champ. Ils font des offres financières supérieures à celles de nos frères camerounais qui, en plus d’acheter le macabo nettement moins cher, préfèrent se faire livrer dans les marchés urbains. » Vendre aux Gabonais est donc une aubaine pour les producteurs de Song-Bayang. Ils réalisent une importante plus-value et sont exempts des multiples aléas du transport et de l’évacuation de leurs produits agricoles.

La confiance comme signature

D’après les résultats du recensement général de la population des deux pays limitrophes, recensement effectué respectivement en 2005 pour le Cameroun et en 2012 pour le Gabon, la population camerounaise est de plus de 20 millions d’habitants, tandis que la population gabonaise est de 1 million 600 mille âmes. Vu ainsi, en principe, c’est le Gabon qui devait lorgner le marché camerounais pour le ravitailler. Mais c’est l’inverse qui se produit. Ceci peut s’expliquer : contrairement au Cameroun où l’agriculture occupe plus de 60% de la population, le Gabon n’est pas réputé agricole. Ce pays limitrophe du sud du Cameroun est appuyé depuis longtemps essentiellement sur ses ressources naturelles pour se développer.

Néanmoins, selon des indiscrétions de commerçants, les produits agricoles achetés par les Gabonais ne seraient pas tous consommés au Gabon. Ce pays servirait de transit pour le convoi de vivres à vendre dans d’autres pays frontaliers, en l’occurrence la République Démocratique du Congo et l’Angola. La ruée vers les vivres camerounais est devenue de fait une nécessité pour les commerçants qui font la ligne Cameroun-Gabon.

Jusqu’au début des années 2000, les acheteurs gabonais s’arrêtaient dans les marchés frontaliers qui bordent le fleuve Ntem dans le Sud du Cameroun, à l’instar des marchés d’Abang-Minko’o et de Kyé-Ossi. Mais depuis pratiquement 7 à 8 ans, ils vont jusqu’au très fond des villages camerounais et à des distances inimaginables où ils s’investissent dans les champs et participent même parfois aux récoltes. C’est dans ce sillage que des partenariats se tissent tous azimuts entre producteurs et commerçants, tel que celui avec le groupe de producteurs de Song-Bayang par Eseka.

Ce partenariat qui consiste en la vente groupée des tubercules de macabo du village Song-Bayang aux acheteurs gabonais tient sur un accord basé essentiellement sur la confiance. Les rendez-vous des ravitaillements sont pris par téléphone au moins quatre jours avant la date d’arrivée des acheteurs ; le temps pour les producteurs d’engager la récolte et de conditionner la marchandise. Les acheteurs qui doivent parcourir plus de 400 km qui les séparent de la frontière gabonaise à Eseka aiment trouver les produits déjà prêts à embarquer au bord du champ dans le village. Song-Bayang est un village de la commune rurale de Biyouha, à 25 km d’Eséka dans le département du Nyong-et-Kellé et à environ 130 km de Yaoundé, sur la route de Douala.

400 km à parcourir

Grâce à leur dynamisme, les producteurs de macabo de ce village ont été repérés en 2012 par les acheteurs gabonais qui sillonnent de jour comme de nuit cette zone de haute production agricole, qui a l’avantage d’avoir des voies d’accès relativement bien entretenues. Le Chef supérieur de Song-Bayang, Sa Majesté Nkot Gouet Jean Privat déclare : « Notre village a de riches potentialités agricoles et excelle dans deux produits agricoles fortement ancrés dans nos habitudes alimentaires avant d’être des spéculations commerciales : ce sont le macabo et l’huile de palme. » Dans la localité, le macabo se mange sous mille et une formes et à toutes les sauces, dont la plus réputée est le Mbongo Tchobi, de couleur noire épicé est l’écorce du poivrier sauvage brûlée.
Le chef du village fait le constat : « Depuis que les Gabonais sont fréquents sur la route de notre village, beaucoup de producteurs ont étendu leurs champs de macabo dans l’optique de vendre et pas seulement de consommer. »

D’après les statistiques du Chef de poste agricole de Song-Bayang, les producteurs de macabo de Song-Bayang ont une capacité de production annuelle d’environ 1500 tonnes. Les acheteurs gabonais prennent chaque semaine 150 sacs de 100 kg de macabo encore appelés filets. Ce qui fait près de 750 tonnes de macabo vendus annuellement aux acheteurs gabonais, soit la moitié de la production locale. Le reste est soit consommé sur place, soit vendu en petites quantités à des acheteurs camerounais pour les marchés urbains.

A titre indicatif, le département du Nyong-et-Kellé dont fait partie le village Song-Bayang produit annuellement plus de 64 200 tonnes de macabo (statistiques 2010 du Ministère de l’agriculture et du développement rural - MINADER). Soit plus du 1/5 de la production totale nationale évaluée à 300 000 tonnes (Statistiques 2008 de l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement - IRAD).

Le partenariat acheteurs gabonais-producteurs de Song-Bayang a mis ces derniers à l’abri des aléas inhérents à la commercialisation des vivres frais. Et ils en tirent tous les avantages. Joseph Segbe, producteur de macabo depuis dix ans confie : « Nous sommes en position de force dans les négociations. Nous ne commençons à récolter et à conditionner le produit que lorsque nous tombons d’accord avec les Gabonais sur le prix d’achat. Ce partenariat nous permet d’évacuer une grande quantité de produits à la fois et de consacrer plus de temps à ce que nous savons faire de mieux, produire. » Oscar Biyiga, autre agriculteur, déplore néanmoins la seule difficulté qu’il relève dans l’exécution de ce contrat : le non respect des rendez-vous. Face à cela, ils ont adopté une mesure pour se prémunir des désagréments. Il déclare : « Quand il arrivait que nos partenaires gabonais ne respectent pas la date de rendez-vous pour le retrait de leurs commandes, nous étions embarrassés et devions trouver une voie de sortie rapide en contactant des acheteurs locaux qui, malheureusement, n’achètent pas au même prix. Cela nous a emmené à être plus exigeants en réclamant une avance financière par un transfert de fonds, avant de regrouper la commande. Le macabo est une denrée très périssable quand il est récolté et conditionnée dans des sacs. L’acheteur qui ne vient pas retirer sa commande le fait à ses risques et périls. »

Sans intermédiaires

L’un des acheteurs gabonais, Benoît Mouissi reconnaît : « Ce partenariat nous donne une garantie d’approvisionnement sûre. Nous faisons moins d’efforts pour la collecte. Quand nous quittons le Gabon, notre principal objectif est de nous procurer la bonne marchandise en un minimum de temps. Avec les producteurs de Song-Bayang, ce critère est garanti.

Nous avons parfois des désaccords à cause des petits retards de retrait de commande dus aux pannes de nos camions ou à des mauvaises conditions de voyage. Mais nous finissons toujours par nous entendre. »
Les Gabonais achètent un sac de macabo à 1000 Fcfa, voire 2500 Fcfa plus cher que les acheteurs camerounais. Au vu du grand nombre de sacs de macabo vendus mensuellement et annuellement, c’est un gain énorme pour ces producteurs qui traitement avec leurs clients directement sans avoir à passer par des intermédiaires.

Du fait de la manne financière qu’elle glane, cette activité attire vers le village Song-Bayang, des ressortissants d’autres régions du pays qui viennent y travailler comme tâcherons pour gagner 5000 Fcfa à 10 000 Fcfa par jour dans la récolte et le conditionnement des tubercules de macabo (le SMIG au Cameroun est de 28 000 F cfa).

Au-delà de l’aspect financier, le partenariat avec les commerçants gabonais a également apporté plus de solidarité entre les producteurs de Song-Bayang. Leur success story dans la vente du macabo les a encouragés à envisager ce modèle de commercialisation pour la vente du bananier plantain.

Alain Roger Nkot II affirme : « La demande en tubercules est sans cesse croissante, nous nous organisons pour répondre à cette demande en augmentant les superficies cultivées et en améliorant nos techniques culturales. » D’après lui, ce partenariat a encore de très bonnes perspectives devant lui.

Oscar Biyiga, producteur de macabo à Song-Bayang/ Cameroun « Le macabo est très rentable quand on a pour clients des Gabonais »

Quelle est votre capacité d’approvisionnement du marché ?

Quand mon macabo est à maturité, je livre 50 à 70 filets de tubercules par semaine. Pour remplir un camion, il faut en moyenne 90 filets. Nous nous organisons toujours pour compléter la cargaison avec les sacs d’autres petits producteurs. A Song-Bayang, il n’y a pas de champ communautaire ; chaque producteur a son champ et on fait la vente groupée des produits. Le macabo que je récolte actuellement a été planté l’année dernière sur 22 hectares.

A quel prix vendez-vous aux acheteurs gabonais le sac de tubercules ?

En période d’abondance qui se situe entre les mois de décembre et février, nous vendons aux Gabonais le filet de 100 kg de macabo au bord du champ à 15 000 Fcfa, voire à 16 000 Fcfa. A partir du mois de mars où le macabo commence à devenir rare, le même sac est vendu entre 20 000 Fcfa et 25 000 Fcfa. Je cultive le macabo depuis deux ans, et je peux affirmer aujourd’hui que c’est une culture très rentable, surtout quand on a pour clients, des Gabonais.

Quelles sont vos relations avec les acheteurs gabonais ?

Ce sont des relations amicales. Mais au début, il y avait quelques suspicions de part et d’autre. Nous avons eu à travailler avec plusieurs acheteurs. Finalement, avec le temps, nous avons retenu deux acheteurs avec qui nous travaillons désormais en permanence.

Propos recueillis par Irénée Modeste Bidima

Irénée Modeste Bidima

BP 11 955 Yaoundé CAMEROUN

i-modeste.bidima@saild.org

Article produit par SAILD (Services d’appui aux initiatives locales de développement) et partagé dans le cadre du projet IR-Inforoutes